La relocalisation du monde ou la révolution mondialiste

Dans un monde qui est changeant, la difficulté est d’intégrer les nouveautés dans la réflexion mentale et d’anticiper ce qui pourrait advenir du fait des innovations et des inventions.

Focalisés que nous sommes sur le concept de mondialisation et de son corollaire non exclusif de délocalisation, la relocalisation du monde qui est en cours est en train de nous échapper, alors que ses conséquences seront majeures.

 

En schématisant les phénomènes économiques et techniques des dernières décennies, nous avons connu, des années 1980 aux années 2010, un phénomène marqué de délocalisations, ou plus exactement de « localisations ailleurs ».

Une partie de ce qui était produit en Europe de l’ouest a été fabriquée dans d’autres pays, en Asie notamment, au Maghreb, en Europe de l’est, en Afrique de l’est. Textile, automobile, mécanique, etc.
Ce phénomène a été rendu possible grâce à plusieurs innovations, notamment la révolution du porte-conteneurs, et la mécanisation et la robotisation des usines. Cette période de « production ailleurs » ou de « localisation ailleurs » est en train de s’estomper.
Depuis le début des années 2010, nous assistons à un phénomène de « localisation ici » que l’on pourrait aussi nommer « relocalisation ».

Ce terme est toutefois impropre car les productions ont toujours été « localisées » quelque part. Relocalisation peut convenir dans la mesure où la production s’effectue de plus en plus en Europe, mais il ne s’agit pas d’un retour en arrière : nous n’allons pas rouvrir les mines de charbon, les usines Renault de Billancourt ou celles de Simca à Poissy.
C’est bien un phénomène nouveau, non un retour en arrière. Un phénomène qui est permis non par un quelconque « État stratège » ou une planification énarchique, mais par l’innovation et l’invention.

 

Du made in monde au made in ici

Le made in monde désigne ce phénomène d’éparpillement de la chaine productive et de la chaine de valeur à travers le monde. Des pièces créées dans plusieurs usines du monde puis rapatriées pour être assemblées et aboutir à un produit final. Cette mondialisation là ne disparait pas, mais elle est en train de changer de façon profonde.

En 1956, le premier porte-conteneurs, Ideal-X, portait 58 boîtes multimodales. Aujourd’hui,  le Jacques-Saade, le bateau phare de la CMA-CGM en embarque 23 000, soit l’équivalent d’un train de plusieurs centaines de km de long. Expédier un conteneur entre Le Havre et Shangaï (8 700 km) revient au même prix qu’expédier un conteneur par camion entre Le Havre et Paris (200 km). Résultat, 90% des échanges internationaux passent par la mer, et 80% en valeur.

La technique qui a permis le made in monde est aujourd’hui en train de permettre le made in ici, c’est-à-dire la production localisée, et cela va bouleverser le monde. Pouvant produire plus près, les temps de transport vont encore baisser, et donc le coût et les stocks. Ces innovations vont permettre une nouvelles baisse des prix.

 

Ce phénomène est abondamment étudié par Cyrille Coutansais, directeur de recherche au CESM, dans le dernier livre qu’il vient de publier La (re)localisation du monde (CNRS éditions, 2021).

 

Certes, montre l’auteur, produire en Asie, notamment pour le textile, permet d’avoir une main d’œuvre moins chère, mais cela oblige à commander un an en avance, ce qui immobilise beaucoup de capitaux, contraint à avoir des stocks et ne permet pas beaucoup de souplesse.

Les entreprises commandent de gros volumes pour diminuer les prix, mais du coup elles font face à de nombreux invendus, qu’il faut ensuite détruire. Produire plus près (par exemple au Maghreb ou en Europe de l’est), permet de diminuer le temps de transport, d’être plus fluide dans la commande, et donc de limiter le stock.
C’est donc une source d’économie réelle. À force de se focaliser sur le seul coût de la main d’œuvre, beaucoup n’ont pas vu que d’autres facteurs entrent en compte : la qualité des infrastructures, la stabilité politique, la formation des ouvriers, le niveau de corruption, l’accès à une énergie fiable et peu chère.

