La grande faucheuse a fait son œuvre
Voilà, le résultat de l’élection présidentielle est connu.On sait que les Français ont choisi François Hollande et que, s’il est battu, Nicolas Sarkozy a néanmoins réalisé une performance honorable.
En tant que Président sortant, il avait contre lui:
- le fait d’avoir exercé le mandat, nous ne disons pas le pouvoir, les sortants ont toujours un handicap
- le fait d’avoir débuté à contretemps sur un programme de libération des énergies et de déculpabilisation de la richesse
- le fait de n’avoir pas explicité solennellement la rupture survenue en cours de mandat, de ne pas en avoir tiré les conclusions par un changement d’hommes et de politique
- le fait d’avoir été entouré par des stratèges superficiels, politiciens, voire idéologues, incapables de saisir les glissements tectoniques qui se produisaient au sein du système français et européen.
D’une certaine façon, et pour caricaturer, Sarkozy a été prié de quitter le palais présidentiel parce qu’il s’est présenté comme capable de protéger les Français, sans bouclier pour lui même, contre le cours de l’histoire, la modernité, la crise, le tout ensemble.
La tâche était démesurée, nous-mêmes pensons qu’elle était impossible, mais, en plus, avec des analyses fausses, des conseillers étriqués et il faut bien le dire, sans réel allié de poids, il n’avait aucune chance. Vu sous cet aspect, les résultats de l’élection sont en sa faveur, s’il n’avait pas eu des qualités exceptionnelles, une combattivité hors normes, le score aurait pu être infamant.
Bien entendu, les idées que nous développons sont réductrices et, nous le disons tout de suite, les événements sont surdéterminés, ils ont de multiples causes, enchevêtrées.
En sortir une ou plusieurs est un choix d’exposition, ce n’est absolument pas prétendre que les autres n’ont pas leur importance.
La stratégie de Sarkozy était fondée sur la crise. Elle était centrale dans son dispositif.
Tout s’est passé comme si l’axe était: la crise est là, elle est terrible, j’ai fait ce qu’il fallait, j’ai joué un rôle de leader dans le traitement de cette crise, je dois continuer, vous avez besoin de moi.
Déjà, dans cet axe, il y a une contradiction. On ne peut faire passer au peuple que des messages primaires. Ou bien on a réussi, ou bien on a échoué.
Le message dialectique selon lequel la crise est encore là et je dois continuer ne passe pas. C’est le fameux grand écart qui consiste à dire une chose et son contraire, conformément aux mouvements du réel, mais c’est inacceptable pour les peuples fonctionnant en masse, en foule, en noir ou blanc.
Ensuite, il y a le calendrier et le balisage du terrain de combat. Pour que Sarkozy ait un avantage en choisissant cet axe, il eut fallu planter le décor de l’élection plus tôt et plus fermement. Il eut fallu imposer dans les médias le thème de la crise, il eut fallu que toute la droite, tout le monde aille dans ce sens. Ayant échoué à imposer le cadre de la crise comme cadre de l’élection, Sarkozy s’est battu sur ce terrain comme Don Quichotte, seul contre les moulins à vent, les adversaires l’ayant délaissé.
Ceci explique que vous ne voyez aucun programme cohérent de lutte et d’adaptation à la crise dans les programmes de gouvernement. Nous laissons de côté les extrêmes qui ont peut-être raison, mais qui sont hors d’actualité.
La crise, que les opposants ont perçu comme favorable à Sarkozy, ont choisi, à juste titre, leur objectif unique étant de gagner des voix, ils ont choisi de l’escamoter ou de n’en parler que de façon vague et creuse.
Il est possible aussi qu’on leur ait conseillé de ne pas être trop clair, car après clarification, il serait apparu que, à part quelques détails, les propositions des candidats dits de gouvernements étaient les mêmes. Blanc bonnet, bonnet blanc.
Et cela, le système ne voulait pas que ce soit dit. Il faut maintenir le mythe d’une alternance, d’une opposition, bref le mythe de la démocratie.
Les conseils et l’entourage de Sarkozy ont pressenti le problème et compris qu’ils allaient à l’échec si on restait sur le terrain de l’alternance social-démocrate de droite contre social-démocrate de gauche et ils ont essayé de raidir, de durcir, de, comme ils ont dit, débusquer Hollande. De le placer sur le terrain réel. Ils ont été jusqu’à lui affubler des noms d’animaux particulièrement fuyants et glissants. Peine perdue, faute pour la droite de contrôler les médias, le thème s’est retourné contre eux, Hollande n’est pas entré sur le champ de bataille, il a continué à esquiver et la droite s’est discréditée par ses qualificatifs déplacés.
Notre idée est que, dès le départ, les conseillers de Hollande ont compris une chose fondamentale, à savoir que Sarkozy était battu d’avance et qu’ils n’avaient qu’une chose à faire pour ramasser le pouvoir, ne rien faire, ne pas faire de bêtise, ne pas faire d’erreur.
Hollande a bien tenu sa feuille de route, a minima, se contentant de travailler la forme, son style, son personnage, son aisance, tout en débitant quelques litanies classiques pour conforter les projections du peuple de gauche sur sa personne. Hollande a constitué un réceptacle, une forme en creux, lisse, pour récolter les projections anti-Sarkozy et les rêves pro-socialistes, anti-effort, du peuple.
