Ce Général qui reste un mythe indéboulonnable…

Olivier Grivat
Olivier Grivat
Journaliste indépendant, auteur d'ouvrages liés à l'histoire de la Suisse
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N’en déplaise aux historiens et journalistes “révisionnistes”, le Général Guisan, mort il y a 50 ans, demeure le Suisse-Romand le plus populaire. Les lectures de l’hebdomadaire “L’Illustré” l’ont élu “Romand du siècle” au grand dam de son rédacteur en chef qui aurait misé sur des politiciennes socialistes comme Ruth Dreifuss ou Christiane Brunner, a-t-il confié à la TV romande…

Décédé durant son sommeil à son domicile de Verte-Rive à Pully, durant la nuit du 7 au 8 avril 1960, après une courte maladie à l’âge de 86 ans, le Général Henri Guisan a eu droit il y a un peu plus de 50 ans à des obsèques nationales. Des obsèques comme la Suisse n’en a plus guère vécu depuis un demi-siècle, si l’on excepte peut-être le coureur automobile Jo Siffert : «C’était bien la première fois qu’un deuil populaire digne d’un pays à tradition monarchique se produisait dans l’Etat fédéraliste suisse», note alors l’historien Willy Gautschi.
Placé sur une prolonge d’artillerie, le cercueil du général est recouvert d’un drapeau suisse sur lequel on a posé sa casquette et son sabre croisé avec le fourreau. Son cheval «Kursus» marche lentement la tête basse avec une selle symboliquement vide sur l’échine. Suit un cortège funèbre de 3000 soldats et un bon millier de civils traversant la ville de Lausanne tombée dans une semi-torpeur.
Le Conseil fédéral in corpore, à sa tête le Neuchâtelois Max Petitpierre, est accompagné de tous les anciens membres du gouvernement suisse encore en vie. Dans la foule des 120’00 spectateurs, de nombreux soldats assez âgés côtoient des anciens de la Mob auxquels le Conseil fédéral a permis de se rendre à Lausanne en uniforme. A 13 h 30, les cloches des églises résonnent à travers tout le pays, tandis que deux escadrilles de 12 Vénom à réaction déchirent le ciel en formation de parade, couvrant le rythme sourd des tambours : «J’avais 23 ans et j’étais au service militaire au Monte-Ceneri (TI) dans les troupes d’aviation. J’avais suivi le cercueil au côté de mon oncle, Henry Guisan», évoque son petit-fils Maurice Decoppet, plus tard major d’artillerie.

« Un grand-père sympa »

Assis dans les salons de Verte-Rive, à Pully, entourés des meubles et des objets chers à son grand-père, disposés comme de son vivant, son petit-fils précise. «Je me souviens d’un grand-père tout à fait sympa (on dirait cool aujourd’hui), mais je n’ai pas eu avec lui de grandes discussions stratégiques. On ne discutait pas de la Mob sauf quand il y avait des amis à table. Plus tard, des gens ont voulu le pousser à écrire ses mémoires, mais il s’est contenté de rédiger son rapport au Conseil fédéral, pour lequel il est même resté en fonction encore un an après la fin  de la guerre et accordé une série d’interviews à Radio-Lausanne au journaliste Raymond Gafner, futur président du CIO», rappelle Maurice Decoppet.
Pour fêter ses 70 ans qu’il célèbre en uniforme ( !) en 1944 dans l’intimité de sa famille, le Général fait diffuser un communiqué demandant que les vœux ou les témoignages publiés à cette occasion devant la presse ou à la radio revêtent la forme la plus simple : « C’est cette image de droiture et de simplicité que je veux garder, commente son petit-fils qui a aujourd’hui dépassé le même âge. Il n’a jamais couru après les honneurs. Il savait être familier en évitant les pièges de la trop grande familiarité. Mais il n’était pas insensible aux marques d’affection des passants qui le reconnaissent quand nous faisions, ma sœur Françoise et moi, des balades à cheval sur les quais d’Ouchy».

