Dans une controverse célèbre, le grand philosophe français Julien Freund lança un jour à l’un de ses professeurs : « Comme tous les pacifistes, vous pensez que c’est vous qui désignez l’ennemi. Or c’est l’ennemi qui vous désigne. Et s’il veut que vous soyez son ennemi, vous pouvez lui faire les plus belles protestations d’amitié. Du moment qu’il veut que vous soyez l’ennemi, vous l’êtes. Et il vous empêchera même de cultiver votre jardin. »
L’attaque contre « Charlie Hebdo », et les autres opérations terroristes qui ont suivi, sont une déclaration de guerre à la France. Il ne sert à rien que François Hollande, Laurent Fabius, Manuel Valls ou Bernard Cazeneuve cherchent à masquer la réalité, à continuer de refuser d’accoler l’adjectif « islamiste » au mot « terroriste » comme le ministre des Affaires étrangères, celui qui préfère que l’on dise « Daech » plutôt qu’Etat islamique, le faisait encore lundi, cinq jours après l’attaque. Comme le dit plus simplement le criminologue Alain Bauer, intime de Valls : « Il faut arrêter de ne pas dire les choses. »
Dans « Monde & Vie », qui vient de paraître, l’abbé de Tanoüarn écrit avec une acuité de l’esprit rare dans la presse de ces derniers jours que les victimes des frères Kouachi et de Coulibaly « sont, par position, des martyrs de la civilisation européenne ». « Par position », car là où ils se trouvaient, ils symbolisaient cette civilisation et, ce qui lui appartient en propre, la liberté, y compris celle d’être odieux avec les idoles d’un monde politico-religieux qui persiste à se vouloir totalitaire (et y compris celle d’être odieux avec ce qu’est réellement la civilisation européenne).
Vu du dehors, car les terroristes islamistes, pourtant français par la carte d’identité, se posaient en éléments tout à fait extérieurs de la France – il est fascinant de voir à quel point, dans ses conversations avec les otages, Coulibaly disait « vous », « vous » les Français… –, « Charlie » incarnait la France, cette France mécréante que, faute de convertir, il faut punir sinon exterminer, au nom du Coran, au nom de Mahomet. « Le prophète est vengé ! » a crié l’un des frères Kouachi après la tuerie. Pas d’amalgame, qu’ils disent…
On en ferait pourtant bien un autre, d’amalgame. Tous ceux qui ont défilé
– et il fallait le faire dans cette épreuve collective – savent-ils que la République, qui prétend combattre « le terrorisme », s’est justement érigée sur le terrorisme ? Que le terrorisme est fils de la Révolution française et de cette Terreur qui extermina des dizaines de milliers de Français qui refusaient « les valeurs de 1 789 », comme ils disent, et qui ne s’acheva qu’en 1 794 après la chute de Robespierre… qu’ils invoquent ? France décérébrée, France sans mémoire, qui ne sait plus qui elle est, d’où elle vient, et qui se dresse « contre le terrorisme » et pour Charlie alors qu’au premier coup de feu, elle appelle la Ligue des droits de l’homme ou le Conseil français du culte musulman…
A la veille de Noël, sous le titre « L’escalade d’un ennemi intérieur que l’Etat n’ose pas nommer », nous écrivions, après qu’il y avait eu floraison de « déséquilibrés » de Joué-lès-Tours à Dijon : « Aujourd’hui des blessés, demain des morts, au cœur même de notre territoire où, d’un simple clic sur un clavier d’ordinateur, se lèvent ceux qu’on appelait autrefois, du temps de la guerre froide entre Est et Ouest, des “agents dormants“ lorsqu’il s’agissait d’agents soviétiques, des “stay-behind“ – ceux qui restent derrière les lignes – lorsqu’on parlait du réseau d’agents clandestins piloté par l’Otan. »
Nous ajoutions : « Sauf qu’à la différence des agents dormants de l’un ou l’autre bord, les combattants islamistes : 1. sont en nombre inconnu et en tout cas bien supérieur aux 5e colonnes qui étaient prépositionnées sur notre territoire ; 2. n’ont pas peur de mourir et en éprouvent même de la fierté ; 3. peuvent être activés par un simple message ou une vidéo postée sur internet ; 4. se renouvellent sans cesse, au fil des migrations. » (1)
Dimanche 11 janvier 2015, ce fut la première fois de toute l’histoire de l’humanité peut-être que l’on vit l’ensemble des responsables politiques défiler contre les conséquences de leur propre politique ! Macabre ironie de l’histoire qui voit les figures emblématiques de Mai 68 mourir sous les balles de ceux qui n’auraient pas pu agir si l’esprit de Mai 68 n’avait pas contaminé toute la société, si les flots de l’immigration n’avaient pas été grand ouverts, si la compassion pour les criminels n’avait pas en tout lieu remplacé la justice, si la double peine n’avait pas été abolie, si cette « parenthèse enchantée », comme dit Eric Zemmour, où l’idée même de la guerre avait disparu et où l’on avait oublié que l’histoire est tragique, n’avait pas eu lieu.
Le 7 janvier, c’est cette « parenthèse enchantée » qui s’est refermée en même temps que débutait une guerre contre un ennemi intérieur qu’il va maintenant falloir mener avec le concours de toutes les forces armées mais aussi de toutes les forces morales, c’est-à-dire avec le concours de toute la nation, quitte à se séparer des rétifs, des récalcitrants, de cette racaille qui, dans les écoles, dans les rues, sur les lieux même des crimes parfois, a manifesté sa solidarité avec les terroristes islamistes.
Cette guerre sera longue et difficile, elle fera des victimes mais elle sera gagnée. A la condition qu’aux « Je suis Charlie », lointain écho en nettement plus insignifiant du « Nous sommes tous des juifs allemands » de Mai 68, succède une reprise morale, déjà amorcée, celle qui mettra définitivement un terme aux années de « Sida mental » décrites par Louis Pauwels il y a déjà près de trente ans, et qui sont la principale cause de la perte de nos défenses immunitaires.
« Minute »
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