Le Tessinois Paolo Basso est le “roi des sommeliers”

Olivier Grivat
Olivier Grivat
Journaliste indépendant, auteur d'ouvrages liés à l'histoire de la Suisse
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Consultant en vins, le Tessinois Paolo Basso est le meilleur sommelier d’Europe 2010 et le 2e meilleur sommelier du monde 2010. Ambassadeur des champagnes Laurent Perrier, il pense que les vins suisses pourraient faire mieux.

Est-il aisé d’être le consultant en vins et en champagne tout en gardant sa totale indépendance ?

Tout à fait, j’ai accepté d’être ambassadeur de Laurent-Perrier parce que j’ai estimé que c’est une marque de valeurs qui peuvent très bien marier celles de la sommellerie, c’est à dire de la qualité intrinsèque, d’être une maison familiale, d’avoir du dynamisme.

Ce n’est pas une usine à champagne ! C’est pour cela que j’ai lié mon nom à la marque, pour un an pour l’instant. Cela dit, je conserve mon indépendance et je reste totalement libre dans ma sélection. C’est bien dans l’esprit du sommelier. Le rôle d’ambassadeur de Laurent-Perrier. doit consister à faire mieux comprendre ses champagnes et ce qu’il y a dans le verre. Le champagne, c’est un vin d’image, c’est clair, mais c’est aussi un vin de substance. La différence avec d’autres marques champenoises, c’est qu’on trouve encore une famille à la tête de la marque. Une famille dont la propriétaire habite Lausanne - Alexandra Peyrera de Nonancourt - et qui accorde encore une certaine importance au mot qualité.

Vous êtes tombé très jeune dans le tonneau ?

Non, je suis un sommelier atypique. J’ai appris le métier en Suisse, à Genève, où j’ai travaillé au Cygne, puis à Cully, à l’Auberge du Raisin de la famille Gauer, J’ai appris le métier avec des Français, j’ai appris la précision suisse et j’ai quand même gardé la fantaisie italienne. Naturalisé suisse au Tessin, je viens de Varese, au nord de Milan. Je suis un assemblage des trois cultures liées à la sommellerie.

Je ne suis pas tombé petit dans le tonneau, mais j’étais fasciné par mon grand-père qui effectuait lui-même la mise en bouteilles. Il achetait du vin en vrac et faisait la mise en bouteille à la maison à Varese pour sa consommation personnelle. C’était un moment très important. Ma maman me disait : il faut le laisser tranquille quand il fait cela. C’est un travail très précis avec un certain mystère derrière cette opération. Sinon j’ai manifesté tout petit de l’intérêt pour le goût et l’alimentation. La preuve ? Je mettais le double de temps de mes camarades pour manger une glace. Je savourais.

A-t-on un palais comme les parfumeurs ont un nez ?

Peut-être. Le nez et le palais sont des percepteurs qui envoient des sensations. Mais le grand travail est celui du cerveau. C’est le disque dur. Il faut du nez, du palais mais aussi un cerveau. La difficulté est de donner un nom aux sensations.

Ensuite il faut le traduire de façon à ce que le public puisse comprendre. On peut avoir une base de données privée ou personnelle. Quand je prends des notes de dégustation, c’est un peu une langue à part. Il faut encore que je traduise dans une autre langue…

Vins ou champagne, est-ce le même travail ?

J’ai été fasciné par le champagne comme je l’ai été par le vin après mon école hôtelière en Valteline. Lors de mes stages, j’ai réalisé que tout ce qui m’intéressait, c’était le vin et surtout les mystères qui se cachent derrière.

Le champagne est un complément au vin. Ce qui m’a séduit, c’est qu’il est le fruit d’un assemblage. C’est la capacité des chefs de cave d’avoir des vins de réserve, de millésimes différents, et d’imaginer déjà ce que l’on pourra obtenir. Quand je parle avec Michel Fauconnet, le chef de cave de chez Laurent-Perrier, il goûte le grain de raisin quand il est encore sur souche, et il sait déjà ce qu’il va obtenir. Moi, j’en suis incapable. En revanche, quand le vin est fait, oui je pourrais faire un assemblage. D’ailleurs je suis consultant pour certains producteurs italiens pour lesquels j’effectue des assemblages. C’est très bien, cela m’amuse, je prends du plaisir à voir le résultat.

