Mémoire vive

Tandis que le souvenir des allocutions des Conseillers fédéraux sombre silencieusement dans un oubli aussi profond que l’ennui qu’elles suscitent, Le Temps veut corriger l’UDC jusque dans le moindre détail. Quand l’idéologie ne rencontre pas l’histoire.

Alors que Pascal Décaillet reconnaît volontiers, dans sa chronique du jour au Nouvelliste, que les discours de 1er août des Conseillers fédéraux  « ont toujours été, pour tout le monde, un abominable pensum », que chacun les oublie par conséquent de bon coeur, Le Temps ne peut s'empêcher de relever celui du Conseiller fédéral UDC.

Il faut dire que le quotidien genevois se sent investi d'une mission à chaque fois que l'UDC ouvre la bouche. Ou serait-ce alors que l'exemple choisi cette année par Ueli Maurer tombait à ce point juste qu'il réclamait à tout prix cette indispensable entreprise de correction idéologique.

La faute d'Ueli Maurer est d'avoir osé comparer l'Union européenne à l'empire napoléonien et l'inconsistance de certaines autorités confédérées d'alors à celle qui peut se constater aujourd'hui.

Un spécialiste

Que la droite ose empiéter sur le monopole de la culture et l'offense est irréparable. « Un spécialiste bondit », sous-titre Le Temps pour lancer une énième sommité dans l'arène, Alain-Jacques Tornare en l'occurrence, auteur, notamment, de « La Bérézina: Suisses et Français dans la tourmente de 1812 » sorti pour le bicentenaire.

« C’est une instrumentalisation de l’histoire à des fins politiques qui confine au mensonge. On utilise l’histoire comme moyen de division entre les Suisses, c’est inquiétant », s’insurge-t-il » écrit Le Temps; le scientifique va parler. Il va parler, et, sous la plume d'Yves Pétignat, dire que la Suisse n'avait pas d'autres choix que de céder là où tant d'autres devaient succomber. « Comment la Suisse aurait-elle pu résister seule à la puissance napoléonienne  alors que l’Espagne, la Prusse et l’Autriche ont fini par plier ? La Confédération était entourée par des nations soumises à Napoléon ». Ceci étant dit pour terrasser, une fois pour toutes, « un amalgame médiatique destiné à valoriser l’esprit de résistance ».

Géométrie variable

Il est tout d'abord curieux de constater comment le même argument, la collaboration, employé pour fustiger une mémoire plus récente, peut servir ici de justification. Obligatoire et toujours insuffisante devant le fascisme, la résistance semble manquer de fondement et d'opportunité devant les idéaux révolutionnaires.

Toute résistance est inutile, tel est le message diffusé en boucle depuis 20 ans dans le cadre de l'intégration européenne. L'Empereur a gardé longtemps ses fidèles, même après Sainte-Hélène.

Détail

Or le maintien de la souveraineté était-il réellement impossible, les Confédérés ont-ils manqué de faire tout ce qui était en leur pouvoir comme semble insinuer le Conseiller fédéral UDC ?

Premièrement, les cantons suisses n'ont pas été conquis par Napoléon mais par le Directoire. Napoléon n'est même pas encore Consul, mais ce n'est qu'un détail. L'invasion commencera le 24 décembre 1797, au prétexte de « libérer les  populations opprimées ». En mars 1798, Berne capitulera sans avoir livré bataille. A cette époque, ni l'Espagne, ni la Prusse ni l'Autriche ne sont encore vaincues.

Résister

Le 2 mai 1798, Aloys de Reding prit la tête des troupes schwytzoises et arrêta, pour un temps, l'avancée française à Rothenthurm. En Espagne, son frère, Théodore, à la tête des régiments suisse au service du roi, impose, à Baylen, leur première grande défaite aux armées de l'Empire et fait perdre définitivement l'Espagne aux Français. Son frère, Nazare, lui succédera au même poste, ce qui fera dire à l'Empereur: « Partout où je vais en Europe, je trouve un Reding en face de moi ».

Napoléon connaissait la valeur des soldats suisses pour n'avoir dû son salut qu'à leur sacrifice sur la Bérézina. De retour de l'île d'Elbe, il sait ne pouvoir s'en passer à l'heure du grand affrontement qui prendra lieu à Waterloo. Or les cantons ne reconnaissent plus « l'Imposteur ». Napoléon tente tout, pressions, menaces, faveurs. Au colonel Charles d'Affry, qui lui rappelle qu'il est d'abord aux ordres de son pays, Napoléon hurle « d'Affry, je saurai bien vous faire céder », la réponse fuse: « Sire, on ne fait pas céder les Suisses comme les Français ! ».

Richesse

L'exemple de Baylen, qui opposa tragiquement deux régiments suisses de chaque camp, suffit à prouver le potentiel militaire de notre pays à cette époque. Sa richesse en homme et en bravoure n'est plus à démontrer, et la capacité a certainement moins manqué que la volonté.

Reconnaître dans les grands élans révolutionnaires les velléités totalitaires qu'il portent en eux ne paraît pas exagéré, pas plus que de considérer l'espoir de leur tenir tête jusqu'à ce qu'ils s'effondrent, et ils s'effondrent toujours.

Le rappel à l'ordre du Temps fait tout au plus penser à cette dialectique de terreur et de démoralisation, celle-là même qui dût avoir raison de nos autorités en 1798. Il faut y résister.

Et vous, qu'en pensez vous ?

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