Le diagnostic préimplantatoire (DPI) va servir à fabriquer de nouveaux handicapés; c'est... le Conseil fédéral qui le dit.
Alors que la RTS tente d'enfermer le débat sur une notion d'éthique relativiste, sur le droit ou non à la vie des enfants handicapés, à laquelle plus personne ne comprend rien, le Conseil fédéral, depuis près de 20 ans, oppose des raisons matérielles bien précises, totalement occultées tant par les politiques que par les médias.
Le Conseiller national PDC Jacques Neiryinck, qui porte le sujet à bout de bras, va jusqu'à déclarer au Parlement qu'il "faut accepter d'arrêter le développement d'un certain nombre d'embryons", "potentiellement sains et viables", pour sauver la vie d'enfants à naître. "Le sort de milliers d'enfants à naître est entre vos mains", s'exclame-t-il. Tant de logique déroute, surtout dans un monde où autorités morales et politiques semblent s'être résignées à ne plus considérer l'existence des vieux, des pauvres, des malades et des handicapés de la même manière que celle des contribuables sains et potentiellement rentables. Et ce sans parler du déplacement sémantique du très instrumentaliste "bébé-médicament" au plus christique "bébé-sauveur"; de toute évidence on ne craint pas de balader l'opinion. Voilà pourquoi la communication à destination du grand public tente d'enliser la question dans l'argile fangeuse d'un matérialisme déterministe, qui dirait qui ou quoi à plus de valeur aux yeux d'une société qui ne sait plus rien reconnaître qu'à l'aune de son prix coûtant, et déciderait d'elle-même d'épargner la souffrance de l'existence à tout un pan de la population. Les exemples historiques sont-ils donc si loin...
Dans les différent Messages relatifs aux changements de lois en cascade que notre ordre juridique a connu sur ces questions depuis vingt ans, le Conseil fédéral, précis à force d'être récurrent, a dénoncé un projet sexiste, dangereux et eugéniste. Florilège.
Contexte
L'art. 119 de la Constitution, que le Parlement veut voir modifié, a été introduit en 1999, lors de la dernière révision constitutionnelle. Sa forme actuelle est conséquence de plusieurs initiatives populaires faisant état de diverses craintes relatives au génie génétique et de la promulgation, en 1998, de la Loi fédérale sur la procréation médicalement assistée (LPMA), censée régler la question du diagnostic préimplantatoire, notamment par l'établissement de garanties que le Parlement veut faire sauter aujourd'hui.
Avant de poursuivre, le lecteur doit saisir que la question du diagnostic préimplantatoire est un vaste fourre-tout, présentant 3 problèmes plus ou moins distincts:
1- La question du nombre d'embryons susceptibles d'être fabriqués pour être implantés à une femme. Plus on en fabrique, plus il faut sélectionner. Se pose aussi la question du nombre que l'on implante à chaque fois pour s'assurer d'une grossesse tout en évitant de passer par des avortements multiples, baptisés pudiquement "réductions". Se pose aussi la question du sort des embryons surnuméraires, détruits, congelés ou dont la propriété est cédée par les parents à la recherche, etc.
2 - La question de l'analyse génétique avant implantation, le diagnostic préimplantatoire proprement dit (le diagnostic prénatal (DPN) est tout autre chose, qui constitue l'analyse du foetus développé dans l'utérus).
3 - La question de la fabrication d'un être humain dont la seule raison de l'existence serait de représenter une solution médicamenteuse pour l'un de ses frères et soeurs malades, le fameux "bébé-médicament".
Nous parlerons ici essentiellement du point 2.
