Quand un politique est en mal de présence politico-médiatique en Suisse, il peut toujours tenter de relancer la question des langues…
...et dans ce cas tenter de réchauffer par exemple la question du Schwizerdütsch, qui titille toujours certains Romands. Elle comporte même une charge émotivo-affective qui permet d’interpeller aisément bien des gens qui ont facilement une idée et surtout beaucoup de préjugés sur le sujet. Ils sont prêts à sortir de leurs gonds et à faire vibrer le gong. Ainsi va la vie de certains Romands à propos de «cette langue qui n’en est pas une» lorsqu’il est question du dialecte, des dialectes alémaniques.
Une belle occasion aussi de donner libre cours à des affects longtemps refoulés.
Ce n’est pas Tintin au Congo mais Tonio au Dialectoland
Après avoir décidé de s’installer à Berne pour apprendre ce foutu dialecte, peut-être sans beaucoup de réussite et sans avoir reçu toutes les ovations attendues, voilà qu’Antonio Hodgers dépose une initiative parlementaire, rien que cela, en vue d’obliger les Alémaniques à parler «le bon allemand» dans les plus hautes sphères étatiques.
Comme si cela ne suffisait pas, presque au même moment, le Conseil des Etats, rejette un postulat du jeune sénateur Raphaël Comte visant à garantir cette fois la représentativité des régions et des langues au sein du Conseil fédéral.
Si ces questions sont importantes pour garantir la bonne entente entre les cultures et les langues en Suisse, les réponses sont soit inadéquates soit très en retard sur les exigences de nos sociétés actuelles.
La représentativité des langues au Conseil fédéral, mais sans légiférer.
Pour ce qui est de la représentativité au Conseil fédéral, ce doit être un souci constant et de tout le pays. Mais il n’est pas nécessaire de légiférer pour autant. Ici aussi, il faut absolument éviter la tendance à la judiciarisation des problèmes car le remède est parfois pire que le mal. Ces défis devraient être vus à l’aune de la culture politique suisse; à savoir faire vivre et appliquer le fédéralisme, le pragmatisme et concrétiser la fameuse Unité dans la Diversité. En clair, il n’est pas possible d’obtenir en permanence une stricte représentativité des différentes langues et cultures au CF mais la volonté d’y parvenir doit être une préoccupation majeure, même si plusieurs législatures sont souvent nécessaires pour y parvenir. Aucune diversité, en l’occurrence, régionale ou linguistique, ne doit être trop longtemps absente du Gouvernement fédéral. Ce n’est pas dans la Constitution que doit être écrit cette nécessité mais dans la tête de tous les Suisses et pas seulement du monde politique. C’est cela l’état d’esprit politique suisse. Concrètement, en ce moment c’est l’absence du Tessin au CF qui est un vrai problème et qui contrevient depuis un peu trop longtemps à cet état d’esprit. Les Romands ne peuvent prétendre représenter durablement les Tessinois car ces derniers ne veulent plus être un simple faire-valoir des Romands et se contenter d’appuyer ces derniers en toute circonstance. Nous sommes à l’âge de l’affirmation des diversités et de leur volonté d’être pleinement reconnues.
En plus, le Tessin connaît en ce moment de graves problèmes et tensions et a d’importantes revendications envers la Confédération. Il y a le feu en la demeure et il est contraire à notre culture politique de laisser une région linguistique seule face à ses problèmes. Là il y a un vrai problème et qui n’est pas inventé ou réchauffé à des fins électorales. Réussir à le régler sans légiférer constituerait une grande victoire et reviendrait à revivifier l’une de nos spécificités politiques les plus essentielles.
L’obligation du bon allemand dans les hautes sphères étatiques
Rappel de quelques pesanteurs linguistiques suisses. Oui, le dialecte est la langue maternelle des Alémaniques. Oui ils deviennent quasiment bilingues en apprenant le bon allemand. Oui ils ne sont pas tous et toujours aussi à l’aise que les Allemands dans cette langue seconde et nombreux sont ceux qui n’aiment pas trop la pratiquer.
