Les boulets de Kofi Annan et sa mission en Syrie

Fabio Rafael Fiallo
Fabio Rafael Fiallo
Economiste et écrivain
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Rwanda 1994. Les bombes et les tirs de mitraillettes s’abattent sur les Tutsis. Les casques bleus de l’Onu se trouvent à côté, ayant pour mission de protéger la population civile. Mais ils ne reçoivent pas le feu vert du Conseil de sécurité pour intervenir. Et le chef des opérations de maintien de la paix de l’Onu garde le silence et s’abstient de réagir aux mises en garde, formulées par le chef des troupes de l’Onu au Rwanda, qu’un génocide se préparait[1]. Résultat : 800’000 tués.

Srebrenica 1995. Les troupes du général serbe Radko Mladic entament le « nettoyage ethnique » dans cette enclave musulmane, déclarée pourtant «zone sécurisée» par les Nations unies et placée sous la protection de 400 casques bleus. Mais ceux-ci ne reçoivent pas le feu vert du Conseil de sécurité pour intervenir. Et le chef des opérations de maintien de la paix de l’Onu s’abstient de mettre publiquement la communauté internationale devant ses responsabilités face à la tragédie en cours. Résultat : de huit à onze mille Bosniaques musulmans torturés et exécutés.

Le chef des opérations de maintien de la paix en question n’est autre que Kofi Annan, qui ensuite sera nommé secrétaire général de cette institution, celui-là même qui vient d’être sorti de sa retraite pour servir de médiateur dans la tragédie du peuple syrien.

Avec de tels précédents, le choix de M. Annan pour entamer des pourparlers en Syrie, en vue de parvenir à une solution négociée du conflit, est pour le moins discutable et surprenant.

Ayons tout de même l’indulgence de croire que, ayant tiré les leçons de ces échecs, Kofi Annan saurait désormais agir avec plus de fermeté, et d’humanité. Plusieurs de ses déclarations formulées après les événements du Rwanda et de Srebrenica conforteraient un tel espoir. En effet, en 1999, devenu secrétaire général de l’Onu, il présente ses excuses pour l’immobilité onusienne au Rwanda[2] et à Srebrenica[3] et déclare quelque temps plus tard: «à toute tentative de terroriser, chasser ou massacrer une population entière, il faut répondre avec fermeté par tous les moyens nécessaires»[4]. Enfin !

Or, voilà que douze mois après cet acte de contrition, des troupes sont dépêchées au Tibet par le gouvernement chinois pour y réprimer la contestation, ce qu’elles font sans ménagement, tirant à balles réelles sur la population civile.

Que dit alors Kofi Annan ? Eh bien, à une question posée par un journaliste au sujet des atrocités chinoises au Tibet, il répond: «La question soulevée n’est pas à l’ordre du jour des Nations unies»[5].

Il est vrai que M. Annan approchait la fin de son premier mandat de secrétaire général des Nations unies et avait les yeux rivés sur sa réélection. Il fallait donc éviter à tout prix un veto chinois contre sa candidature.

La «retenue» de M. Annan dans le passé aide à comprendre la façon dont il aura commencé sa nouvelle mission. La voici.

Arrivé à Damas, il déclarera à la presse qu’«une plus grande militarisation [du conflit] va aggraver la situation»[6].

Tout naturellement, cette prise de position provoque la furie du côté de la résistance syrienne[7], laquelle, faute de soutien militaire international, se fait annihiler par un régime, celui de Bachar al-Assad, qui ne se gêne pas d’employer tous les moyens militaires à sa disposition.

La déclaration de M. Annan ne fut pas à vrai dire un modèle d’efficacité diplomatique. Pourquoi se priver d’emblée de brandir un moyen de pression sur le régime syrien, notamment la menace d’une action militaire, alors que ce régime a démontré qu’il ne comprend que le langage de la force ?

