Droit dans ses bottes, Jacques Bourgeois, Conseiller national PLR (FR) et directeur de l’Union suisse des paysans (USP) répond aux question des Observateurs. Un bilan sans concession, quelques esquives et des vérités bien assénées. Interview.
Lesobservateurs.ch: Ces dernières années, la paysannerie suisse a fourni de réels efforts pour adapter sa production aux marchés de niche et à la spécialisation. Au vu de la situation actuelle, peut-on considérer que les petits exploitants ont été récompensés de leurs efforts ?
JB: Difficile de répondre à cette question. Les situations sont très différentes selon les entreprises concernées et la grandeur n’est pas un facteur de réussite. On constate cependant un développement positif dans les productions de niches et dans les activités proches de l’agriculture (para-agriculture). L’agriculture contractuelle est à ses débuts avec des initiatives très intéressantes surtout en Suisse romande.
Devant la masse d'exigences légales, bien supérieure aux pays voisins, pensez-vous que le paysan suisse joue jeu égal face à la concurrence des produits étrangers ?
Le paysan suisse ne joue pas à jeu égal face à la concurrence des produits étrangers. Il est pour cela primordial d’avoir notamment une identification claire des produits suisses. Dans ce sens, l’USP s’investit pour un Swissness avec des critères élevés : pour pouvoir bénéficier du drapeau suisse, nous demandons, comme le Conseil fédéral, qu’au moins 80 % de la matière première soit suisse. Nous demandons aussi le maintien de mesures de protection à la frontière.
Pensez-vous qu'il y ait moyen d'inciter la grande distribution à favoriser la consommation courante de produits suisses ?
Oui, car il existe une clientèle très intéressée par la provenance suisse des produits et les grands distributeurs jouent sur tous les tableaux : local et exotique, slow food et fast food, etc.
Une taxation à l'importation serait-elle suicidaire, n'existe-t-il pas un moyen de restaurer les chances de l'agriculture locale devant la concurrence étrangère ?
Il existe déjà des droits de douane sur les produits importés. Un renforcement de ces droits sur les importations des individus ne nous semble pas être une bonne solution pour lutter contre le tourisme alimentaire. Il faut agir par de l’information en remerciant les consommateurs qui achètent suisse et contribuent à l’essor de l’économie suisse. Le renforcement du franc suisse, dont nous ne sommes bien sûr pas responsables, ne nous facilite pas la tâche.
Accords de libre échange et souveraineté alimentaire
Quelle est la position de l'USP quant aux accords de libre-échange avec l'UE. Quelles perspectives ?
L’USP est opposée à un accord de libre échange agricole avec l’UE qui provoquerait une perte du revenu sectoriel de l’agriculture de prêt de 40 %. De plus l’effet sur les prix des denrées alimentaires serait relativement faible, moins de 10 %.
Sur notre site, M. le conseiller Grin semble dresser un tableau très sombre de l'issue que nous réserveraient des accords avec l'UE. Y a-t-il, selon vous, danger réel de pertes d'emploi dans l'agriculture avec, pour conséquence, un abandon des meilleures terres arables du Plateau à la promotion immobilière au détriment d'une production agricole devenue peu rentable ?
Nous partageons l’approche de Monsieur Grin. Les pertes seraient avant tout économiques et sociales avec une diminution importante et rapide de nombreuses exploitations agricoles. Le secteur de mise en valeur des produits agricoles serait aussi fortement touché et devrait faire face à une profonde restructuration avec de nombreuses pertes d’emplois.
Quelle est la définition de la souveraineté alimentaire de l'USP ?
L’USP s’appuie sur la définition de la Via Campesina (Mouvement Paysan International, ndlr) en l’adaptant aux conditions suisses avec les axes suivants : renforcement des organisations de producteurs, maintien du taux actuel d’auto-approvisionnement, mise en place d’une stratégie de qualité et renforcement des liens entre producteurs et consommateurs.
L'USP rejoint-elle l'UDC dans ses conclusions relatives à la souveraineté alimentaire ?
L’USP a sa propre approche de la souveraineté alimentaire.
Ne sentez-vous pas une légère lassitude, au Parlement, de la part des partis de gauche et de centre droite, plus urbains, devant une agriculture suisse que tout semble condamner ?
Non il n’y a pas de lassitude, mais des attentes nombreuses et des niveaux très hauts, parfois contradictoires, par exemple entre la nécessité de produire à des prix peu élevés et la nécessité de protéger le paysage, le bien-être animal et l’environnement. Nous militons pour une agriculture multifonctionnelle, ce qui est un défi important.
Ecologie pratique
N'y a-t-il pas, somme toute, un certain manque de logique à consommer d'abord des tomates méditerranéennes avant nos tomates suisses. N'y aurait-il pas un bénéfice écologique et pratique à consommer d'abord les produits du cru avant de faire concurrence à notre propre marché avec des produits, aux critères de qualité moins élevés, venus de toute l'Europe, voire du monde ?
Le slogan de notre campagne d’image est : «Proches de vous. Les paysans suisses ». Oui, nous partageons ce principe et défendons une agriculture de proximité. Nous communiquons d’ailleurs dans ce sens, en étant conscients que le consommateur garde sa liberté d’achat.
On sait l'USP peu encline à admettre les produits transgéniques. Quels sont les risques ? Cette position est-elle appelée à évoluer ?
L’USP est favorable à une prolongation du moratoire sur les OGM, tout d’abord car la majorité des consommateurs suisses n’en veut pas, ensuite car les OGM impliquent une certaine dépendance et, finalement, car les OGM actuels n’offrent pas dans les conditions suisses des plus-values techniques et économiques importantes. Cependant l’USP est favorable à la poursuite de la recherche dans ce domaine.
Divers chercheurs ont reconnu que la sélection de certains plants de tomates dans les années 50 pouvaient être à l'origine de la disparition de leur goût. La population rechigne à consommer fruits et légumes sans goûts, à peine mûrs et gorgés d'eau. Cette réticence n'est pas sans conséquence sur l'état de santé général. En a-t-on bientôt fini avec cette façon de faire ? Quels remèdes pour renouer avec le goût ?
Il faut une agriculture diversifiée et des consommateurs critiques. Un renforcement du lien consommateurs producteurs doit être obtenu. L’USP y travaille.
Voila qui est bien pensé et bien dit.Alors que les paysans axent leur publicité sur la proximité d’avec les consommateurs il faudrait souligner aussi la qualité de leurs produits pour la santé.