L’élite culturelle alémanique et le peuple
Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que l’élite culturelle alémanique, qui est elle presque aussi à l’aise que les Allemands avec ce bon allemand, vient volontiers au secours des Romands plaintifs en montrant fièrement que eux sont à la hauteur et qu’ils s’attendent, eux aussi, à ce que l’ensemble de leurs confrères alémaniques se mettent davantage au bon allemand. Réflexe de classe mais incompréhension de ce que représente une langue maternelle pour les milieux sociaux qui ont vécu principalement avec elle. Certes, tout le monde doit faire des efforts mais est-ce aux bons élèves de faire la leçon aux «mauvais élèves» en leur demandant de devenir aussi brillants qu’eux. Si c’était si simple nous n’aurions que des génies dans les écoles.
Tempi passati
Certains Romands ne se rendent pas compte que les réalités sociales et linguistiques ont bien changé. Attention à la condescendance , voire à l’arrogance du minoritaire envers le majoritaire. La Suisse connaissait une situation exceptionnelle: le majoritaire alémanique apprenait plus facilement la langue du minoritaire francophone que l’inverse. C’était dû au prestige international du français, mais ce prestige n’est plus le même! (je ne m’en réjouis nullement. Voir mon article sur ce site: «Comment éviter le déclin du français?»)
L’heure est à la réciprocité généralisée et au plurilinguisme
Chacun doit apprendre plusieurs langues. A l’avenir, ceux qui ne seront pas plurilingues seront les nouveaux analphabètes. Nous reviendrons à de multiples reprises sur cette «question des langues». Deux, trois mots encore pour montrer que notre plaidoyer pour le plurilinguisme comme élément de solution à beaucoup de problèmes n’est pas une tirade théorique et abstraite; le plurilinguisme est riche d’un grand nombre de potentialités, largement connues dans la recherche scientifique, mais insuffisamment divulguées dans la société.
Parler davantage le bon allemand dans les hautes sphères administratives c’est très bien mais il y aura toujours et régulièrement passage quasi automatique au dialecte chez les Alémaniques.
Si les francophones ne disaient parfois que quelques mots en allemand, et pourquoi pas en Schwyzerdütsch! (oh scandale!), cela changerait immédiatement les attitudes, comme le montre si bien certaines pratiques présentes dans les cantons bilingues. Au lieu de stigmatiser mécaniquement les pratiques linguistiques des autres, on pourrait chercher à s’ouvrir davantage à ces dernières, voire à les pratiquer, et à ajouter d’autres langues encore. On sait que la connaissance d’une deuxième langue facilite ensuite l’apprentissage d’autres langues encore. Il n’est même pas nécessaire de le rappeler aux jeunes. Ils sont pris dans ce plurilinguisme généralisé sans même s’interroger sur le phénomène. Bien sûr c’est beaucoup l’anglais .On y reviendra aussi. Mais ce n’est pas une catastrophe, si on se situe dans un univers et une logique du à la fois.
Pour avoir montré que la crainte de la germanisation était infondée et ne menaçait guère l’équilibre général des langues dans le canton de Fribourg («U.Windisch, en collab. Les relations quotidiennes entre Romands et Suisse allemands», 2 vol. Ed.Payot, 1160p.), l'ancien Conseiller d’Etat Denis Clerc a répliqué: «Le combat linguistiques a ses collaborateurs complaisants et ses résistants héroïques»!(La Liberté 5-6 sept. 1992)
Le combat pour le plurilinguisme, tout en veillant au maintien des réalités linguistiques régionales intangibles, n’est de loin pas terminé. Au lieu d’en arriver à nous détester les uns les autres comme en Belgique, réalisons que nous pouvons développer des rapports diamétralement opposés, à condition d’y travailler quotidiennement et dans ce fameux état d’esprit que nous avons su créer dans bien d’autres domaines.
En Suisse, le moindre propos sur les langues mériterait à chaque fois bien des nuances. Cela n’est pas possible ici. Simplement, pour cette fois, j’aimerais encore rappeler deux ou trois acquis scientifiques sur le plurilinguisme. Il y a quelques décennies seulement, on voyait dans le bilinguisme un risque de schizophrénie! Or, on sait aujourd’hui que le bilinguisme(et donc le plurilinguisme)comporte des avantages à la fois linguistiques, culturels et cognitifs.