Tout ceci nous conduit à une idée centrale qui ne doit pas passer inaperçue. Hollande n’a pas payé cher son élection. Il n’a pas dû promettre grand chose, il n’a pas fait beaucoup de promesses claires, manifestes; il a gagné son élection presque sans dette vis à vis de ses électeurs. Et cela est très important. Avec une élection à coût minimum, il a, à ce stade, les mains libres. Son apparence de programme est très mince, en plus ce n’est pas celui du PS, il l’a réaffirmé, ce n’est pas celui de Mélenchon. Mélenchon est d’ailleurs en train de faire le grand écart entre les anciens LCR et le PC et les syndicats pour s’en sortir. Mélenchon est dans la seringue.
Le fait de ne pas avoir de dette manifeste, de ne pas avoir promis grand chose est déterminant, mais cela a des limites. En effet Hollande n’a pas de dette explicite, mais il a des dettes latentes vis-à-vis du peuple de gauche. On a voté sur une image, une forme en creux et d’une certaine façon, on en attend quelque chose même si ce n’est pas explicite.
La culture de gauche est là et elle attend des gestes, des signaux.
Hollande aura-t-il la même habileté à retarder, à maintenir dans le flou, les décisions et orientations implicitement attendues. Cela reste à voir.
Maitrisera-t-il les forces que sa victoire va libérer? Forces de revanche, forces de libération, forces de haine quelquefois. Saura t-il imposer l'austérité qui est au centre, enfouie au cœur de son programme, bien dissimulée? Saura t-il canaliser les aspirations à plus de jouissance et moins de morosité?
C’est dans cette épreuve de vérité, dans cette confrontation au réel qu’il se révèlera. N’est-il que ce qu’il est, ou bien est-il un autre Hollande que personne, pas même ses compagnons socialistes n’ont eu l’occasion de connaître?
L’analyse de Bertez est, pour une fois, sans trop de parti-pris. C’est brillant et limpide : merci.
On reste toutefois sur sa fin en cela que nulle proposition n’est faite, mais il est bien évident qu’un édito n’est pas un programme politique.
Les commentaires qui ont précédé le mien, tout comme la papier de l’auteur, semblent tous révéler l’incapacité culturelle du peuple de France à lutter contre ses vieux démons, soit :
– Le manque de courage : tant en terme d’analyse que de prises de décisions,
– Une arrogance qui vient de loin : vivre sur des siècles d’acquis mène à l’inconscience,
– Une passion létale pour une forme d’inquisition chronique, élan nourri par la jalousie et la haine de la différence.
“Liberté, égalité, fraternité”, plus qu’une déclaration des droits de l’homme, devient en définitive, une déclaration de guerre contre le droit à l’autonomie au sein de la société civile.
A peu de chose près, M. Bertez a raison. Son papier est un modèle de finesse et d’objectivité, mais comme les modèles ne sont jamais suivis (ou presque jamais) il en restera une exception.
Ce qui m’a frappé dans cette campagne présidentielle c’est le déferlement de concepts et de slogans communistes, collectivistes, révolutionnaires, jacobins, éculées, émasculés par l’histoire récente. Entendre Mme Artaud et voir ses rictus tchékistes en évoquant les possibles représailles envers les riches en cas de victoire, les rodomontades de Mélenchon, ce très talentueux bateleur, ou la préstation du pauvre Poutou, donne à réfléchir sur le niveau de culture politique du peuple de France. Sans oublier les proposition issues de la lutte des classes sorties du vétuste arsenal socialiste par François Hollande, ni la nullité affligeante d’une “zombie verte”, je pense à Mme Jolly. Ceci me projette en arrière de trente cinq ans, quand des amis et parents, réfugiés politique de l’Est, comme moi, ont choisi de quitter la France pour le Canada.
Manichéisme, fuite devant l’effort, égalitarisme, myopie, le choix du très court terme, mauvaise fois et j’en passe, voilà ce qui caractérise aujourd’hui les Français. En regardant de plus près, la mentalité grecque n’est pas très loin. Pour vu que la ressemblance s’arrête ici. Peut-on se réjouir?
Il y a beaucoup d’âneries de tout bord dans les commentaires “pro” et “contra” à l’issue du résultat de la présidentielle française. Mais cette analyse-ci est d’une grande finesse et montre l’intelligence de son auteur. Ah! si tous les éditorialistes montraient cette finesse, le “peuple” serait plus intelligent aussi.
Encore bravo pour cet article. René
Que Nicolas Sarkozy ait eu à affronter la réalité d’une crise difficile est parfaitement vrai, le fait qu’il s’en soit assez bien tiré dans des domaines circonscrits aussi, mais il y a une chose que les électeurs français n’ont pas supportée, c’est cette manière ostensible d’aimer le frivole, le futile, le people, le fric, la nouba, les yachts et les Rolex. Bref, c’est la seconde fois que la gauche prend le pouvoir après un président orléaniste. La droite orléaniste est une catastrophe en république, et elle en a fait les frais… pour la deuxième fois après Giscard.
Quant à la position du Front national, en ne soutenant pas la droite, elle ressortit à la position de notre UDC genevoise, qui préfère d’une part faire le jeu de la gauche en soutenant le MCG, et d’autre part faire le lit à un mouvement qui s’approprie son électorat de base parce qu’il chasse sur les mêmes terres populistes.