1996: Premier avertissement
Dans son Message du 26 juin 1996, le Conseil fédéral expliquait le strict maintien de l'interdiction du diagnostic préimplantatoire comme suit:
"On constate que les conséquences à long terme du diagnostic préimplantatoire pour l’embryon analysé ne sont pas connues. Le prélèvement d’une cellule constitue un risque pour l’embryon; suivant les circonstances, il peut même périr du fait de l’atteinte auquel il est soumis. Il est finalement possible, sans que l’on puisse en préciser la fréquence, que des anomalies génétiques ne se retrouvent que dans les cellules analysées. De telles mutations pourraient donner lieu à de graves erreurs de diagnostic. Dans le cas du diagnostic préimplantatoire, des réserves importantes en relation avec une sélection toujours plus poussée et plus fine des embryons s’opposent à un éventuel avantage pour les couples concernés. Si le diagnostic préimplantatoire faisait partie des actes médicaux pratiqués de manière générale, la retenue actuelle lorsqu’il s’agit d’analyser un embryon conçu par fécondation in vitro selon des critères déterminés et de formuler des exigences quant à ses propriétés avant le transfert irait en s’amenuisant. Il ne serait presque plus possible de fixer une limite entre la prévention autorisée et la sélection interdite. A cela s’ajoute le fait que le diagnostic préimplantatoire consiste exclusivement en une estimation des chances de survie (implantation). Avant le transfert de l’embryon, il n’existe actuellement aucune perspective thérapeutique. La relation automatique établie entre le dommage génétique présumé et le rejet de la vie à naître n’a pas de parallèle dans le diagnostic prénatal.
Le Conseil fédéral propose donc d’interdire le diagnostic préimplantatoire. Pour protéger l’embryon conçu par fécondation in vitro des manipulations abusives, l’interdiction doit avoir pour objet le diagnostic préimplantatoire lui-même et non pas seulement l’analyse de cellules totipotentes, comme le prévoyait l’avant-projet."
Procédant par étapes, gauche et libéraux au Parlement veulent casser cette interdiction des analyses de cellules, rebaptisé "screening", tout en tentant de nous faire croire que cela n'aura aucune incidence sur le diagnostic préimplantatoire et la fabrication des "bébés-médicaments".
Dans le même message, le Conseil fédéral justifie encore de la limitation du nombre d'embryons fabriqués:
"L'interdiction du diagnostic préimplantatoire et de la production de plus de trois embryons par cycle de traitement empêchera également des sélections abusives et des grossesses comportant un nombre inacceptable d'embryons."
Limitation que le Parlement veut abroger, elle aussi, portant arbitrairement le chiffre de trois à huit.
Loin de s'égarer sur de vagues questions éthiques, qui ne répondent plus à rien dans un monde débarrassé de la morale, le Conseil fédéral expose donc des critiques factuelles, ciblées sur le fond technique et juridique du problème.
2013: Deuxième avertissement
Dans le cadre du projet de modification de la Constitution et de la LPMA dont le Parlement a débattu hier, le Conseil fédéral a aussi rendu un Message, daté du 7 juin 2013, et long de plus de 100 pages.
En préambule, le Conseil fédéral revient sur ses arguments de 1996:
"Selon le message du Conseil fédéral du 26 juin 19967, les arguments invoqués étaient les suivants:
- Le prélèvement d’une cellule représente un risque pour l’embryon, dont les conséquences à long terme ne sont pas connues.
- Il est possible, sans que l’on puisse en préciser la fréquence, que des anomalies génétiques ne se retrouvent que dans les cellules analysées. De telles mutations pourraient donner lieu à de graves erreurs de diagnostic.
- Des réserves importantes en relation avec une sélection toujours plus poussée et plus fine des embryons s’opposent à un éventuel avantage pour les couples concernés. Il ne serait presque plus possible de fixer une limite entre la prévention autorisée et la sélection interdite.
- La relation automatique établie entre le dommage génétique présumé et le rejet de la vie à naître n’a pas de parallèle dans le diagnostic prénatal."
L'on pourrait croire que vingt ans de recherche scientifique et de débats parlementaires ont eu raison de tous ces obstacles. Et bien non, le constat est sans appel:
"L’entrée en vigueur de la LPMA n’a pas clos le débat puisque plusieurs interventions parlementaires ont régulièrement demandé que le DPI soit admis et ce, jusqu’en 2005, lorsque les deux Chambres ont adopté une motion de la Commission du Conseil national de la science, de l’éducation et de la culture qui chargeait le Conseil fédéral d’élaborer une réglementation relative à l’admission du DPI.