Quel est le meilleur vin à votre avis personnel ?

Il faut être franc, les Français ont donné la preuve que leurs vins tiennent sur 40 ou 50 ans de vieillissement. Les Italiens n’en sont pas encore arrivés à ce stade. Les meilleurs sont les Français. Je le dis comme consultant pour des vins de Toscane et du Piémont!

Existe-t-il un fort potentiel dans les pays émergents ?

Le Chili a un très grand potentiel de développement. Les Chiliens n’ont pas de maladies, pas de phylloxéra. Ce sont des vignes directes et l’on dit que la vigne directe est supérieure.  Ils arrivent seulement maintenant à comprendre ce qu’ils doivent planter en fonction du microclimat, du sol et du terroir. Jusqu’à présent, ils plantaient n’importe où n’importe quoi. Ils comprennent désormais mieux l’interaction qu’il y a entre le cépage et le sol.

A part le vin chilien standard, j’ai goûté des grands vins de production locale faite par des ingénieurs oeunologues. S’ils poursuivent dans cette voie, je pense qu’on aura, dans les années qui viennent, des vins chiliens de grande qualité.

Les vins bio, vous y croyez ?

Oui j’ai étudié ces phénomènes pour essayer de comprendre. J’y crois, car je suis très proche de la nature. Mais il faut distinguer. J’ai vu au Tessin la violence des attaques de certains parasites. Si les attaques sont très légères, il  est possible de soigner la plante par une tisane d’ortie par exemple.

C’est comme pour un être humain. Si nous avons une grippe, ça passe plus facilement ; si c’est plus violent on prend des antibiotiques. J’ai constaté de visu l’expérience d’un vigneron tessinois qui voulait se mettre dans le bio ; c’était impossible parce qu’il avait affaire à des maladies trop violentes.

Ce n’est pas une terre où on peut faire du vrai bio. Par contre dans d’autres endroits où le climat le permet, oui pourquoi pas. Je crois à ces notions un peu magiques, irrationnelles ; dans la vie il y a bien des choses irrationnelles. Je trouve un peu présomptueux les scientifiques qui ne croient que ce qui est prouvé.

Et les vins suisses ?

Il y a encore un potentiel d’améliorations. Du point de vue œnologique, on est au point. Moi qui ai étudié à l’étranger, je peux dire qu’il y a de bonnes écoles en Suisse. En revanche, si l’on travaille un peu mieux la compréhension du sol et du climat, on pourra avoir encore un certain développement.

Si jusqu’à présent, on a surtout planté du chasselas sur un certain terroir, cela ne doit pas signifier qu’on va pouvoir le faire pendant encore 100 ans ! On peut essayer aussi d’autres cépages qui peuvent peut-être donner du vin meilleur. J’ai eu l’occasion de déguster une altesse – réd : cépage blanc de Savoie – cultivé dans le canton de Vaud. J’ignore si les Vaudois ne veulent pas le planter parce qu’il vient juste d’en face, en France voisine, et qu’on ne veut pas se comparer, mais elle était très bonne.

En comprenant mieux le sol et ce qu’on pourrait planter d’autre, les vins suisses ont encore un potentiel à exploiter…

… mais en trop petites quantités pour pouvoir exporter ?

Je ne sais pas si la Suisse a une surface qui permette de nous faire bien connaître à l’étranger. Il faut des investissements que les vignerons seuls ne peuvent pas se permettre, c’est la Confédération qui doit les aider. Je vois ce qui a été fait en Autriche. En 1985, les Autrichiens étaient totalement anéantis par le scandale de l’antigel : 25 ans plus tard, ils sont connus mondialement. L’Etat leur a accordé d’importantes subventions. En Suisse, il m’est arrivé de boire du vin argentin ou chilien dans la compagnie nationale. C’est inconcevable.

