Selon un sondage de l’institut GFS Bern, une majorité de la population souhaite qu’il y ait davantage d’éducation civique à l’école dans le but de faire augmenter l’intérêt pour la chose politique. L’enquête relève encore que les sondés désirent un cours qui soit pratique et neutre, en lien avec l’actualité politique. Si l’idée parait séduisante, elle se heurte à certaines difficultés qu’il ne faudrait pas négliger.
En premier lieu, réaliser un cours qui soit neutre et en lien avec les votations en cours n’est pas à la portée de tout le monde. On a pu constater dernièrement que la chancellerie fédérale elle-même planche sur une limitation du droit d’initiative (1). Cela signifie donc que nos propres institutions, sensées être neutres, se permettent de vouloir dire ce qui est acceptable d’un point de vue légal ou non. Pourtant, il est bien évident que les juristes ayant conçu les initiatives incriminées, pensent, eux, qu’elles sont tout à fait valides et acceptables. Pourquoi donc la conception des premiers primerait-elle sur celle des seconds ?
Ce premier constat démontre que même les instances les plus hautes de l’état ont dépassé le stade de prendre position pour ou contre une votation et se permettent de dire ce qui est acceptable ou non. Comment donc demander à un enseignant, de qui il n’est pas exigé d’atteindre un aussi grand degré d’impartialité que ne devrait avoir une institution telle que la chancellerie, puisse diriger des élèves de façon neutre dans des débats qu’il estime lui-même comme étant inacceptables ? Imaginez ce qui se serait passé dans bien des écoles si des débats entre élèves avaient été réalisés au sujet de l’initiative sur l’interdiction de la construction des minarets par exemple. Qui peut garantir que des enseignants pour qui une telle votation n’est pas seulement négative mais viole semble-t-il les droits fondamentaux puissent traiter un tel sujet de manière neutre et objective ? Il ne faut pas se leurrer, aller dans une telle direction, c’est ouvrir la porte aux manipulations politiques les plus grossières.
A ce sujet, même des cours traitant de problématiques politiques qui ne sont pas forcément en lien avec des votations d’actualité n’atteignent pas le statut de l’impartialité. Je l’ai déjà démontré à deux reprises et j’invite les éventuels sceptiques à jeter un œil sur ces analyses (2).
Alors non, il n’est pas question de faire entrer le débat politique dans les salles de classe. Ce d’autant plus qu’il n’est pas acquis que cette pratique puisse faire augmenter la participation politique. Ce n’est pas l’ignorance qui créée l’abstention. Après tout, la pratique du vote est quelque chose de plutôt simple et les médias sont amplis de considérations sur les votations en cours. Il n’est donc pas possible d’imaginer que si les gens ne votent pas, c’est parce qu’ils ne savent pas. En revanche, diverses enquêtes menées démontrent que les Suisses ne font pas du tout confiance à leurs politiciens (3). Comment voulez-vous qu’un taux de confiance oscillant entre 15 et 24% de la population envers les politiques puisse amener la population à se presser aux urnes ? Si on désire réellement augmenter l’intérêt pour la politique, alors il faut trouver des moyens de faire cesser les mensonges et la mauvaise foi en politique, de faire que les politiciens mettent concrètement en œuvre ce qu’ils ont promis, qu’ils désirent sincèrement le bien commun ou d’appliquent réellement ce que demande le peuple quand il vote. Tant que cela ne sera pas le cas, il est illusoire de penser faire diminuer le taux d’abstention. Et ça, l’école ne peut le faire.
Cela ne veut bien entendu pas dire qu’il faille se passer de toute forme d’instruction civique. Pour tout dire, c’est même tout le contraire qui vaut. Il est impératif que le fonctionnement des institutions soit expliqué aux jeunes qui se préparent à faire le grand saut dans la majorité. Ils doivent apprendre comment fonctionne leur pays, et ce à tous les échelons, du communal au fédéral, doivent comprendre ce que sont les différentes formes de démocratie etc. C’est là l’unique manière de leur faire prendre conscience qu’il peut en être autrement, que la politique telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui n’est pas indépassable et que celui qui veut vraiment s’engager peut apporter un mieux.
Pour tout dire, ces enseignements sont beaucoup plus importants que nombre d’objectifs qu’on retrouve dans les plans d’étude. Qu’on cesse de vouloir faire des jeunes de l’école obligatoire des historiens ou géographes professionnels en leur bourrant le crâne avec des compétences délirantes pour leur apprendre les fondamentaux de ces disciplines, préalable nécessaire à l’acquisition de toute éventuelle compétence en la matière. L’éducation civique peut tout à fait trouver sa place à ce niveau. Et remplacer avantageusement également toutes les gesticulations consacrée à une pseudo citoyenneté mondiale qui n’existe que dans l’imagination de ceux qui la promeuvent et dont certaines officines de la confédération se font le vecteur de propagande (4). D’abord on apprend comment cela fonctionne ici, ensuite on va voir ailleurs et pas l’inverse !
Reste maintenant à traiter le point de la méthode. A vrai dire, il n’est de loin pas acquis que des mises en situation pratiques soient plus efficaces pour effectuer ces apprentissages. L’immense majorité des études qui ont testé sur le terrain les différentes pratiques d’enseignement démontrent d’ailleurs que des méthodes plus transmissives/explicites portent beaucoup plus de fruits (5). Mais cet aspect doit rester au choix de l’enseignant : un enseignant à l’aise avec des méthodes statistiquement prouvées comme moins efficaces sera toujours plus performant que s’il travaille avec des outils qu’il n’apprécie ou ne maitrise guère. Par conséquent, il doit rester maître de sa méthode.
Ce qui m’amène à formuler un dernier mot au sujet des grands chercheurs qui veulent rendre ces cours attractifs à l’aide de réseaux sociaux et de supports électroniques. Tout d’abord, il faut arrêter de croire que parce qu’il utilise un gadget technologique, l’élève s’extasie devant le travail qu’il a à faire. Ce n’est pas le support qui provoque l’intérêt pour la matière. D’ailleurs, l’utilisation des nouvelles technologies comporte le risque que l’élève s’intéresse davantage au support lui-même qu’au cours. Non, la motivation surgit lorsque l’élève prend conscience qu’il est capable d’apprendre et de réaliser ce que l’enseignant lui demande. Et surtout pas par l’utilisation de babioles porteuses d’un très fort potentiel de distractions.
Au final donc, si l’instruction civique est fondamentale et mérite d’être mieux valorisée, cette revalorisation ne doit pas se faire n’importe comment et surtout pas imposée en s’appuyant sur des théories qui, si elles sont en vogue aujourd’hui, n’ont jamais prouvé leur validité.
Stevan Miljevic, le 5 août 2014
(1) http://www.lausannecites.ch/et-aussi/en-parle/coup-de-gueule-chancellerie-federale-le-scandale
(2) http://stevanmiljevic.wordpress.com/2013/11/14/la-propagande-politique-na-pas-sa-place-a-lecole-partie-1/
et
http://stevanmiljevic.wordpress.com/2013/11/29/la-propagande-politique-na-pas-sa-place-a-lecole-partie-2-limmigrationnisme/
et
(4) http://www.education21.ch/fr/soutien-financier/education-a-une-citoyennete-mondiale
(5) http://stevanmiljevic.wordpress.com/2014/06/01/moyens-denseignement-le-constructivisme-toujours-a-la-barre-au-mepris-des-recherches-scientifiques-serieuses/