Beaucoup de pays ont des coûts de main d’œuvre nettement moins chère que l’Éthiopie et le Maroc ; la Centrafrique par exemple, le Nigéria, le Mali. Pour les raisons évoquées plus haut, il ne viendrait pas à l’idée d’entrepreneurs d’y installer leurs usines.
Produire loin rend aussi plus vulnérable aux catastrophes politiques ou climatiques : un coup d’État ou une inondation peuvent fragiliser la chaine de production. Ce fut le cas en Thaïlande où les inondations de 2011 ont obligé à la fermeture temporaire de 14 000 usines qui produisaient pour le marché de l’électronique mondiale.

 

La révolution du numérique

Cyrille Coutansais montre que le made in ici est en train de se développer grâce à trois innovations numériques :

1/ Le développement de l’ordinateur personnel et du téléphone portable.

2/ Le développement d’internet, qui permet le e-commerce.

3/ Le développement de la 5G, qui va permettre aux usines de produire à la demande.

 

Cette phase 3 va permettre d’avoir des coûts de production similaire à ceux des pays émergents. Contrairement à ce que pense Éric Piolle, le maire écolo de Grenoble, la 5G ne sert pas à regarder des films dans l’ascenseurs, mais à connecter les usines et les objets entre eux, les imprimantes 3D et les robots. Elle est un outil indispensable à la modernisation de l’industrie et à l’essor de la localisation du monde.

 

L’exemple des maillots de l’équipe de France de football en témoigne. En 2018, quand la France devient championne du monde, son fournisseur Nike ne dispose pas de maillot 2 étoiles en stock. Fin juillet, les maillots ne sont toujours pas là. Nike les commande et annonce leur arrivée pour la mi-août. Peine perdu, les nouveaux maillots ne seront disponibles qu’à Noël, faisant manquer à Nike le temps estival et la rentrée des classes.

Une entreprise alsacienne dame le pion à l’équipementier américain. De fil en aiguille et sa marque Defil parvient à faire des maillots bleus à deux étoiles en un temps record.
Ce ne sont pas les maillots officiels de l’équipe de France, mais ce sont des maillots de football aux couleurs de la France et avec deux étoiles. Grâce à une production locale, Defil a pu concevoir le maillot et le produire vite, le mettant en vente dès la fin juillet. Le made in ici l’a emporté sur le made in monde.
Un autre exemple est celui du fabricant de pulls et de marinières Saint-James, passé de 37 salariés en 1970 à plus de 320 aujourd’hui, réalisant près de 50 M€ de CA dont 35% à l’export. Saint-James a mécanisé sa chaine de production, développé des collaborations avec d’autres marques et créé des personnalisations. Le produit ici a pu rivaliser avec le produit là-bas.

 

L’ère des robots

On glose beaucoup sur le robot et ce qu’il change dans le rapport au travail. Le robot est une machine qui fait à la place de l’homme. Un lave-linge, un four à micro-onde, une chaine automobile mécanisée sont autant de robots différents. Dans les années 1970-1980 on parlait de « robots ménagers », expression un peu passée de mode. Les robots, c’est-à-dire la machine, sont en train de connaitre de nouvelles évolutions majeures, dont la 5G permettra le déploiement.

On ne parle pas ici de choses qui pourraient exister dans le futur, mais de choses qui existent déjà et qui sont en plein essor. Ainsi, les premiers bateaux autonomes ont fait leur apparition.
Les robots industriels se développent à grande vitesse. Chine, États-Unis, Japon, Corée du sud et Allemagne achètent les ¾ de la production mondiale de robots industriels.

C’est là une guerre économique majeure qui est en train de se mettre en place et dont malheureusement la France, toujours frileuse à l’égard de la technologie, est en train de passer à côté. Comme le fait remarquer Cyrille Coutansais dans son ouvrage, la 5G permet de diminuer le temps de latence et donc d’employer de façon encore plus massive les robots industriels.

La fabrication en 3D permet de travailler la nuit et le week-end, en employant une main d’œuvre minime. Ce sont donc des gains de temps majeurs, une hausse de la productivité et donc une baisse des prix.

 

HP collabore avec le chimiste Henkel, le plasturgiste Oechsler et BASF afin de développer de nouvelles imprimantes 3D qui pourront être utilisées dans une grande variété d’éléments industriels.

L’auteur donne l’exemple de BMW et de l’un de ses modèles de turbopropulseur. 855 pièces étaient nécessaires à la production de celui-ci, indispensable pour le fonctionnement des moteurs. Les pièces étaient fabriquées dans des usines différentes, transportées et assemblées en Bavière.