Aucune modification fondamentale des arguments apportés quelques années auparavant en lien avec le DPI n’en a résulté, si ce n’est que les risques ont été estimés comme étant plutôt maîtrisables et que plus de poids a été accordé aux intérêts des femmes et des couples concernés."
Les décisions prises il y a vingt ans constituaient une sorte de moratoire, à charge pour la science de régler le problème. Or, si des progrès considérables ont été effectués dans le domaine des cellules souches adultes, on piétine toujours autant dans le domaine embryonnaire et l'on a probablement tort de s'obstiner dans cette voie. Qu'importe, on a décidé d'apporter plus de poids aux "intérêts" de la clientèle éventuelle de cette mesure.
Constat désolé, donc, du Conseil fédéral, qui fait mentir le conseiller national socialiste Jean-François Steiert, lequel, hier encore, accusait le gouvernement de "pratiquer une politique de Ponce Pilate", en ce qu'il ne prendrait pas en compte qu'"on a fait d'importants progrès dans le domaine de la procréation médicalement assistée au cours des dix dernières années." Des progrès ont certes été effectué dans la reconnaissance analytique des pathologies d'origine génétique, mais dans les domaines suffisamment graves pour retenir la décision du Conseil fédéral en 1996, on l'a vu, "aucune modification fondamentale" n'a pu être observée.
Le Message du 7 juin 2013, tout entier consacré au diagnostic préimplantatoire, apporte surtout toute une succession de considérations nouvelles, comme autant d'avertissements qui sont loin de laisser le lecteur indifférent. Nous vous les livrons telles quelles:
- Danger d'erreur diagnostique
A mille lieues des progrès avancés par la gauche, la science s'en tient à ses premiers balbutiements et l'ouverture du diagnostic préimplantatoire ne sera la garantie de rien:
"Le DPI est un procédé difficile, notamment parce que seules deux cellules peuvent, habituellement, être utilisées pour l’analyse et que le procédé ne peut donc pas être répété. Par conséquent, le risque d’une erreur de diagnostic ne doit pas être minimisé. La probabilité que le résultat d’un test soit correct est d’environ 90 à 95 %54. Pour vérifier l’exactitude du résultat, on conseille un DPN pendant la grossesse aux couples concernés."
Ainsi tombe l'argument (1) selon lequel le diagnostic préimplantatoire permettrait d'éviter des avortements. Le diagnostic préimplantatoire ne sert à rien sinon à augmenter les chances de "design" génétique aléatoire du produit à implanter.
Le Message continue:
"Les résultats «faux négatifs» des analyses à cause d’une contamination avec un ADN tiers ou à cause de l’«Allelic drop-out», c’est-à-dire l’analyse d’un seul allèle à la place des deux, constituent le problème le plus fréquent. En cas de résultats «faux négatifs» des analyses, l’embryon est porteur du défaut génétique, alors que le diagnostic ne le détecte pas.
Le mosaïcisme constitue un autre problème; par mosaïque on entend un embryon constitué de cellules génétiques différentes. Il peut arriver que les cellules analysées se rapportent à un autre génome que les cellules restantes, ce qui peut induire une erreur de diagnostic. Le mosaïcisme est relativement fréquent et il est dû à dés défauts dans la division des cellules. Selon les estimations, jusqu’à 80 % des embryons au stade de dix cellules sont des mosaïques."
- Danger d'automatisme de la destruction du vivant
"A première vue, on retrouve ici certains des risques et des bénéfices possibles que présente le DPI servant à dépister des maladies génétiques: d’un côté la mise en danger des embryons par la dissociation des cellules et leur sélection, la production démultipliée d’embryons surnuméraires et le risque de céder à un automatisme de la destruction; de l’autre côté, la possibilité offerte aux parents de réaliser leur désir de mettre au monde un enfant en bonne santé en s'épargnant une «grossesse à l’essai» et d’éviter la naissance d’enfants porteurs de handicaps donnés, ce qui les préserve d’une charge qu’ils ne se sentiraient pas de taille à assumer.
... Par ailleurs, il convient de mentionner que des embryons entièrement sains et viables sont rejetés dans le cadre d’un procédé de cette nature et ce, uniquement parce qu’ils possèdent les «mauvaises» caractéristiques tissulaires.