Avantages linguistiques: le bilinguisme développe la conscience métalinguistique; la langue devient un objet de réflexion et développe nombre d’autres facultés cognitives.
Avantages culturels: la connaissance d’une autre langue facilite l’entrée dans une autre culture, permet la découverte du monde de manière plus ouverte. Parler la langue de l’autre, facilite son acceptation. Les plus optimistes vont jusqu’à voir dans le plurilinguisme un moyen de diminuer les préjugés. Bien des situations concrètes leur donnent raison.
Si les langues ne sont plus considérées comme un objet d’apprentissage parmi d’autres mais qu’elles sont apprises en les pratiquant et en communiquant au moyen de ces dernières, bref en parlant directement et concrètement dans ces nouvelles langues, même imparfaitement au début, plutôt que de se fixer sur les fautes de grammaire et autres «erreurs » et bloquer ainsi une prédisposition favorable, on constate que même les enfants des milieux défavorisés peuvent avancer rapidement et de manière inimaginable dans le cadre d’une pédagogie plus traditionnelle.
Bien sûr on ne promet pas un nouvel avenir radieux, et nombre de difficultés persistent mais on change fondamentalement l’attitude générale et ce changement s’avère décisif.
En bref, plutôt que de vouloir dicter des pratiques linguistiques aux autres, on s’efforce soi- même d’apprendre d’autres langues, et en prenant le temps nécessaire! Comme le font les plus minoritaires d’entre nous: à savoir les Tessinois et les Romanches qui connaissent souvent 3-4 langues.
Je profite de leur rendre hommage en me souvenant de ce qu’ils attendent de nous les Romands.
J’ai beaucoup de compréhension pour les Suisses alémaniques et leurs dialectes. Je parle un peu le suisse-allemand, et le comprend pas mal, pour avoir vécu quelques années à Berne. Mais tout de même quelques remarques :
– un dialecte est une langue orale. En l’occurrence peu d’écrivains se sont risqués à écrire en schwyzerdütsch: Jeremias Gothelf notamment. Si les dialectes en Suisse alémanique avaient connu le même sort que chez nos voisins hollandais (par exemple), on serait arrivés à disposer d’un dialecte unifié, auquel on aurait attribué une langue écrite correspondante. Le suisse-allemand aurait alors eu sa place parmi les langues d’Europe. Et il serait langue nationale.
Au lieu de quoi les Romands s’échinent à apprendre la langue de Goethe dans leurs écoles, puisque c’est l’allemand qui est décrété langue nationale !
Et lorsqu’ils se déplacent du côté de leurs compatriotes alémaniques, ils ont à faire face au dialecte de la région où ils atterrissent, tout en devant écrire en “bon” allemand !
Le cas des Suisses alémaniques qui ne comprendraient pas “certaines expressions romandes” n’est donc pas du tout comparable: notre langue est le français, nous le parlons et l’écrivons, avec des accents et des expressions propres, comme c’est le cas de tous les peuples ayant adopté la langue française.
M.Windisch, vous avez raison. Un ajout peut-être: la Suisse gâche depuis longtemps son potientiel plurilingue ne ne faisant pas de l’apprentissage d’une deuxième langue nationale un objectif politique. Pire, en refusant d’entrer en matière (rejet de motion déposée lors de la dernière législature en décembre 2010) pour soutenir – via le nouvel outil que représente la loi sur les langues (LLC), entrée en vigueur en juillet 2010 – le développement de l’enseignement bilingue à l’école obligatoire. Et pourtant, la compréhension optimale entre les citoyens est exlicitement inscrite dans la LLC – en particulier l’article 2 lettres a, b, c. La cohésion nationale, passe par un décloisonnement par rapport à au moins une langue nationale. Tant que les projets qui naissent ça et là dans les cantons resteront au stade expérimental, faute de moyens, aucun progrès réel ne sera possible en matière de bilinguisme. Il serait temps de passer à une politique volontariste de consolidation, en utilisant la nouvelle loi. Plutôt que d’adopter une posture de lamentation et d’exiger et de revendiquer, comme le font actuellement les personnalités politiques romandes qui sont médiatisées à ce sujet.