Grâce à l’impression 3D, le nombre de pièces nécessaires à la fabrication du turbopropulseur a été ramené à 12 et elles sont toutes fabriquées sur place. Le secteur automobile, le secteur textile mais aussi le bâtiment vont être transformés par la production additive.

 

Les usines numériques sont ainsi totalement transformées. En médecine, on pourra disposer d’usines qui pourront produire plusieurs médicaments. Par exemple, Sanofi lancera en 2025 une usine à Neuville-sur-Saône qui hébergera plusieurs modules de production afin de fabriquer de façon simultanée 4 vaccins, quand la norme actuelle est de un vaccin par usine. On mesure mal aujourd’hui les transformations que cela va induire.

 

La production à la demande n’est judicieuse que si l’on peut livrer rapidement les clients. L’usinage dans des pays lointain n’a donc que peu d’intérêt. La production locale permet de réduire les coûts de transport, réduire les stocks et les commandes et donc les immobilisations de capitaux. Le fabriqué ici est en train de remodeler les cartes mondiales.

 

La transformation de la main d’œuvre

 

Comme toujours avec la mécanisation, ce sont les métiers les plus pénibles qui sont détruits. Autrefois le porteur d’eau et l’allumeur de réverbère, demain le nettoyeur ou l’ouvrier de chantier. Les Robots Xenex peuvent désinfecter une chambre d’hôpital en 10 mn quand il faut 40 mn pour un humain.

Les robots nettoyeurs sont présents aussi dans les grands espaces publics : gares, centres commerciaux, etc. D’ici quelques années, fini les balayeurs, ce sont ces machines qui s’occuperont de tout. Les repas seront livrés par des automates, terminé donc Uber eats, les livraisons se feront via drones (ce qui existe déjà mais sera généralisé).
Aujourd’hui, beaucoup de monde attaquent ces nouveaux métiers de livraisons à domicile. Quand ils disparaitront d’ici quelques années, les mêmes se plaindront de leur disparition et demanderont l’arrêt de la mécanisation.

 

La robotisation et l’automatisation viennent égaliser les coûts de production avec les pays du tiers-monde, rendant caduc une grande partie de l’intérêt des délocalisations.
Nous sommes entrés dans l’époque de la personnalisation de masse, ce qui permet une économie des matières premières, une économie de temps et un ajustement au mieux des besoins et de la demande.

La localisation de la production va remodeler les rapports entre la carte et le territoire. Les mégapoles ne seront plus nécessairement les lieux de travail et de production. La façon d’appréhender l’espace va être revu et remodelé, mais il demeure difficile de savoir de façon précise ce que sera l’avenir.

 

La mondialisation telle que nous l’avons connue à partir des années 1990 est en train de disparaitre. Elle est née grâce à des innovations technologiques particulières et elle disparait du fait de l’apparition de nouvelles innovations technologiques.
Dans les 10-15 ans à venir, le monde sera de plus en plus global mais aussi de plus en plus local. Ce n’est pas le moindre des paradoxes de la mondialisation que d’avoir recréer des frontières et de favoriser la réémergence des cultures locales.

source: https://institutdeslibertes.org/la-relocalisation-du-monde/

Auteur: Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018

Tocqueville, Huxley, Orwell et Ayn Rand: Atlas Shrugged

Nous vivons un moment crucial où toutes nos institutions sont remises en cause et où un véritable schisme est en train de se produire entre gouvernants et gouvernés.

Nommer une réalité n’est pas expliquer cette réalité, mais juste la constater.

Et du coup, ceux qui veulent des explications sont allés chercher Tocqueville, Aldous Huxley ou George Orwell, et ces trois noms apparaissent à juste titre dans de nombreux articles ou publications rédigés par des commentateurs qui cherchent des explications à ce phénomène qui devient de plus en plus évident.