Dans la panique des bourses actuelles, on a l‘impression qu’il n’y a que les tableaux et les vins qui échappent à la crise ?

J’ai toujours dit que les vins étaient une valeur sûre. C’est facile de choisir, il suffit de prendre les grands millésimes de grands vins avec les grandes notations. Ce n’est jamais trop tard. Aujourd’hui on pourrait aller taper dans ce qui était spéculatif il y a quelques années. Et trouver les vins qui vont monter. Il est clair que le jeu est en train de s’embrouiller un peu.

Autrefois, les propriétaires de Bordeaux étaient un peu jaloux de voir les commerçants s’assurer une bonne marge. Maintenant ils font partir leurs vins de leurs caves à un prix astronomique. Avant, quand tout le monde trouvait du plaisir à ce jeu, cela marchait. Maintenant il n’y a que les producteurs de grands Bordeaux qui s’amusent  et pas les autres...

Les Chinois vont-ils s’y mettre aussi ?

Ils y sont déjà. Mais peut-être qu’ils vont trouver autre chose. Ils veulent sentir, toucher : c’est quoi ce vin qui coûte si cher, qui fait partie de la légende... Une fois qu’ils auront cette connaissance, ils seront toujours plus intéressés par cette dizaine de grands vins qui sont des must, qu’il faut avoir dans sa cave.

Ce sont eux qui alimentent ce business de vins rares, mais on ne sait pas jusqu’à quand. Auparavant, les grands clients de Bordelais étaient les Suisses, les Belges, les Hollandais et les Luxembourgeois ; peu après les Américains sont venus, puis les Russes et maintenant les Chinois.

Les Bordelais sont très forts pour sentir à quel plancher doivent partir leurs vins et à comprendre jusqu’à quel plafond ils peuvent le vendre. Ils ont eu raison jusqu’à présent, mais le jeu commence à se faire dangereux.

3 commentaires

  1. Posté par Paolo Basso le

    Cher Monsieur, j’ai habité en Valais de 1987 à 2000 et depuis je continue de le fréquenter pour des raisons professionnelles et personnelles, donc je pense d’avoir une connaissance suffisante des vins valaisans ainsi que des vins suisses. Quant aux médailles, je fais partie du jury de presque tous les concours de vins qui ont lieux en Suisse. Si je m’exprime sur un thème c’est que j’ai une expérience directe et je connais le sujet. Par contre en lisant votre commentaire je me permets de vous conseiller d’ouvrir vos horizons œnologiques et d’approfondir votre connaissance du Champagne qui vous réservera, j’en suis certain, de belles découvertes. Qualifier le Champagne comme un produit de snobisme, c’est avouer de ne pas le connaître.

  2. Posté par Numa Delachaux le

    Au risque de passer pour un inculte, j’avoue détester le champagne qui pour moi n’est pas du vin, mais plutôt un produit qui véhicule une marque, une image de luxe et de prestige. D’ailleurs le champagne n’est pas vendu en tant que vin au sens où on l’entend généralement. En effet, seule la “marque” apparaît sur l’étiquette (par exemple Laurent-Perrier ou Pommery, etc.), très rarement le millésime, mais jamais les cépages qui constituent l’assemblage – sauf peut-être pour le “blanc-de-blanc”, et jamais le cru qui identifie le terroir.
    J’ai observé que ce sont avant les femmes qui “disent” aimer le champagne, mais curieusement ces mêmes femmes sont souvent incapables d’exprimer les caractéristiques d’un produit lors de dégustations de vins traditionnels.
    J’en déduis que le champagne est avant tout un produit de snobisme avant d’être un vin !
    Euh, non je ne suis pas misogyne !

  3. Posté par Antony Bonvin le

    Si seulement ce monsieur connaissait les vins du Valais, et leurs innombrables médailles d’or lors de concours inernationaux. C’est un peu court comme jugement de parler des chasselas Vaudois pour seul observation de sa part quant au vignoble Suisse. Dommage… Mais je pense que lorsqu’on élève le champagne au rang d’un grand produit… tout est dit.

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