Il eût été plus adroit d’affirmer qu’il fallait dans un premier temps donner toutes ses chances à la voie diplomatique, sans pour autant écarter – comme le fit Kofi Annan – l’option de la force en cas d’échec des négociations.

Cette déclaration se trouvait qui plus est en contradiction avec les leçons que le propre Kofi Annan prétend avoir tirées de Srebrenica. On ne peut pas en effet déclarer en 1999 qu’à toute tentative de terroriser un peuple il faut «répondre avec fermeté, par tous les moyens nécessaires», puis, en 2012, exclure d’entrée de jeu l’usage de la force en Syrie.

M. Annan ne quitta pas Damas sans faire une autre déclaration sujette à discussion : alors que la répression ne faiblissait pas en Syrie, il se dit «optimiste» quant à la suite des événements[8], ajoutant quelques jours plus tard avoir reçu, de la part du régime syrien, des réponses décevantes «jusqu’ici» à ses propositions[9].

Son but aurait-il été d’obtenir la prolongation de sa mission – quitte à créer de faux espoirs quant aux chances de celle-ci d’aboutir – qu’il ne se serait pas pris différemment.

A en juger par cette entrée en scène, les Syriens seraient bien avisés de ne pas trop compter sur les bons offices de M. Annan pour venir à bout de leur martyre.

 

[1] BBC News, « UN admits failure in Rwanda », 16 décembre 1999, et « UN admits Rwanda genocide failure », 15 avril 2000.
[2]Id.
[3] BBC News, « Kofi Annan apologises for Srebrenica », 11 octobre 1999.
[4] BBC News, « Srebrenica report blames UN », 16 novembre 1999.
[5] Déclaration reprise dans L’ONU et les droits de l’homme, de Jean-Claude Buhrer et Claude B. Levenson, Paris, Editions Les Mille et Une Nuits, p. 214.
[6] AFP, « Kofi Annan met en garde contre une plus grande militarisation du conflit en Syrie », 9 mars 2012.
[7] BBC News, «Syria crisis: Kofi Annan’s calls for talks spark anger », 9 mars 2012.
[8] BBC News, «Syria crisis : Annan ‘optimistic’ after talks with Assad », 12 mars 2012.
[9] France24, « Annan juge décevantes les réponses de Damas à ses propositions de médiation », 16 mars 2012

4 commentaires

  1. Posté par Livia Varju le

    Excellent article! Tout le monde semble avoir oublié que Kofi Annan est responsable de la mort de presqu’un million d’innocents. En effet je venais d’écrire sur ce sujet à BBC World Service, World Have Your Say juste avant de lire votre article! Il faudrait l’envoyer aussi à la Ville de Geneve qui a honoré Kofi Annan il y a environ 2-3 ans. Je voulais envoyer l’article à 4 personnes, mais il semble impossible de faire cela, il semble qu’il faut l’envoyer a une personne a la fois ce qui prend beaucoup de temps.

  2. Posté par Clelia Beck le

    Félicitations pour avoir décrit le comportement peu crédible de Monsieur K.Annan…lorsque l’on pense que cette personne soutient Monsieur Jean Ziegler…J’espère qu’une solution sera trouvée afin de faire cesser ces tueries…

  3. Posté par Stéphane Pictet le

    Et vous Monsieur Fiallo ? Qu’avez-vous effectué d’extraordinaire dans votre carrière ? Il est bien facile “d’observer” et de juger depuis un confortable fauteuil.

  4. Posté par Françoise Buffat le

    Bravo pour avoir osé écrire ce que nous sommes nombreux à avoir pensé.
    Cela étant, si K.A. n’était pas la personne la plus crédible à envoyer aux Syriens, un autre que lui aurait-il mieux réussi? J’apprécie d’autant plus la démarche sans bling bling du président du CICR qui, apparemment, a réussi à obtenir de la Russie qu’elle exige des Syriens un corridor humanitaire.

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