L’arme, comme tout autre moyen d’attenter à ses jours, n’est que l’outil et non la cause et de loin pas le premier moyen.
Parmi les nombreux indicateurs sociaux pour lesquels le canton de Neuchâtel apparaît en queue de peloton, voire bon dernier, au niveau suisse, figure désormais le taux de suicides puisque, avec 17,4 cas pour 100'000 habitants, nous pointons en troisième position depuis la fin, derrière Appenzell Rhodes-Extérieures avec 19,5 et Nidwald 19, ceci selon les chiffres 2009 de l'Observatoire de la santé (Obsan).
Naturellement, dès la publication de ces données, les déçus de la votation concernant l'initiative contre la violence des armes, refusée le 13 février 2011 par 56,3% de la population et 17 cantons et demi, sont revenus à la charge, mettant en évidence le rôle déterminant joué, selon eux, par les armes à feu dans cette triste comptabilité. N'en déplaise aux bonnes âmes, la réalité est un peu plus nuancée, comme on peut le constater dès lors qu'on veut bien lire le rapport de l'Obsan. On y apprend ainsi que, durant l'année 2009, les trois méthodes de suicide les plus fréquentes ont été la pendaison (29,7%), le saut dans le vide (23,9%) et l’arme à feu (22,9%). Ces chiffres varient considérablement en fonction du sexe puisque les hommes choisissent en priorité la pendaison (31,0%) ou l'arme à feu (29,7%) alors que les femmes préfèrent le saut dans le vide (34,5%), la pendaison (25,9%) et l'empoisonnement avec des médicaments (23,4%).
Le rapport relève également que le nombre de décès par suicide n'a cessé de baisser au cours des dernières années, passant de 1'371 cas en 1998 à 1'292 en 2004 puis 1'004 en 2010. Le nombre de suicides par arme à feu a également suivi cette courbe encourageante, baissant de 413 en 1998 à 271 en 2004 et enfin à 222 en 2010.
Qu'on se comprenne bien, il n'est nullement question ici de contester le fait que les armes à feu soient parfois utilisées par des personnes animées de funestes intentions. Leur rôle est bien réel, ceci d'autant plus que le recours à ce moyen provoque presque toujours une issue fatale contrairement aux médicaments ou aux blessures par coupure.
Un outil
Ceci dit, il convient de garder à l'esprit que l'arme, comme tout autre moyen d'attenter à ses jours, n'est que l'outil et non la cause. Sur ce point aussi, la lecture du rapport de l'Obsan mérite la plus grande attention. Les experts constatent que la majorité des personnes qui se suicident souffrent de troubles psychiques pouvant être diagnostiqués, dépression, schizophrénie, alcoolisme et troubles de la personnalité notamment. Ce phénomène touche particulièrement notre pays puisque, comparée à d'autres démocraties européennes, Allemagne, Pays-Bas, Norvège, Autriche, Suède et Grande-Bretagne, la Suisse affiche le taux le plus élevé de bénéficiaires d'une rente AI motivée par des maladies psychiques. Cette vulnérabilité de notre population se ressent bien évidemment dans son paroxysme qu'est le suicide.
Au vu de cet élément, on ne peut que constater qu'il est abusif d'expliquer le taux élevé de suicide en Suisse par le nombre d'armes à feu en circulation dans notre pays. Cette disponibilité explique le recours plus fréquent que chez nos voisins à ce moyen mais pas le geste en lui-même dont les motivations reposent dans l'immense majorité des cas sur une pathologie psychique. S'il existait réellement un lien entre le nombre d'armes et celui des suicides, un pays comme la France, doté d'une législation très contraignante en matière d'armes, devrait présenter un taux de suicide fort bas ce qui n'est de loin pas le cas. De plus, il convient de relever une phrase très intéressante, qu'on trouve dans le rapport de l'Obsan toujours, qui relativise l'affirmation selon laquelle la Suisse présenterait un taux de suicide supérieur à la moyenne européenne. Les experts constatent en effet que « le taux de suicide en Suisse inclut les cas d'assistance au suicide, ce qui n'est pas forcément le cas dans les autres pays ». Qu'en termes élégants ces choses-là sont dites dans la mesure où l'assistance au suicide reste condamnable dans la plupart des pays étudiés. La prise en compte de ce phénomène n'est d'ailleurs pas anecdotique dans la mesure où il représente environ 20% des cas de suicides comptabilisés en Suisse.
Dans ces conditions, force est d'admettre qu'il est abusif d'établir un lien entre les armes à feu et le suicide. On a parfois recours aux premières pour mettre fin à ses jours mais le geste trouve le plus souvent sa motivation dans une pathologie propre à l'individu. Pour répondre à la détresse et à l'incompréhension de l'entourage, la tentation est grande de confondre cause et moyen, ce qui permet de mettre des mots sur l'inexplicable. C'est humain.
Yvan Perrin
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