... Il s’agit de plusieurs embryons dans une boîte en verre, sur lesquels un médecin opère une sélection dans un laboratoire; aucun rapport charnel n’a été tissé avec la mère et les critères présidant au tri dépendent uniquement de la capacité des embryons à se développer. Par conséquent, le risque que les critères de sélection, et donc les indications, soient multipliés selon des logiques indésirables est considérablement plus élevé."
- Danger d'instrumentalisation d'une vie humaine
Fabriquer un enfant dont la seule raison de l'existence, et de l'essence, serait de servir de médicament à un autre enfant, le projet a été laissé de côté pour cette étape-ci, sans doute dans la perspective d'une reprise dans dix ans. Reste que nos parlementaires n'auront pas manqué ici de trémolos.
Le Conseil fédéral est plus factuel:
"S’agissant des risques et des inconvénients, il convient tout d’abord, d’un point de vue éthique, de mentionner une éventuelle instrumentalisation de l’enfant donneur. Dans ce cas, la possibilité d’un don ultérieur fait, sans nul doute, déjà partie intégrante des raisons et des motivations liées au désir de mettre au monde un enfant. Ce faisant, il semble, d’emblée, totalement aberrant et irréaliste de partir de l’hypothèse que cette possibilité puisse être l’unique motif de mettre au monde l’enfant et qu’après le don, celui-ci perde toute raison d’être pour ses parents. En outre, le fait que toute une série de motivations peuvent, sciemment ou non, entrer en ligne de compte dans la décision d’avoir un enfant, devrait être une expérience quotidienne. Cependant, on redoute que, sur le plan psychologique, des charges et des atteintes puissent se développer lorsque le deuxième enfant a clairement été conçu pour aider un autre enfant.
... D’une part, il convient là aussi de souligner que ce procédé implique le rejet d’embryons sains. D’autre part, on redoute que le fait de lier l’amour parental à des caractéristiques déterminées puisse avoir des conséquences considérables, non seulement psychologiques, sur l’enfant mais aussi des répercussions graves sur la famille en tant qu’institution.
... L’avantage de sélectionner des embryons selon une caractéristique définie, sans lien avec une maladie, réside presque uniquement dans la concrétisation des souhaits individuels des parents en la matière. La question de savoir si l’enfant ainsi déterminé a aussi un avantage à satisfaire, de manière particulière, les souhaits de ses parents, suscite des controverses.
... Le Conseil fédéral maintient son rejet à cet égard, jugeant qu’en intégrant un tiers à la constellation - le frère ou la sœur malade auquel le tissu est destiné - la portée éthique n’est plus du tout la même et devient très complexe (cf. ch. 1.3.2 DPI dans le but de sélectionner les embryons immunocompatibles), sans compter que des embryons sains et vitaux sont rejetés. Enfin, les conséquences psychologiques sur les enfants et les familles concernés n’ont pas été étudiées d’assez près. Les risques de pareille option ne pouvant être évalués assez finement, le Conseil fédéral est d’avis que les conditions lui permettant d’accéder à cette requête ne sont pas réunies."
- Danger de sélection sexuelle
Un petit garçon au lieu d'une petite fille ? Depuis des décennies, la sélection sexuelle fait des ravages dans les pays du Tiers-Monde, créant des déséquilibres irréparables. Le phénomène a pénétré l'Occident depuis peu.
L'accès à l'analyse préimplantatoire permettra d'accéder à l'information relative au sexe de l'embryon, cette information fera immanquablement partie de l'"offre" des implanteurs; c'est le constat qu'en fait le Conseil fédéral:
"Le DPI sert, dans certains pays, à choisir le sexe de l’enfant ou, plus rarement, à sélectionner l’embryon compatible avec les caractéristiques tissulaires d’une sœur ou d’un frère déjà né et atteint de maladie.
... Actuellement, le DPI n’est pas seulement utilisé afin de détecter environ 230 maladies congénitales, mais aussi dans d’autres buts, par exemple augmenter le taux de réussite de la FIV ou effectuer une sélection en fonction du sexe, avec ou sans lien avec une maladie."