«Les gens l’adoraient»

Commandant de bord sur Jumbo 747 à l’époque de Swissair, le capitaine Maurice Decoppet a pris sa retraite en 1996, l’année où la compagnie aérienne a abandonné ses vols intercontinentaux à Genève. Président de la Fondation Henri Guisan, il consacre beaucoup de son temps à la sauvegarde des vieux vapeurs de la CGN. Comme commandant de bord de Swissair, Maurice Decoppet a eu l’occasion d’inviter plusieurs capitaines de la CGN à voler à New York ou à Hongkong et il n’est pas peu fier d’avoir un bateau au nom de son aïeul, le «Général Guisan» baptisé par sa veuve quelques mois avant sa mort en 1964 : «Jeune homme, ce qui me frappait le plus, c’était la grande popularité de mon grand-père. Il avait le contact facile et les gens l’adoraient. En pleine Fête des Vignerons de Vevey en 1955 – il avait alors 81 ans -, la chorégraphie s’était soudain arrêtée et les haut-parleurs avaient annoncé sa présence dans les gradins. On avait eu droit à une standing ovation!»
Dans les salons de la maison-musée de Pully, toutes sortes de cadeaux et d’objets symbolisent la vénération que lui a portée toute une génération : photos, cartes postales, dessins, médailles, reproductions sur cuir, sur laiton, en buste ou en pieds. Les éditeurs et commerçants de l’époque avaient trouvé, malgré la guerre et les restrictions, un filon très lucratif.
À la demande du Général, une police cantonale devra intervenir pour interdire l’utilisation de son portrait et faire cesser le colportage de photographies à son effigie dans les établissements publics et même au porte-à-porte. Un communiqué officiel met en garde, en 1944, les imposteurs, invitant le public à réagir par un «refus énergique d’acheter».
Pour célébrer ses 70 ans dans l’intimité de sa famille, le 21 octobre 1944, le Général avait fait diffuser un communiqué demandant que les vœux ou les témoignages publiés à cette occasion revêtent la forme la plus simple : «C’est cette image de droiture et de simplicité que je garde», commente Maurice Decoppet.

La vogue des «Dufourli»

Dans une biographie consacrée au Général genevois Guillaume-Henri Dufour, l’historien Edouard Chapuisat constate les mêmes exagérations après la guerre du Sonderbund. Les soldats s’arrachent le portrait du Genevois qui va bientôt se trouver jusque dans les plus humbles chalets et même les demeures des adversaires de l’Armée fédérale. Des bustes surgissent et des statuettes le représentent à pied ou à cheval : «C’est une vraie calamité, écrira Dufour. C’est comme un cauchemar». Les paysans fument des pipes taillées à son effigie.
Les confiseurs confectionnent des gâteaux Dufour que les Suisses alémaniques surnommeront les «Dufourli». Pas de «Guisanli» en revanche pour le général vaudois, mais une vénération qui a duré des décennies après la fin de la guerre, en témoigne les nombreux portraits qui ont perduré dans les cafés et pintes vaudoises. Ancien syndic de sa commune de St-Sulpice (VD), Maurice Decoppet reconnaît avoir été tantôt flatté, tantôt agacé par ce lourd héritage.
Dans l’ouvrage «L’album privé du Général Guisan», rédigé en 1986 par la journaliste Liliane Perrin, le fils unique du général, le colonel Henry Guisan, évoque le souvenir «d’un père absent 10 mois sur 12 qui ne nous punissait jamais.» Au lendemain du décès de son père, Henry Guisan avait autorisé les photographes à prendre des photos du Général dans son cercueil, habillé en grand uniforme à visage découvert. Une photo digne des apparatchiks soviétiques qui avait fait tiquer la famille Guisan, attentive à une discrétion de bon aloi. Comme le confie son petit-fils : «Ce que j’ai toujours craint, c’est de n’avoir de mérite aux yeux des gens que par mes liens de famille avec le Général».

