Interview exclusive de Jean-Marie Fournier, exploitant.
LesObs: M. Jean-Marie Fournier, vous êtes exploitant touristique à Veysonnaz et Nendaz. Vous avez, je pense, entendu parler de la Lex Weber ?
JMF: Weber n’aurait jamais dû être voté à l’échelle fédérale, il s’agissait d’un sujet de compétence cantonale, clairement octroyé par la Constitution. Le fait que la Suisse n’ait pas de cour constitutionnelle n’est certainement pas un argument pour justifier de ce processus, bien au contraire !
De toute évidence, la Constitution est aujourd’hui contestée. Un collège de juges, au contraire de plusieurs autres, a décidé différemment de ce que le peuple avait choisi. On ne peut pas nous faire croire que le peuple ait voulu entrer dans le régime de la Lex Weber le 11 mars 2012 alors que le texte disait en toutes lettres: “1er janvier de l’année qui suivra“. C’est clairement bafouer la volonté populaire, et même contraire à ce que proposaient et défendaient les initiants. Cet arrêt du Tribunal Fédéral (TF) n’est pas une décision de justice mais une décision prise par un tribunal politique constitué à cet effet.
Ce collège décide unilatéralement de donner le droit de recourir à une association de protection de la nature en zone à construire. Or, la loi sur la protection de l’environnement ne prévoit aucun droit de recours en zone à construire à des associations écologiques. Et voilà que, tout à coup, avec Dieu sait quelle légitimité, on l’octroie à Helvetia Nostra pour un cas bien particulier.
Dura lex sed lex est un refrain qu'on entend beaucoup ces jours, mais voyez-vous une autre solution que la soumission totale et définitive ?
J’ai constaté que le Valais pratiquait le culte de la soumission envers la Confédération depuis déjà bien longtemps, et comme par hasard l’on retrouve ce même genre d’attitude de la part la Confédération vis-à-vis de nos partenaires européens et américains.
Le Conseil d’Etat valaisan n’a pas le droit, au nom de la Constitution, d’appliquer ces dispositions, refusées, par ailleurs, par près de 75% des Valaisans. Le Conseil d’Etat valaisan n’en a pas le droit, je le répète, non pas au nom d’une quelconque rébellion, mais au nom du respect de l'article 75 de la Constitution fédérale qui dit que l’aménagement du territoire incombe aux cantons. Il est aujourd’hui toujours en vigueur et jamais personne n’a songé à l’abroger. Ainsi, de mon point de vue, le Conseil d’Etat n’a tout simplement pas le droit d’appliquer cette décision et doit, en parallèle, refuser de reconnaître plus longtemps la compétence du Tribunal fédéral en la matière.
Vous appelez à une sécession de fait ?
Pas du tout ! Il s’agit simplement de respecter la Constitution, à savoir le contrat que le Valais a conclu avec la Suisse, comme tous les autres cantons d’ailleurs. Celui-ci fixe très clairement les prérogatives des cantons sur certains aspects précis. L’aménagement du territoire ne ressort pas des compétences ou des prérogatives de la Confédération mais clairement de celles des cantons. L’article 75 dit que la Confédération doit se limiter à un rôle de coordination entre les cantons avec, à la clef, une approbation du plan directeur. Elle ne peut en aucun cas intervenir sur l’aménagement du territoire des cantons. Il s’agit simplement de respecter les contrats signés, ça découle de la plus simple évidence. J’avais émis l’idée d’une sécession, il y a deux ans, d’une manière humoristique dans le Matin Dimanche, dans le but de faire prendre conscience de la catastrophe qui se préparait pour le Valais et les autres cantons touristiques à travers l’initiative Weber. Il s’agit seulement de constater que nous avons laissé voter à l’échelle nationale des objets de compétence cantonale. C’est là la première faute.