Ce nouveau monde sans femmes va être très gai... Ceux qui se demandaient comment solder le compte du féminisme ont trouvé leur réponse.
- Le diagnostic préimplantatoire servira à fabriquer des handicapés
On tombe des nues... mais c'est vrai:
"Aux Etats-Unis, le DPI est également proposé, sporadiquement, à des couples atteints d’une certaine anomalie d’origine génétique et qui souhaitent avoir un enfant atteint de la même anomalie. A titre d’exemple, on peut citer la surdité héréditaire qui peut être détectée grâce au DPI."
L'égoïsme consumériste poussé à l'extrême, forcer son enfant à vous ressembler, à être comme vous en tous points, jusque dans la détresse de la maladie.
Encore une affirmation du Conseil fédéral qui vient tuer dans l'oeuf les assurances de nos parlementaires. Ainsi, la PDC Christine Bulliard-Marbach, hier:
"Qui, en effet, voudrait choisir un embryon anormal, malsain, ou inquiétant, si d'autres embryons promettent une vie en santé? Personne."
Alors qu'un Jacques Neirynck s'égosille sur la nécessité de sauver des enfants de la maladie en détruisant des embryons, le couperet de la froide réalité vient l'interrompre. Il s'agit d'une offre commerciale, la maladie fera partie du catalogue.
Parvenus à ce point, vous vous dites qu'il s'agit là de ces extrémités, envisagées uniquement d'un point de vue théorique, qui sont si loin de la réalité qu'elle ne méritent même pas de figurer au débat. Pensez donc, si le diagnostic préimplantatoire tombe, la fabrication de bébés volontairement handicapés passera au nom de l'égalité de traitement et du respect des minorités. Le Conseil fédéral range cet aspect-là dans la catégorie des "avantages":
"On considère que ce procédé présente principalement l’avantage de permettre au couple concerné marqué par une situation de vie déterminée, liée à un handicap physique (p. ex., la surdité, cf. ch. 1.2.4 DPI dans le but d’une sélection positive d’une anomalie d’origine génétique), d’avoir un enfant qui pourra vivre dans les mêmes conditions qu’eux, tout comme des groupes culturels précis ont le droit de transmettre leurs traditions à leurs enfants. En revanche, rejeter une telle possibilité impliquerait de stigmatiser ces conditions de vie en les présentant comme un déficit et de priver les personnes concernées de la pleine égalité."
On veut supprimer les maladies, c'est le contraire qui arrivera.
- Danger d'eugénisme
Le conseil fédéral aborde la question sans détours. Le diagnostic préimplantatoire, c'est de l'eugénisme:
"Le DPI tombe indubitablement dans la catégorie de l’eugénisme, puisqu’il s’agit de sélectionner des embryons in vitro dans le but d’éviter de transmettre certaines caractéristiques génétiques.
... On craint que l’admission du DPI soit utilisée comme un moyen de pression psychologique sur les futurs parents, afin qu’ils fassent contrôler la procréation par des médecins. L’autorisation des procédés de sélection conduirait à un «eugénisme doux» volontaire, au sens d’une discrimination des personnes handicapées mais aussi des couples qui ont sciemment décidé de garder l’enfant handicapé."
Sans parler d'une sorte de droit de retrait des assurances-maladie - dans les cas de parents qui ne souhaiteraient pas éliminer leur enfant potentiellement malades - qui se présente déjà dans certains pays. Et encore vous fait-on grâce de la responsabilité civile des médecins en cas d'embryon génétiquement 'incorrect'.
Mais ici, le Conseil fédéral franchit un pas considérable, essentiel, historique, pour ne pas dire civilisationnel, il y aurait une forme non condamnable de l'eugénisme:
"Toutefois, cela ne veut pas encore dire grand-chose: reste en effet à préciser une série de caractéristiques et de circonstances de la pratique concrète. Le droit à l'autodétermination des sujets concernés est-il préservé? Les motifs sous-tendant la sélection représentent-ils des biens que la sélection d’embryons peut contrebalancer? Des efforts défendables sont-ils déployés pour prévenir des tendances non désirées? Ces questions visent à examiner si la réglementation concrète du DPI est assimilable à des formes condamnables et indésirables de l’eugénisme."
