Un exemple entre mille mais des plus flagrants: Les Simpsons.
Tout a commencé il y a plus de 20 ans avec une terrible erreur de casting: un génie, Matt Groening, agnostique, libéral et foncièrement démocrate, approché par la Fox, filiale du groupe Murdoch, monstre de l'audiovisuel républicain, les deux bottes bien ancrées dans le limon profond de l'Amérique la plus réactionnaire. La famille la plus célèbre des Etats-Unis était née.
Sentant venir le vent, l'équipe de Groening avait prévu une clause réservataire dans son contrat, qui interdisait à la Fox d'interférer en quoi que ce soit avec le contenu de l'émission. La Fox débutait, elle accepta.
Succès planétaire
Ce furent alors deux décennies d'humour délirant où l'Amérique contemporaine en prit joyeusement pour son grade. Petite préférence toutefois, cela va de soi, pour les Républicains, Fox en tête, empire du mal incarné par Charles Montgomery Burns, vieil aristocrate capitaliste égrotant, directeur de la centrale nucléaire de Springfield où travaille Homer, le père de la famille Simpson. La bigoterie n'est pas en reste avec l'inénarrable Ned Flanders, caricature de cul-béni évangéliste dans toute sa splendeur et souffre-douleur favori d'Homer.
En 20 ans, tout y passe, institutions, politique, écoles, justice, médias, drogue, famille et même l'immigration du travail avec une invasion de norvégiens blonds aux yeux bleus menaçant les emplois de Springfield. Après avoir construit une muraille pour protéger sa ville, Homer, prototype de l'américain moyen victime de la pensée républicaine, change d'avis et tout le monde de danser, main dans la main, sur le générique final. Sans être forcément subtile, l'écriture est bien tempérée et l'on rit de bon coeur, parfois même de sujets graves et toujours d'actualité.
Nouveau regard
Seulement voilà, on ne fait pas de l'impertinence son fond de commerce sans devoir se renouveler un peu. En 20 ans, la fatigue peut se faire sentir et les critiques ne manquent jamais. Si certains puristes ne jurent que par ce qui précède la saison 9, la majorité s'entend pour constater un sérieux coup de mou depuis les années 2000. Le fait est que la série ne fait plus s'insurger politiques en mal de publicité et stars de la moralité depuis un sérieux bout de temps. Dernière alerte en date, la menace de la Fox, suite à des baisses d'audience, de ne pas reconduire le show pour une 23e saison; menace restée sans suite pour la plus grande joie des millions de fans de Bart, Homer, Marge, Lisa et de la petite Maggie.
Du coup la 23e saison renoue avec le premier ingrédient du succès en télévision, le scandale. L'épisode 9, le numéro de Noël, «Holidays of Future Passed», présente une vision trash d'une Amérique du future. Parmi les projections, certaines sont conformes à la pensée dominante: Photos de vacances d'Homer et Marge faisant de la plongée dans un New-York submergé par les eaux ou un trek en chameau dans un pôle sud désertique brûlé par le soleil.
D'autres, en revanche, sont plus caustiques: divers états des Etats-Unis ne célébrant plus Noël en décembre, décorations holographiques devant la mairie affichant divers symboles religieux mais un cercle barré en lieu et place du signe chrétien, l'état du Michigan sous la charia et un final où les enfants de Bart concluent par ces mots: «Oh, papa, tu nous a appris la vraie signification de Noël, ce que les écoles n'ont plus le droit de faire aujourd'hui»; grinçant.
L'épisode 20, «The Spy Who Learned Me», fait pire encore, dans un pastiche de Super Size Me, le réalisateur, mourant à force d'ingestion de hamburgers, dramatise sa fin à l'écran déclamant qu'il lui reste à peine la force de signer un formulaire de candidature pour l'Oscar du meilleur documentaire. Apparaît alors un exemplaire avec deux cases à cocher: «Regarding film: - Holocaust related, - Non-Holocaust related», «Documentaire: - Lié à l'Holocauste, - Non lié à l'Holocauste».
Acide
L'on ne s'arrêtera pas à l'acidité de la chose, qui, d'ailleurs, n'a fait broncher personne outre-Atlantique. Privilège exclusif du bouffon que de secouer violemment les préjugés sous le nez des puissants. Ce qui est remarquable ici, de l'aveu même d'un amuseur public au bénéfice plus de vingt ans de pratique, c'est la lente transposition des sujets d'indignation, la métamorphose complète des horizons mentaux en quelques années.
L'humour, en révélateur éternel des équilibres à retrouver, semble donner la mesure aujourd'hui des nouvelles forces en présence de la pensée. A la longue, la correction politique lasse et finit par user jusqu'à ses plus ardents défenseurs. A en croire, même, que c'est, en fin de compte, la nature humaine, par ses faiblesses, qui sauvera le genre humain.
Et vous, qu'en pensez vous ?