  • Tocqueville, suivant en cela Aristote qui détestait la démocratie a expliqué comment le passage de l’aristocratie à la démocratie impliquait l’émergence de ce qu’il appelait une tyrannie « molle » qui n’aurait qu’un but : Couper les têtes qui dépassent, ne laissant aux citoyens comme possibilité que de vivre des vies totalement contrôlées et centrées sur des plaisirs médiocres que chacun craint de perdre s’il venait à déplaire au tyran, et cette analyse se vérifie tous les jours. La grande originalité de Tocqueville ne consiste donc pas à avoir prédit que la dictature suit toujours la démocratie puisque c’est ce qu’avait dit Aristote bien avant, mais que cette dictature serait « molle » et bénéficierait du soutien de la population.
  • Huxley, quant à lui, dans « le Meilleur des Mondes », accepte que la démocratie a perdu et que le gouvernement est tombé dans les mains d’une classe assez peu définie mais qui, grâce à la science a réussi à modifier la nature humaine dès avant la naissance, la conception et la gestation ayant lieu dans des éprouvettes ce qui  permet de scinder la population en cinq classes: Au sommet les alphas, puis les bêtas …etc…  Et tout en bas les deltas, tous formés biologiquement pour remplir des tâches bien précises en fonction de leur numérotation. Et pour faire tenir tout ce petit monde tranquille, si l’un d’entre eux a le blues, « on » lui file un produit euphorisant et abrutissant, le Soma qui lui permet de se sentir mieux. Toute ressemblance avec la situation actuelle est évidemment fortuite.
  • Le dernier, Orwell nous annonce dans son livre « 1984 », l’arrivée au pouvoir de « Big Brother », que personne ne connait, mais qui surveille tout le monde de près et qui, grâce au contrôle total du monde technique, politique et médiatique dont il dispose, s’assure de la maitrise du « Logos » en inventant la ‘’Novlangue » où les mots veulent dire le contraire de leur acceptation courante : liberté veut dire esclavage, paix veut dire guerre, information libre veut dire censure, démocratie veut dire dictature … Toute similitude avec nos GAFA, encore une fois, ne peut être que le fruit du hasard.

Et tous les commentateurs, qui tous savent utiliser Google, de nous faire passer de Tocqueville à Huxley puis à Orwell pour nous expliquer ce qui est en train de se passer en espérant nous faire croire qu’ils ont lu et médité ces grands auteurs.

Et donc, pour contribuer à cet effort d’éducation des masses, je vais me permettre d’ajouter un autre géant intellectuel au groupe de ceux qui ont vu tout arriver.

Et dans ce cas précis, ce sera une géante, du nom de Ayn Rand, dont très peu de gens ont entendu parler en France mais qui a écrit à la fin des années 50 LE livre qui a eu le plus d’influence sur une majorité d’américains après la Bible, ‘’Atlas Shrugged ».

Et ce livre qui fut un immense succès mondial ne fut traduit en Français sous le nom de « La Grève » qu’il y a une dizaine d’années tant il dégoutait la classe intellectuelle française (Emmanuelle et moi avons rencontré la traductrice un peu avant la parution en France et je crois qu’Emmanuelle en a fait une recension sur l’IDL, mais du diable si je me souviens quand).

Atlas Shrugged est une œuvre bien étrange.

  • D’abord par sa taille, car il doit compter au moins 1300 pages.
  • Ensuite par le fait que madame Rand n’a guère de bonheur d’écriture. Le style est plat et convenu.
  • Enfin par le fait que ses personnages, à l’exception d’un ou deux personnages secondaires, ont une profondeur psychologique extraordinairement sommaire qui rappelle fâcheusement Zola.

Et pourtant, si vous commencez à le lire, vous ne pouvez pas le lâcher tant les thèses qui y sont développées surprennent et choquent, tout en apparaissant comme parfaitement justifiées par les expériences que chacun a pu faire tout au long de sa vie.

Pour ceux qui veulent en savoir plus sur Ayn Rand sans trop se fatiguer, je conseille de lire la note sur https://www.wikiberal.org/wiki/Ayn_Rand qui est plutôt bien faite.

Et quelles sont ces thèses que je vais essayer de résumer au risque de les trahir ?

L’histoire se passe aux USA dans les années cinquante et le pays est gouverné par des gens qui se disent altruistes et recherchent l’égalité au nom du bien commun.

Et cette tentative amène à un désastre humain et économique inouï, et il ne peut pas en être autrement.

Le livre raconte l’opposition totale entre la classe des dirigeants de l’Etat et la classe des créateurs, la classe dirigeante faisant tout pour empêcher les créateurs  d’émerger, au nom de la sacro-sainte-égalité et de l’altruisme (le principal ennemi intellectuel de madame Rand,  dont elle attribue l’émergence à Kant qu’elle vomit, alors qu’elle adore Aristote qui lui observe la réalité sans porter de jugement de valeur).