Reste à déterminer les conditions d'un eugénisme 'désirable':
"Au sujet du débat sur l’eugénisme, relevons que réaliser un DPI dans le but de choisir des caractéristiques quelconques, sans lien avec la maladie, ne satisfait pas à l’exigence imposant d’avancer des motifs valables et qu’il s’agit clairement d’une forme d’eugénisme indésirable."
Mais le Conseil fédéral n'y parvient pas à développer plus avant, se contentant de gloser, par opposition, sur la définition de l'eugénisme nazi:
"A cet égard, les opposants au DPI font souvent référence à la politique eugéniste mise en œuvre par le régime nazi, et plus particulièrement aux mesures prises par le pouvoir d'alors pour marginaliser, stériliser de force, voire éliminer les personnes souffrant d'une maladie héréditaire, en vue de favoriser la santé de «la race» allemande.
Toutefois, ce raisonnement se limite à une seule des contextualisations possibles de ce terme, alors même que son histoire est très ancienne - comme son étymologie grecque suffit à le rappeler - et qu'il a été utilisé jusqu'à aujourd'hui dans des contextes extrêmement variés, avec des nuances non moins significatives. Si l'on entend se prononcer sur le caractère eugéniste du DPI et, au besoin, sur les conséquences à en tirer, il est donc indispensable dans un premier temps de définir clairement l'eugénisme.
...Qui ou que sélectionne-t-on? L'eugénisme nazi touchait presque exclusivement des enfants et des adultes, parce qu'ils étaient porteurs d'une caractéristique jugée inférieure ou indésirable."
Mais que fait d'autre le diagnostic préimplantatoire sinon signifier aux handicapés qu'ils sont inférieurs et indésirables ?
Le Conseil fédéral peine à se dépêtrer:
"Dans d'autres cas, l'eugénisme visait le fœtus, dans le cadre d’avortements forcés par exemple. S'agissant des embryons, et en particulier des embryons in vitro, ils ne peuvent faire l'objet d'eugénisme que depuis que le progrès scientifique les a rendus visibles et accessibles."
Soit, le DPI est le nazisme du futur, les nazis, s'ils en avaient eu la technologie, n'eussent pas hésité un seul instant à faire comme la plupart des scientifiques contemporains de nos pays voisins, où est le problème ?
"Que fait-on de cette sélection? La barbarie de l’eugénisme nazi provient essentiellement du fait que les êtres sélectionnés étaient soumis à des mesures médicales coercitives massives, voire éliminés; certaines mesures eugéniques ont cependant pris - et prennent aujourd'hui encore - la forme de prestations ou de mesures de soutien d'ordre médical ou social. On pourrait ainsi imaginer faciliter l'accès à l'adoption pour les couples présentant une prédisposition génétique défavorable ou valoriser fiscalement leur décision de renoncer à donner naissance à des enfants. De nombreux degrés intermédiaires sont imaginables: des mesures d'information et de conseil (plus ou moins directives) à la pression propagandiste ou aux interdictions et commandements, en passant par des interventions médicales volontaires ou forcées."
Certes, mais ici ne sommes-nous pas très concrètement dans le domaine explicite d'"un automatisme de la destruction" massive d'"embryons entièrement sains et viables" ? Les mesures proposées ne sont-elles en somme que des nuances variées de "la barbarie nazie" ?
Mais peut-être le motif de la sélection pourra-t-il nous sauver de ce mauvais pas ?
"Pourquoi opère-t-on cette sélection? Un certain nombre d'aspects se fondent dans cette question, à commencer par celle-ci: à qui ou à quoi doivent profiter ces mesures eugéniques? Chez les nazis, c’était la «race», qui, de surcroît, était considérée comme étant supérieure à d'autres. Figuraient en outre sur la liste des bénéficiaires l'humanité toute entière, la nation, la société, la classe ou la couche sociale, l'économie, mais également la famille ou la lignée/le lignage (au sens de la dynastie) et, enfin, des individus. A noter que, selon ce raisonnement, la mesure peut viser concrètement le groupe ou l'individu, mais il peut également porter soit sur le patrimoine génétique en ce qu'il représente un potentiel pour l'avenir, l'objectif de la mesure pouvant se réaliser aujourd'hui ou demain. Dans la première hypothèse, cela peut aboutir à l'euthanasie humaine, comme ce fut le cas dans l’Allemagne nazie, dans la dernière, au conseil génétique aux personnes et couples présentant des prédispositions défavorables. Cette question va de pair avec une autre: qu'est-ce qui sous-tend l'eugénisme? Une visée thérapeutique, soit le souhait d'éviter un processus dégénératif, ou l'amélioration de l'existant?"
