Présidentielles françaises: Suisses pas rancuniers

Henry Spira
Henry Spira
Auteur du livre "La frontière jurassienne au quotidien 1939-1945"
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L’actuel Président de la France, Nicolas Sarkozy, s’est récemment permis des remarques blessantes envers le pays des Helvètes Il ferait bien de se souvenir que la pire des choses consiste à initier des querelles entre voisins aboutissant inéluctablement à des empoignes paroxystiques.

Au cours de sa campagne électorale, le Président Sarkozy revisite les coins et recoins de l'Hexagone, les sites industriels en passe d'être démantelés. Les bains de foule? Il adore. Au récent Salon de l'Agriculture, sous de nombreux regards bovins et caprins, il joue à la pavane, de même que ses concurrents, s'échangeant vannes et vacheries.
Cela étant, il serait bénéfique pour cet acharné candidat, qu'il rafraîchisse ses connaissances concernant les relations de la France avec son voisin d'Outre-Jura, sans vouloir remonter jusqu'à Charles le Téméraire. Voyez plutôt :

− La Suisse ? Certains ne l'aiment pas. L'avant-dernier fut le libyen Mouammar Kadhafi, précédant Nicolas Sarkozy. Que ce dernier n'ait jamais rendu de visite officielle en Suisse, je l'admets. Mais il y vint sûrement incognito, de même qu'au moins une fois à Davos au World Economic Forum.

− Qu'il sache que Louis XIV, le Roi-Soleil, avait renouvelé un traité d'alliance perpétuelle avec les Suisses le 18 novembre 1663, sous les voûtes de Notre-Dame-de-Paris, signé auparavant, le 6 octobre 1602, par Henri IV. On pourrait citer de même le massacre des Suisses aux Tuileries le 10 août 1792, et les grognards suisses décédés dans la campagne de Russie.

−  En revanche, sous Napoléon Ier, les troupes françaises envahissent la Suisse, agissant en pays conquis, sous les ordres des généraux von Schauenbourg et Rapp, ce dernier étant connu pour ses rapines jusqu'aux Grisons, incitant même ces Messieurs de Berne à camoufler  sous une couche de suie la petite cloche en argent massif annonçant les baptêmes depuis la cathédrale.

−  L'Evêché de Bâle, Jura compris, de même que Genève deviennent des départements français, mais  sont réintégrés à la Suisse par le Traité de Vienne signé en 1815.

Français accueillis en Suisse

Les Suisses ne sont pas rancuniers. Ces méfaits gaulois sont oubliés depuis belle lurette. A preuve:

−  Elevé au château d'Arenenberg, surplombant le lac de Constance, instruit à l'Ecole polytechnique fédérale à Zurich, un capitaine d'artillerie des troupes bernoises, après un détour par la Belgique et la présidence de la France, devient l'Empereur Napoléon III.

−  En janvier 1871, par un froid sibérien, les 87000 hommes du Général Bourbaki en pleine déroute, se présentent au poste des Verrières. Ils seront réconfortés, soignés, puis internés en Suisse et rentreront en France six  semaines plus tard.

−  Au cours de la première guerre mondiale, des lazarets suisses fonctionneront à l'arrière des troupes françaises. Le chirurgien Juillard de Porrentruy s'y fit la main. Nombre de grands blessés de l'armée française, de même que ceux gravement atteints dans leur santé furent pris en charge en Suisse.

−  Dès juin 1940, fuyant les attaques de la Wehrmacht et de la Luftwaffe, des dizaines de milliers de civils français sont provisoirement accueillis en Suisse via l'Ajoie et les Franches-Montagnes. La plupart d'entre eux seront rapatriés fin juillet 1940.

−  Le 45e Corps d'Armée du Général Daille, soit 45.000 hommes, menacé d'encerclement par l'armée allemande, est interné en Suisse. Plus de 30.000 soldats français et des troupes coloniales seront rapatriés fin janvier 1941 en zone Sud. Les 10.000 hommes de la division polonaise resteront internés en Suisse jusqu'en 1945.