«Le Général Guisan et l’esprit de résistance», par Jean-Jacques Langendorf et Pierre Streit, aux Editions Cabédita, 1145 Bière (VD)
«Le Général», film de 55 minutes commandé par la SSR et dû au réalisateur Felice Zenoni

3 commentaires

  1. Posté par Martin Leu le

    Il n’y a pas que dans les estaminets vaudois que l’on voyait les portraits du Général. Les bistrots et restaurants de Suisse allemande dans lesquels m’emmenaient mes parents quand j’étais encore enfant, avaient tous, absolument tous, un portrait affiché du Général Guisan. C’est dire qu’on le vénérait aussi Outre Sarine et pas seulement dans ma famille.

  2. Posté par Pierre-Henri Reymond le

    Nous ne savons toujours qu’après! Qu’après avoir mangé le fruit de l’arbre nous sommes honteusement nus! Après avoir calomnié être honteux de l’avoir fait. On fait toujours pour le bien, un objectif louable. Mais on ne sait qu’après! Comme ceux qui, s’étonnant d’être conviés près du Christ, s’entendent évoqué le bien qu’ils lui on fait. Ils tombent des nues! Quand t’avons-nous fait du bien? Je n’avais que 14 ou 15 ans quand le Général a été enseveli, à Lausanne. Mon grand-papa le révérait. Il avait mis sa grande tenue de gendarme pour assister à l’enterrement. Je me souviens de l’escadrille de Vampire qui ont survolé Chexbres avant de retourner sur Lausanne. Je ne connaissait le Général que par ses photos dans les estaminets vaudois. Par un climat qui “parlait” de lui, sans mots. Cinquante ans après, à peu de chose près, des documentaires le montrent. Des critiques, favorables ou non, le montrent comme à contre jour. Je lis le livre de Monsieur Langendorf. Et je prends la mesure, autant que j’en suis capable, d’une stature. Une belle stature d’homme, droit, debout et intègre! Une stature à portée d’humble. De plombier, d’employé de voirie, de facteur ou même du concierge Monténégrin qui nettoie avec soin les escaliers. Aucun n’est Général, ni n’en a les compétences, mais la sature est à portée de tous. J’en ai pour preuve la manne! Dont ceux qui en recevait beaucoup n’en avaient pas de trop, et ceux qui en recevaient peu n’en manquait pas. Seule l’âpreté distingua les uns des autres! Vouloir plus et peur du manque!
    J’ai dit que l’on sait toujours “après”. Je dois pourtant signaler une nuance, de taille! Je sais, après, que j’ai été arrogant, nul et en dessous de tout. Mais il en est un autre qui, lui, sait toujours après ce que j’aurais du faire ou être avant! C’est le même qui avant, dit ce qu’il faut faire en vue de l’après qui va chanter! Si tu en manges, tu seras comme Dieu! Vous pigez? Je me demande pourquoi le rédacteur du “mythe” a fait intervenir un serpent dans cette histoire! Toutefois mon petit doigt me dit que c’est pour que nous cherchions, sans certitude de trouver. Peut-être nous rendrons-nous compte un jour que les spéculations théologiques et le veau d’or sont bonnet blanc et blanc bonnet. J’aimerai vous reparler de ce fameux serpent qui n’en est pas un! Mais il faut que je me remette à l’hébreu avant! J’ai besoin d’un coup de fouet pour cela!

  3. Posté par J-Ph. Martin le

    Bravo Messieurs pour ce nouveau média qui va enfin diffuser des vérités vraies !
    Cela va nous changer des journaleux et autres fouille-m.de la Tribune de Genève que l’on est bien , malheureusement , obligé de lire malgré nous pour être informé des nouvelles locales. Remplacerez-vous un jour le défunt Journal de Genève ? Bonne chance à vous

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