Le Conseil fédéral s'enlise, les Nazis ne voulaient-ils pas guérir la race, la purifier de ses imperfections ? D'un côté, l'on croit s'en sortir d'une pirouette en déshumanisant l'embryon ou le foetus (mais les Nazis ne pratiquaient pas que l'avortement forcé, bien au contraire) et en arguant que notre époque ne sélectionne pas "des enfants et des adultes", soit des personnes humaines sorties vivantes de l'utérus. La comparaison tient toujours, hélas, d'autant plus que, chez nous, l'euthanasie (ou ici) pour fait de dégénérescence a mis le pied dans la porte depuis longtemps.
Le Conseil fédéral tente un dernier essai:
"Qui (personne ou entité) fait de l'eugénisme? Comment cela se passe-t-il? La décision de sélection peut être prise ou favorisée par des individus (eugénisme «doux») ou par des institutions dirigeantes (autorités publiques p. ex.. eugénisme «interventionniste»). De plus, les décisions individuelles prises en apparence librement peuvent, en raison de facteurs déterminants (contingentés ou placés à dessein), s'inscrire dans un modèle à un niveau collectif. Interrogation qui en appelle une autre: à quel point la sélection est-elle intentionnelle?"
Ainsi, notre eugénisme à nous serait distinct de celui des Nazis du simple fait que nous ne sommes pas Nazis, que nous ne nous reconnaissons pas, ne voulons pas être reconnus, comme tels. Mais cela ne règle de loin pas la question.
De guerre lasse, le Conseil fédéral laisse la porte béante, à charge pour l'histoire de juger:
"Du point de vue éthique, une autre réflexion semble s'imposer: examiner si absolument toutes les formes concevables d'eugénisme doivent être condamnées ou si certaines pratiques eugénistes peuvent se justifier sous certaines conditions. Or, la balance penche vers ce deuxième postulat: aujourd'hui déjà, certaines des pratiques exercées tombent sous pareille acception large du terme d'eugénisme tout en obéissant au cadre légal. Ainsi, l'interruption volontaire de grossesse n’est pas punissable et rencontre la compréhension lorsque la femme enceinte invoque, par exemple, l’état de détresse profonde dans lequel elle se trouve en raison d'une malformation génétique ou autre constatée chez l'enfant à naître."
Le constat, le pas de l'eugénisme a déjà été franchi depuis longtemps - et dire que ceux qui le dénonçaient alors étaient montrés du doigt comme des fauteurs de troubles - pourquoi vouloir reculer alors ?
"Dès lors, quelles sont les pratiques eugénistes qui ne peuvent se justifier? Sans aucun doute celles:
- qui méprisent le droit à l'autodétermination de la personne concernée;
- qui reposent sur des motifs illicites et criminels, sachant que lorsque les mesures prétéritent un individu, on ne saurait tolérer des motifs subordonnant entièrement les intérêts vitaux d'individus à ceux de la collectivité."
Tout va bien, les embryons ne sont pas des "personnes" au sens de la loi, certains enfants non plus, semble-t-il. Sera légitime tout ce qui sera légal, la loi écrira la morale. L'homme dit: que la loi soit et la loi sera.
Mais le Conseil fédéral promet des garde-fous. Ces même garde-fous qui feront un jour s'exclamer un parlementaire qu'ils ne signifient rien et qu'il faut avant tout faire confiance aux institutions... tant qu'elles ne sont pas "nazies", bien sûr: "Qui sont les fous? Les médecins? L'Académie suisse des sciences médicales? Le Conseil national d'éthique? Il y a un minimum de respect à avoir pour le corps médical qui dispose d'une déontologie et qui n'a jamais, dans son histoire, fait n'importe quoi, sauf quelques individus que vous connaissez"(Neirynck).