−  Durant toute la guerre, des dizaines de milliers d'enfants de même que des dizaines de milliers de civils français  trouveront aide et asile en Suisse durant des mois, voire des années. Parmi eux, on peut citer Xavier et Jacques de Gaulle et leur proches, épouses et enfants, soit 18 personnes au total, disséminés à Nyon, Fribourg et en Gruyère.

−  Citons, pour rafraîchir la courte mémoire de nos voisins d'Outre-Jura, tous les éminents servies rendus par la Suisse, les services de l'armée et du Col Masson du SR, à la résistance française, bien implantée en territoire suisse.

−  Relevons de même les versements internes  effectués auprès de succursales de banques suisses à Londres en faveur de la Résistance intérieure et remis aux émissaires en Suisse par la SBS à Genève.  Il s'agissait de millions de francs suisses convertis en francs français. Les responsables de la Résistance empruntaient sans entraves le territoire helvétique de Genève en Ajoie ou vice-versa. On pourrait citer le Général de Bénouville, voire le Général Giraud, le Prof. Jacques Monod, d'autres encore: le Col. Groussard, François de Menthon, Jean Médecin, Pierre Mendès-France, de même que ses père et mère, Mme Joliot-Curie séjournèrent en Suisse.

Les aides occultes de la Suisse

Il est important de citer les aides occultes sur le plan financier, accordées par la Suisse et ses autorités à la France, durant les hostilités de même qu'après guerre:

−  Les lecteurs apprendront qu'en pleine guerre, durant l'année 1941, via la ligne de chemin de fer Annemasse-Thonon-Evian-St.-Gingolph/France- Le Bouveret/Suisse, surnommée "La Ligne du  Tonkin", des quantités importantes d'or en barres et en pièces d'or, provenant du Crédit Lyonnais arrivèrent en Suisse, puis furent déposées auprès de la Banque Nationale Suisse par l'Ambassade de France.

−  Par la même voie, mais en provenance de la Banque de France, dix envois d'or en lingots et pièces en or parviennent en Suisse entre le 20 janvier l942 et le 9 novembre 1942,  soit deux jours avant l'occupation de la zone Sud par la Wehrmacht. Au total 833 caisses et sacoches d'un poids net de 36'180 kilos d'une valeur de un milliard six cent trente-six millions de francs (francs français de 1942). Tous ces envois furent réceptionnés par l'Attaché financier de l'Ambassade de France à Berne se trouvant à chaque fois à l'arrivée du convoi au Bouveret. Ce pactole fut déposé auprès de la BNS à disposition de l'Etat français via son Ambassade et servit ultérieurement à la Résistance.

−  Début 1952, les finances de la France étaient exsangues. Le 8 mars 1952, Antoine Pinay devient président du gouvernement français. Il lance fin mai l'emprunt Pinay 3¼% avec garantie or. L'anonymisation du marché officiel de l'or est décrétée. Les français peuvent donc monnayer le contenu de leurs lessiveuses en toute impunité. Tout cet or surgi de nulle part,  via les banques, est offert aux bourses de Paris et de Lyon. Un seul acheteur: l'Office de stabilisation des changes, dépendant de la Banque de France, le paiement s'effectuant en francs-papier. Cet or est immédiatement revendu aux grandes banques suisses. Les livraisons à Genève ou Zurich s'effectuent par Air-France. La contrevaleur en US $ est versée sur les comptes de la Banque de France aux Etats-Unis.