L’allemand parlé d’Allemagne est loin de l’allemand idéal universel seulement compris par les Romands alémanophiles! L’allemand parlé en Bavière, au Tyrol, au sud comme Nord de l’Allemagne ne sera pas beaucoup plus compréhensible que le Suisse alémaniques. Nos puristes Romand, amis de Marx et de Goethe devront si faire, comme le Bernois qui visite certains quartiers lausannois ou genevois. L’allemand étant la langue la plus répandue en Europe, il est ėvident qu’il y a des différences. Quant à ceux qui veulent parler l’anglais, Mais quel anglais? Celui de Stress, US, irlandais, australien? Acceptons-nous comme nous sommes, soyons respectueux de l’autre avec nos spécificités. N’oublions pas qu l’autre se efforce de nous comprendre, cela ne droit pas être facile tout les jours. La langue n’est pas une science exacte.
Il n’y a rien à interdire du tout! Le dialecte fait partie du patrimoine culturel des alémaniques au même titre que certains “romandismes” nous appartiennent. Pour arriver à surmonter certaines idées préconçues, il faudrait commencer par apprendre à mieux se connaître. Pour la Weltwoche, les Romands deviennent soudain les Grecs de la Suisse; cela peut donc sous-entendre que les distances entre Zurich et Lausanne sont considérables. Ils nous voient comme des noceurs, buveurs, baiseurs, incapables de bosser sérieusement et se plaignant sans arrêt. Cet point de vue pourrait s’intituler en allemand: GW im HG (Grössewahn im höchsten Grad), qu’en français on pourrait traduire par complexe de supériorité au plus haut niveau. Je rappelle que le mot Welsch est dérivé de Walh, qui signifie étranger, voire juif du sud.
Apprendre l’allemand, d’accord, mais il y a autant de dialectes que de cantons alémaniques…. Il serait également souhaitable que ce ne soit pas l’anglais qui devienne notre langue commune avec le politiquement correct que la mentalité anglo-saxonne adore véhiculer.
Le Schwyzerdütsch est une langue émotionnelle, quasiment génétique au Suisse alémanique ! Le combattre revient à traumatiser les traditions.
Cela étant, cette langue est rétrograde, très isolée, sans avenir. Elle entrave la communication, même dans le camp alémanique. Au plan national, l’exigence d’utilisation du “bon allemand”, surtout au travers des médias audiovisuels, doit constituer une règle fondamentale. Tel n’est pourtant pas le cas. Prenons l’exemple mythique de l’émission “Arena” DRS1 : le débat demeure intra muros, alors que sa portée médiatique pourrait être immense, au niveau suisse, si le bon allemand était utilisé au moins à 90 %.
La condescendance du Suisse alémanique envers le Suisse romand est minime et c’est plutôt le Suisse romand qui est souvent grotesque envers le Suisse alémanique.
L’élément le plus désagréable réside dans le fait que la non-utilisation du Schwyzerdütsch entraîne directement la commutation du dialogue en français, le bon allemand semblant hautement agacer ! Sur ce point, le Suisse alémanique devrait être plus ouvert.
Grüezi, votre analyse est exacte. Notre radio d’Etat avec certaine de ses émissions dites humoristiques fait tout pour “Belgiser” la Suisse. Ses fonctionnaires de l’humour du “y en a point comme nous” s’appliquent à demontrer que les Suisses alémaniques son des idiots arriérés se saluant en levant la main droite et marchant au pas de l’oie. Cette humour raciste ne touche pas nos politiciens les plus sensibles, ceux qui ont diabolisé la tête de nègre de notre enfance. Je ne connais pas d’humoristes alémaniques qui massacrent les Welsches comme le font les fonctionnaires du rire. Les Alémaniques sont respectueux des Welsches, combien de temps encore?