Comme c'est facile...
Le Conseil fédéral atermoie:
"On ne peut pour autant donner son blanc-seing aux pratiques eugénistes ne répondant pas à ces critères: elles doivent être examinées au cas par cas et peuvent éventuellement être justifiées au terme d'une pesée d'intérêts.
Dans ce contexte, le DPI tombe indubitablement dans la catégorie de l'eugénisme, puisqu'il s’agit de sélectionner des embryons in vitro dans le but d'éviter de transmettre certaines caractéristiques génétiques. Toutefois, cela ne veut pas encore dire grand-chose: reste en effet à préciser une série de caractéristiques et de circonstances de la pratique concrète. Le droit à l'autodétermination des sujets concernés est-il préservé? Les motifs sous-tendant la sélection représentent-ils des biens que la sélection d'embryons peut contrebalancer? Des efforts défendables sont-ils déployés pour prévenir des tendances non désirées? Ces questions visent à examiner si la réglementation concrète du DPI est assimilable à des formes condamnables et indésirables de l’eugénisme."
Bref, vous serez noyé sous des tombereaux de notions incompréhensibles, ils feront ce qu'ils veulent, eugénisme ou pas, la procréation deviendra un rapport commercial, le vivant sera payant. En cas de problème, vous, ou la génération d'après, paierez, et en silence s'il vous plaît. Après eux, le déluge, ou autre chose.
(1) Argument avancé par les conseillers nationaux:
Fahti Derder: "Autre élément surprenant: autoriser l'accès au diagnostic préimplantatoire aux couples, mais leur interdire certains diagnostics, comme le dépistage d'anomalies chromosomiques effectué en routine lors du diagnostic prénatal. Autant dire qu'on aura des situations pour le moins étonnantes où, avec le test génétique et chromosomique automatique, un médecin généticien pourra par exemple détecter un embryon sans défaut génétique mais avec une trisomie. Il aura cette information, mais il ne pourra pas la communiquer à la mère qui avait annoncé qu'elle ne désirait pas un enfant avec une trisomie. Il ne communique pas l'information, l'embryon est transféré tout de même, la trisomie sera alors détectée lorsque la grossesse interviendra, forçant la mère à un avortement à 12 ou 14 semaines, avec toutes les souffrances que cela implique. Autant dire qu'on est dans une situation absurde.
... On évoquait le cas d'un médecin qui aurait accès aux résultats d'un test, aux informations selon lesquelles un embryon serait sans défaut génétique mais avec une trisomie et qui ne pourrait communiquer cette information; l'embryon serait transféré, la trisomie serait alors détectée lorsque la grossesse interviendrait, forçant à une interruption de grossesse, donc à un avortement vers douze ou quatorze semaines, ce qui n'est pas une solution acceptable."
Isabelle Chevalley: "Où réside donc le problème de faire un diagnostic préimplantatoire plutôt qu'un test prénatal? La seule différence, c'est qu'avec le diagnostic préimplantatoire, la femme ne subira pas un avortement avec ce que cela implique de souffrance morale et psychique, sans parler des coûts."
Isabelle Chevalley qui a perdu toute crédibilité dans cette posture anti-avortement depuis cette saillie à la RTS où le simple fait d'atermoyer son enthousiasme sur cette question suffit à donner tort à son interlocuteur en toutes circonstances.
Jacques Neirynck: "Puis, on l'a dit plus d'une fois, même si on exclut la détection de la trisomie 21 au niveau du diagnostic préimplantatoire, on l'autorise au niveau du diagnostic prénatal. Cela est juridiquement et éthiquement incohérent. Cela mène certaines personnes qui sont par principe opposées à l'avortement à finir par le définir aussi, résignées, tant elles détestent le diagnostic préimplantatoire."
Bonjour,
Très très intéressant et logique votre information sur DPI.
Vraiment DPI est une sélection neutre, chaque essaye de choisi le millier.
Cordialement