Donc aujourd’hui, au risque de me répéter, le Conseil d’Etat valaisan n’a pas le droit, d’un point de vue constitutionnel, d’appliquer cela. Messieurs les Conseillers d’Etat peuvent très bien lire la Constitution et se demander: “Comment allons-nous pouvoir appliquer ce texte, alors qu’un autre article bien plus important – parce qu’il était une des conditions essentielles de l’adhésion des cantons à la Confédération – dit le contraire. Il s’agit d’une modification unilatérale du contrat. Il n’y a pas de cour constitutionnelle en Suisse, partant, la seule possibilité réside dans le refus du Conseil d’Etat de s’exécuter, au nom de la Constitution, et de se mettre enfin à table avec la Confédération.
Si un article doit en remplacer un autre, on abroge le précédent et l’on fait voter tous les cantons en disant: “Vous cédez dorénavant vos prérogatives en termes d’aménagement du territoire à la Confédération”, ça c’est cohérent. A ce moment-là, vous devez faire voter canton par canton, chacun devant décider ou non d’abandonner ses prérogatives en termes d’aménagement du territoire, ce qu’aucun canton n’aurait accepté.
Maintenant la Constitution veut limiter le nombre de résidences secondaires dans les communes, c’est une ingérence dans les compétences cantonales. Pour la LAT, c’est identique.
Pensez-vous sincèrement qu'une telle attitude du Conseil d'Etat soit vraisemblable ?
Je pense que ce serait une attitude responsable. Il y a passablement de pressions qui s’organisent maintenant. La population, l’économie, commencent à en avoir assez de voir leurs droits, leurs prérogatives, massacrés sans réaction. Ils attendent très clairement de leur exécutif qu’il les protège et défende leurs intérêts. Le gouvernement doit se souvenir qu’il a été élu par les Valaisans et doit aussi constater que cette disposition causera un tort énorme à l’économie et à la compétitivité de notre canton. Il faudra bien songer aux 4'000 postes de travail qui disparaîtront. Je pense que c'est historique et que ça doit certainement être une particularité typiquement helvétique de modifier la Constitution avec, pour effet, le passage à la trappe de milliers de postes de travail. Il faut être très riche ou alors irresponsable.
Le Tribunal fédéral semble toutefois ne pas partager votre interprétation du droit.
Le Tribunal fédéral n’est pas là pour édicter des lois. Dans le cadre de la Lex Weber, les initiants ont soumis une proposition claire, le peuple l’a acceptée à une toute petite majorité. Cette proposition contenait l’entrée en vigueur au 1er janvier 2013, je l’ai entendu de mes propres oreilles dans divers débats, de la bouche même des initiants. Il n’y a pas d’interprétation à faire sur une date, on n’interprète pas une date. Or à l’évidence le Tribunal fédéral a pris le pouvoir sur la décision populaire.
J’attends avec beaucoup de curiosité et une certaine impatience la décision judicaire, probablement du Tribunal fédéral, sur les dénonciations faites contre M.Chiffelle, qui est accusé à plusieurs dizaines de reprises d’avoir usurpé l’identité d’opposants qu’il aurait tout simplement inventée. Même un dossier contenant de telles pratiques arrive à obtenir gain de cause en provoquant des dommages inestimables et irréparables à notre pays, ceci devient très alarmant.
Que répondez-vous à ceux qui vous disent que, de toute manière, on ne pouvait pas bétonner du fond jusqu'en haut de la vallée et que la décision du Tribunal ne fait qu'anticiper de peu l'inévitable ?
Mais je dis qu’ils ont raison. Ce n’était pas le bon plan que de construire tout et à tout va, bien évidemment. En plus, ça n’a jamais été le choix des Valaisans. Certainement, les communes, particulièrement, et le canton auraient à un moment donné voulu légiférer. Mais encore une fois cette décision aurait été prise et il aurait fallu la prendre à l’échelle cantonale et avec une analyse bien précise, soupesant les intérêts particuliers de chaque commune. Les cantons savaient très bien faire ça, pas la Confédération. Ce n’est pas son rôle et, en plus, elle n’en a pas les moyens. Ceci prouve que les concepteurs de la Constitution suisse à l’époque étaient au bénéfice d’une autre connaissance du terrain, et d’une autre habileté.