La thèse centrale est que l’égoïsme de chacun fait le succès de tous et que le soi-disant altruisme des dirigeants fait a chaque fois le malheur de tous.  Et pour illustrer cette thèse, le livre raconte l’histoire de plusieurs createurs (la principale héroïne est une femme) qui se battent contre une société qui ressemble fâcheusement à celle qu’annonçait Tocqueville et qui décident à la fin de faire grève (d’où le titre en français) et de se retirer tous ensemble dans une espèce d’abbaye de Thélème dans les Montagnes Rocheuses où ils rejoindront John Galt, leur héros mythique, qui les appelle à la grève depuis longtemps. (« Mais qui est John Galt » est le cri de guerre des entrepreneurs tout au long du livre).

Et le retrait de toute activité de cette minorité minuscule entraîne l’effondrement de la société tout entière.

Et ce qu’il y a de fascinant dans toute l’œuvre d’Ayn Rand (fort abondante) c’est l’incroyable capacité qu’elle a de dérouler une logique implacable pour montrer que la recherche de l’égalité centrée sur de multiples contraintes imposées aux créateurs finit toujours en désastre. Et cette capacité repose sur l’axiome central de la pensée Randienne : « Ma philosophie conçoit essentiellement l’Homme comme un être héroïque dont l’éthique de vie est la poursuite de son propre bonheur, la réalisation de soi son activité la plus noble, et la Raison son seul absolu. »

Elle a d’ailleurs fondé une doctrine philosophique qu’elle appelait « l’objectivisme » et l’un de ses disciples fut Alan Greenspan, qui assista à son enterrement. Pour Ayn Rand, tout doit partir de l’acceptation de la réalité qui elle est purement objective et tout subjectivisme est forcément destructeur.

Si je devais définir cette philosophie, je dirais qu’elle est le symétrique exact du déconstructionnisme qui vit le jour en France, à peu près à la même époque.

Mais Ayn Rand a perdu cette bataille des idées contre le subjectivisme absolu né dans les années cinquante en France  puisqu’aujourd’hui chacun peut décider de ce qu’il est sans considération aucune de ce qu’il a reçu à la naissance.  (Voir mon interview de Mathieu Bock-Côté sur la chaîne de l’ID-Media)

L‘objectivisme a perdu et le subjectivisme qui professe que la réalité n’existe pas l’a emporté, voilà une réalité qu’il est de plus en plus difficile de nier. Et c’est parce que le subjectivisme l’a emporté que nos systèmes politiques sont en train de s’effondrer en Occident.

Mais ce qu’il y a de fascinant dans ses écrits, c’est tout simplement leur caractère prophétique.

Depuis que j’ai lu ce livre il y a une quarantaine d’années, je ne peux m’empêcher de penser a tout ce qui se passe depuis en France, en Europe et aux USA tant l’évolution des événements dans tous ces pays fait irrésistiblement penser à ce qui se passait dans le livre.

  • Lentement mais sûrement tout se déglingue.
  • Le niveau intellectuel moyen s’effondre avec l’éducation.
  • Les médias deviennent le repère des esprits asservis et hurlent avec les loups.
  • Dans le livre,les chemins de fer, les aciéries, les sociétés industrielles, gérés par les syndicats et des incompétents cessent d’investir. Les tunnels s’effondraient au passage des trains, faisant de nombreuses victimes, les dirigeants étant responsables mais non coupables.
  • Le centre des villes se désertifiaient tandis que dans les campagnes la pauvreté la plus absolue régnait…
  • Les pannes d’électricité étaient constantes.
  • L’anomie gagnait la société entière tant le nombre de lois et de règlements empêchait toute initiative.
  • La monnaie, devenue un instrument étatique, ne valait plus rien, la criminalité explosait…

Constater l’effondrement de l’éducation et le déclin des transports en commun, remplacer les chemins de fer par les hôpitaux et la mort des aciéries par la disparition de l’industrie et le parallèle entre la société française d’aujourd’hui et le livre devient criant de vérité.

