L’inauguration de l’Institut Libéral romand à Coppet

Francis Richard
Resp. Ressources humaines

Peut-être devrait-on réécrire les albums d’Astérix et ne plus parler des irréductibles Gaulois, mais des irréductibles Helvètes, grignotés toutefois par la pensée dominante.

Jeudi 27 septembre 2012, au Château de Coppet, l'Institut Libéral inaugure son siège genevois en terre vaudoise en présence de 160 personnes.

Comme l'explique Pierre Bessard, son directeur général, le rayonnement de ce think thank, créé 33 ans plus tôt en Suisse alémanique, s'étend désormais à toute la Suisse romande, d'où le lieu symbolique, à double titre, choisi pour cette inauguration.

En effet le Château de Coppet ici, rappelle Léonard Burnand, est un creuset de l'esprit libéral. Jacques Necker, ministre des finances de Louis XVI pendant cinq ans, s'y réfugie en 1784 après sa révocation. Sa fille, Germaine de Staël, s'y établit en 1803 et en fait un bastion d'opposition à Napoléon.

Le Groupe de Coppet réunit en effet des personnalités telles que Benjamin Constant, Jean de Sismondi, Charles Victor de Bonstetten ou August Wilhelm Schlegel. Il est le lieu d'une activité foisonnante d'écriture et de défense de la liberté dans tous les domaines. Dans De l'Allemagne, Germaine de Staël donne l'exemple et confirme:

« Nul homme, quelque supérieur qu'il soit, ne peut deviner ce qui se développe naturellement dans l'esprit de celui qui vit sur un autre sol et respire un autre air: on se trouvera donc bien en tous pays d'accueillir des pensées étrangères; car, dans ce genre, l'hospitalité fait toute la fortune de celui qui reçoit ».

Il s'y brasse beaucoup d'idées. Ce qui fait à dire à l'un des participants, Charles Victor de Bonstetten :

« Il se dépense à Coppet plus d’esprit en un jour que dans maints pays en un an ».

Olivier Meuwly fait une rétrospective des origines du libéralisme en Suisse romande au XIXe siècle. Il souligne qu'il y existe non pas un, mais plusieurs libéralismes. A Genève par exemple le libéralisme subit l'influence des conservateurs, tandis qu'en Vaud le libéralisme précède et prolonge la libération de Berne.

Les libéraux romands sont surtout des praticiens. Ils écrivent des articles de presse plutôt que des livres. Pragmatiques les penseurs helvétiques élaborent des synthèses adaptées à la Suisse.

On retiendra les noms de Frédéric-César de La Harpe, lecteur de Jean-Baptiste Say et de Benjamin Constant, d'Etienne Dumont, d'Alexandre Vinet et des frères Secrétan.

Victoria Curzon-Price évoque la Société du Mont-Pèlerin, créée en 1947 par Friedrich Hayek. Parmi les premiers membres il y avait des Suisses tels que Wilhelm Röpke ou William Rappard. Il s'agissait dans l'immédiate après-guerre de maintenir en vie les différents courants libéraux et de réfuter le socialisme à partir d'une philosophie de la liberté.

Cette société a la particularité de n'exister que pour ses seuls membres. Elle ne fait pas de prosélytisme, pas de publication, pas de conférence de presse, mais elle a donné naissance par génération spontanée à plus de 800 instituts à travers le monde.

Le libéralisme est multiforme et donne lieu à des débats très vifs au sein de la société. Mais tous les libéraux s'appuient sur un socle commun: ils reconnaissent la capacité des hommes à s'organiser eux-mêmes sans nécessité d'un léviathan.

Les libéraux divergent sur la nécessité de l'existence ou non d'un Etat. Les anarchistes libéraux refusent tout Etat. Les autres libéraux qui acceptent qu'il y ait un Etat s'entendent pour dire qu'il doit protéger les biens et les personnes et sur le fait qu'il doit être petit.

Ces libéraux divergent cependant sur les moyens à mettre en oeuvre pour empêcher que l'Etat ne devienne grand. Certains veulent y parvenir par le droit constitutionnel, d'autres par le respect du droit naturel, d'autres encore par la concurrence entre institutions.

Les libéraux néoclassiques et les libéraux autrichiens n'ont pas les mêmes principes. Pour les premiers les théories économiques s'élaborent à partir de tests empiriques. Pour les seconds, les faits n'ayant pas d'importance, ils pratiquent un individualisme méthodologique.

Il n'est pas donc pas étonnant que les autrichiens récusent les concepts macro-économiques, tandis que les néo-classiques vivent avec. Ces derniers se partagent entre ceux qui acceptent l'existence d'une banque centrale et ceux qui la considèrent comme néfaste et sont favorables à la concurrence des monnaies.

Pascal Salin a été déçu. La chute du mur de Berlin n'a pas ouvert les yeux sur le collectivisme. Le retour à la démocratie a permis de masquer les erreurs passées.

Deux courants dominent aujourd'hui: la social-démocratie et l'anti-libéralisme. Ils s'opposent tous deux au libéralisme qui se caractérise par le respect de la liberté individuelle.

Au besoin, la démocratie ne respecte pas la liberté individuelle et peut, de nos jours, s'avérer totalitaire. On est donc loin d'une situation où la liberté fleurirait dans le monde.

Aussi est-il nécessaire de rappeler que le libéralisme n'est pas une apologie de l'égoïsme, mais de l'individualisme. Pour les libéraux le comportement individuel est en effet une méthode d'analyse. Ainsi, par exemple, pour le courant autrichien, l'important se trouve dans la tête des gens. C'est pourquoi il faut, selon lui, raisonner autrement qu'en termes de catégories.

Qu'est-ce donc que le libéralisme? Une philosophie morale, une approche scientifique, une conception réaliste de la nature humaine. Car toute action humaine résulte d'un processus de pensée et les richesses sont le produit de l'esprit humain.

Le libéralisme repose sur trois piliers: la liberté qui peut se définir négativement par le refus de subir la contrainte d'autrui, la propriété qui reflète le monde de la rareté (la légitimité de la propriété vient de l'acte de création et le capitalisme est un système de droits de propriété légitime), la responsabilité qui tient compte des droits des uns et des autres.

Les sociétés ont un fonctionnement complexe, qui demande beaucoup de temps et de réflexion. Friedrich Hayek montre comment l'ordre spontané permet à chacun d'exercer sa liberté, tandis que le scientisme ne conçoit pas qu'il puisse y avoir de résultats en dehors de la centralisation. Or tous les constructivismes sont voués à l'échec parce que la connaissance parfaite d'un système humain est impossible.

Quel avenir pour le libéralisme? L'idée majeure, dominante, est que la crise provient des erreurs du capitalisme et de la cupidité des financiers, alors qu'en réalité la crise a été provoquée par l'interventionnisme étatique.

Le communisme était un système clair. La social-démocratie? C'est comme une preuve qu'il est difficile de combattre. Alors il faut avoir recours à l'expérience, telle la réussite de Singapour, ou à la réflexion (c'est le rôle que joua l'Institute of Economic Affairs ici auprès de Margaret Thatcher) et montrer que les systèmes de liberté sont complexes.

Peut-être devrait-on réécrire les albums d'Astérix et ne plus parler des irréductibles Gaulois, mais des irréductibles Helvètes, grignotés toutefois par la pensée dominante.

C'est pourquoi l'Institut Libéral est non seulement indispensable à la Suisse, mais à l'ensemble du monde.

 

Francis Richard

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