Une conséquence, par exemple: d'innombrables petites stations, n’ayant pas la taille critique suffisante permettant d’assumer l’entretien et le renouvellement de leurs infrastructures ainsi que de bénéficier de moyens de marketing suffisant, verront leur compétitivité disparaître, mettant en danger tous les investissements réalisés jusqu’à aujourd’hui, ce qui veut dire leur existence même et avec, à la clef, la désertion de la montagne par la population. Nos pays voisins adoptent dans les petites ou moyennes stations de montagne une politique totalement différente, empreinte de respect de ses populations. On a l’impression de pas vivre sur la même planète. De mon point de vue c’est monstrueux.
Ne pensez-vous pas que la promotion, d'une part, et le Valais, d'autre part, ont souffert d'un sérieux déficit d'image dans la campagne ?
Tout d’abord, Weber usait d’images trafiquées, de photos-montages et de chiffres fallacieux. Les grues accrochées au Cervin, les statistiques faussées, la montagne complètement pulvérisée; c’était du cirque ! En Valais le "bâti logements" constitue 1,46% de son territoire cantonal (calcul fait sur la surface à plat). Si le Valais veut limiter ses résidences secondaires à 20%, qu’il le fasse, mais c’est à lui de décider. Là c’est quelqu’un qui décide pour nous, en occasionnant des dommages sur l’emploi encore jamais vu, et qui n’assumera rien de ce qui se passera par la suite.
Pour en revenir à votre question initiale, je ne vois vraiment pas, dans la compagne, quels propos inconvenants de la part des intervenants valaisans auraient pu altérer l’image de notre canton.
Que se passera-t-il si le Conseil d'Etat laisse couler ?
Si le Conseil d'Etat ne fait rien du tout, et bien cette loi sera appliquée, je ne vois pas d'autre alternative. Ce seront alors les pires difficultés pour les 20% et les marchés. Il va y avoir une foire d'empoigne pas possible. Si le Valais décide de se soumettre, s'il abandonne ses droits en matière d'aménagement du territoire, les autorités devront assumer et je ne voudrais pas être à leur place à ce moment-là.
On parle de conséquences directes sur le chômage, qu'en pensez-vous ?
Les chiffres annoncent 10’000 pertes d’emplois dans l’ensemble du pays, dont 4’000 en Valais.
Les partisans de la Lex Weber prétendent pourtant que le modèle valaisan pourrait évoluer et s'adapter à la nouvelle situation.
Ils ne sont pas les seuls à le dire, on en trouve aussi dans la classe politique, mais les partisans de Weber, pas plus que les autres, n’ont d’expérience en la matière. On ne change pas de modèle comme ça, ce n’est pas sérieux. Le but du tourisme est de vendre des paysages, du bien-être et des services sur un certain marché. En ce qui concerne les logements, c’est évidemment, avec certaines infrastructures, la pierre angulaire de l’économie touristique. Aujourd’hui ces quelques docteurs, et nous en trouvons également en Valais, disent qu’il faut faire des lits chauds. J’ai envie de dire: "Formidable, juste dommage que personne n’y ait songé plus tôt".
Plus sérieusement, forcer des gens à louer plusieurs années après qu’ils aient acheté leur objet est quasi impossible pour toutes sortes de raisons, notamment si vous n’avez pas proposé ce type d’organisation dès le départ. Les grands opérateurs touristiques sont intéressés à louer de grands complexes, très clairement, car il y a une unité, une rationalité dans l’exploitation et une proximité entre les services et les objets destinés à la location. Petit détail croustillant, quelques uns de ces docteurs proposent un nouveau modèle basé sur la location, Formidable, encore une fois ! Mais vous devez savoir que, le 10 décembre 2012, donc après l’ordonnance, les services de Mme Leuthard ont décidé de modifier la définition de résidence secondaire, sur un point essentiel, vital. Dans la définition précédente et selon les arguments des initiants, les appartements mis en location n’émargeaient pas dans le calcul des 20%. Hors le 10 décembre, Mme Leuthard et ses services ont décidé tout le contraire, avec des conséquences invraisemblables sur l’économie touristique, et ceci sans aucune légitimité. De qui se moque-t-on ?