−  Chaque jour ouvrable, plusieurs centaines de kilos d'or parviennent en Suisse, augmentant d'autant les réserves en US $ de la Banque de France. Quant à l'or, il est racheté par diverses filières et retourne impunément en France puis parvient à nouveau sur le marché boursier!
Le lancement de l'Emprunt Pinay, de même que les opérations décrites ci-dessus, ont bénéficié de l'aide active des banquiers de la Bahnhofstrasse, ainsi qu'Antoine Pinay l'avait confirmé lors d'une émission de Bernard Pivot, au cours de laquelle Jean Ziegler – encore lui – s'en était pris  aux gnomes de Zurich.

−  Enfin, il serait bon de rappeler à M. Sarkozy que plus de 130'000 frontaliers français viennent quotidiennement en Suisse pour y travailler à l'instar des Suisses. Le produit de leur travail est imposé, dont une part importante est ristournée aux autorités françaises. C'est tout à l'avantage de la France, diminuant d'autant le taux de chômage en France.

Il  n'est pas question, dans nos propos, de nous immiscer dans la campagne présidentielle actuelle, à quatre semaines du premier tour. C'est au peuple de France de choisir, en tout indépendance, celui qui présidera, dès 2012, aux destinées de la République française.

6 commentaires

  1. Posté par François Etienne le

    …. Les chiens aboient, la caravane passe ! La France impérialiste, donneuse de leçon par ses élites et sa culture en déliquescence faisant honte à l’Ancien Régime, n’a qu’a bien se tenir et conserver profil bas, nous les Suisses qui acceptons ses frontaliers. Point à la ligne, Monsieur Sarkozy..

  2. Posté par Marie-France Oberson le

    Et que dire de l’attitude inqualifiable envers la Suisse de son ancien ministre Eric Woerth , rattrapé par l’affaire Bettancour?!
    Un Eric Woerth qui pourtant ne s’était pas gêné pour venir récolter des millions- et des voix- auprès des “évadés fiscaux” français pour financer la campagne de Sarkozy en 2007 !

  3. Posté par Noël Cramer le

    Un grand merci à Henry Spira pour sa mise en contexte efficace des débats qui entourent les élections françaises. M. Spira est un historien qui se qualifie parfois de “bricoleur”. Ce terme est un aphorisme, car il utilise la rigueur scientifique de sa formation d’ingénieur alliée à sa connaissance précise de l’histoire pour faire une analyse dépourvue d’idéologie de l’histoire contemporaine. On peut citer son remarquable livre “La frontière jurassienne au quotidien 1939-1945”, Ed. Slatkine, 2010. On se souviendra aussi peut-être de sa mise en évidence des dérives idéologiques et des travaux peu professionnels de divers historiens dans le cadre du Rapport Bergier, il y a une dizaine d’années.

  4. Posté par Pierre Grosjean le

    Ah ce sacré “von Scharkosy” comme ils se plaisent à dire en Hongrie (on grille),
    Ce petit noble parvenu d’Hongrois, qui était avocat-consultant externe dans une Banque privée genevoise de renom, sait exactement où frapper et il ne démord pas. J’espère que la vraie France sera à nouveau rendu à un fameux Français “veille France” de souche. Ainsi nous n’aurons plus de pro Habsbourgeois à la tête de la France et tout ira miieux…

  5. Posté par Cielia Beck le

    J’ai beaucoup apprécié l’article de Monsieur Spira et je l’en remercie.
    J’ai appris beaucoup de choses que j’ignorais. Le jour où les dirigeants Français deviendront moins arrogants envers les autres pays et principalement envers le nôtre parce qu’il va bien économiquement et politiquement et d’en tirer les leçons afin d’essayer de les mettre en pratique chez eux, alors on vivra en harmonie….

  6. Posté par Derek Doppler le

    La France ? L’Afrance ou la Rance plutôt. L’appellation n’a pas changé, mais ce territoire tiers-mondisé et en pleine dislocation n’a plus rien à voir avec la France, si ce n’est cette sempiternelle arrogance devenue parfaitement insupportable vu le niveau de médiocrité effarant atteint par cette ripoublique à l’agonie. Il est bien temps de tirer la chasse.

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