Mais la Lex Weber ne pourrait-elle pas, en fin de compte, bénéficier à l'hôtellerie proprement dite ?
Celui qui construit un hôtel aujourd’hui n’a pratiquement aucune chance. Il va lui falloir 50 à 60% de fonds propres, il paiera des taux d’intérêt de 3 à 5% ou plus, pour un prêt amortissable sur 15 ans avec, en sus, les contraintes, les charges de construction, le béton, le sismique, le coefficient K etc. En résumé, on construit 30 à 35% plus cher chez nous que dans les pays de nos vrais concurrents.
Au Tyrol ou dans le Trentin, il y a un pool bancaire qui vous prête jusqu’à 85% d’investissement, entre 0,5 et 1,5%, avec prise en charge par l’Etat en cas de besoin et le tout remboursable sur 25 ans. Voyez la différence, chez nous c’est devenu mission impossible.
Il faut voir aussi qu’en Suisse, le tourisme n’a pas, ou peu, d’importance. Il concerne deux ou trois cantons périphériques. Les Grisons, qui vivent avec Zurich, ont pu garder leur pré carré pour eux sans trop devoir agrandir, il reste le Valais et les Alpes vaudoises, dont on vient de détruire la compétitivité. Encore une fois, le maintien des prérogatives cantonales en matière d’aménagement du territoire ne doit jamais être touché.
C’est ce que je dis à tous les politiciens que je peux rencontrer, il faut commencer par la Constitution. Si on accepte aujourd’hui qu’on puisse modifier la Constitution sur des points aussi essentiels que l’aménagement du territoire ou, par exemple, comme prévu cet automne pour la fiscalité, sans réagir, alors nous avons un sérieux problème; que reste-t-il du fédéralisme si cher à la Suisse ?
Nous sommes périphériques, nos intérêts sont totalement différents des autres, différents de la grande majorité de la Suisse qui est devenue complètement urbaine, quasiment une grande ville bientôt. Alors pourquoi doit-on être pénalisé dans nos activités au nom d’un Weber, certes gentil, mais un peu barge, qui ressasse toujours les mêmes slogans ?Je pense qu’il a bénéficié de soutiens étonnants.
Ca a pourtant marché avec le Lavaux.
Le Lavaux s’est voté au niveau cantonal justement. A partir de là, les Vaudois ont voulu protéger le Lavaux, c’est leur liberté. La nôtre c’est de vouloir protéger notre activité économique et nos emplois. Le mal est beaucoup plus profond qu’on ne croit, au-delà des conséquences catastrophiques sur l’emploi et la compétitivité du tissu touristique. Des entreprises du secteur devront disparaître.
Comment pensez-vous qu’ont été financées les installations de remontées mécaniques, à Veysonnaz, Nendaz ou ailleurs ? C’est le résultat des promotions immobilières et des entreprises qui ont assuré leur financement. Aujourd’hui, on nous enlève les moyens d’avancer.
On a perdu sur une campagne, les gens ont cru voter contre les promoteurs, ils ont voté contre les Ferrari, les grosses villas et les belles femmes. C’est cette image qui a perdu, mais elle n’a strictement rien à voir avec la réalité de l’activité touristique valaisanne.
N'y a-t-il pas des "trucs" qui permettraient au Valais de s'en sortir sans trop de mal ?
Evidemment, vous allez avoir le mari et la femme qui ont des papiers dans deux communes différentes. Les musulmans seront avantagés puisqu’ils peuvent avoir quatre à six femmes, alors le problème sera atténué (rires).
Vous êtes cités dans le matin dimanche de ce jour pour ce même article !
11 mars 2012 ou 1er janvier 2013, le problème de fond reste le même.
Mais quelqu’un pourrait-il m’éclairer sur ces fameuses dispositions transitoires mentionnées dans l’arrêté fédéral: sont-elles postérieures ou antérieures au 11 mars 2012 ? le document, mentionnant plusieurs dates, n’est pas clair à ce sujet,