Beaucoup ont comparé Rand et son entrepreneur de génie au surhomme de Nietzsche et là, je ne suis pas capable de juger n’ayant jamais rien compris à Nietzsche en particulier et à la philosophie allemande en général.

Mais instinctivement, je ne suis pas d’accord. Ayn Rand me semble déifier la Liberté Individuelle et non pas le Pouvoir sur les autres, mais je peux me tromper.

En revanche, ce qu’elle dit me fait beaucoup penser à Pareto et Schumpeter.

Commençons par Pareto : Dans un pays, 80 % de la richesse créée l’est par 20 % des citoyens (Loi de Pareto). Si le système politique s’attache à empêcher les créateurs de créer, alors l’effondrement est inévitable. La question devient donc : mais pourquoi le système politique voudrait-il empêcher ces gens de créer ?

La réponse nous est fournie par Schumpeter dans son grand livre « Capitalisme, Socialisme et Démocratie ».

Le capitalisme, grâce à la destruction créatrice qui en est l’âme (autre mot pour le Darwinisme appliqué à l’économie) permet un développement foudroyant du niveau de vie général.

Cette hausse du niveau de vie amène à un immense développement de l’éducation, ce qui crée des hordes de « faux intellectuels ».

Grâce à l’institution de la démocratie, qui toujours suit l’arrivée du capitalisme, ces faux intellectuels réussissent à prendre le contrôle de l’Etat en promettant d’empêcher toute destruction créatrice, ce qui revient a détruire la classe entrepreneuriale et amène à la stagnation et a la pauvreté.

Ce que pensait Schumpeter, mais là je m’avance peut-être à tort, était sans doute que le capitalisme amenait à la démocratie mais était incompatible à terme avec le suffrage universel, alors que Milton Friedman pensait exactement le contraire. Hélas, il apparaît de plus en plus que Schumpeter avait raison et Friedman tort…

Comme les entrepreneurs seront toujours une minorité et que le caractère révolutionnaire de leurs actions les rendra toujours et partout impopulaires, il est fort à craindre en effet que le citoyen de base ne cherche à se venger dans les urnes de leurs succès dans l’économie.

Après tout et comme le dit le proverbe : « Ce n’est pas tout de réussir dans la vie, encore faut-il que vos amis échouent »

Et ici je vais me permettre une critique de l’œuvre d’Ayn Rand, et la voici.

Pour elle, l’entrepreneur est un peu un personnage parfait, incorruptible, que rien ne touche, une espèce de chevalier blanc défendant sans qu’il en ait même conscience, la veuve et l’orphelin.

Or ce n’est pas vrai.

Beaucoup d’entrepreneurs, arrivés à un niveau de rentabilité qui les satisfait, essaient de transformer leurs profits en rentes. C’est-à-dire qu’ils ne veulent plus prendre de risque.Et pour arriver à leurs fins, le plus simple est de prendre le contrôle de l’Etat et de passer du capitalisme pur et dur au capitalisme de connivence pour garantir leur rente en utilisant le monopole de la violence légitime, privilège essentiel de l’Etat.

Et le résultat final est le même : appauvrissement, colère des « petits » et à la fin révolution ou changement de régime.

C’est là ou nous en sommes avec les Gafa qui sont en train d’essayer de préparer pour nous tous un monde à la fois Tocquevillien (petits plaisirs octroyés par une tyrannie molle), Huxleyen (avec les races des maîtres, des contremaitres et des manants tous bourrés d’antidépresseurs), Orwellien (tout le monde sous surveillance constante et obligé de mentir constamment puisque tout écart de langage les dénonce immédiatement) et Randien (nos niveaux de vie et nos libertés s’effondreront en même temps).

Et c’est dans cette chute de nos niveaux de vie qu, annoncent aussi bien Rand que Schumpeter que réside l’espoir.

Dans le fond, parmi ces grands esprits, les seuls optimistes ont été Ayn Rand et Schumpeter, car, pour eux deux, l’absence de liberté amène automatiquement au retour vers la Liberté, une fois que chaque individu découvrira que c’est à lui et à lui seul de gérer son destin et la façon dont il faut vivre.

Les trois autres n’entrevoient pas la sortie du nouvel ordre qu’ils  annoncent.

Ayn Rand, pour conclure avec elle, nous dit de filer dans les montagnes du Colorado avec ceux qui pensent comme nous.

Dans le fond elle a sa solution : le monastère. C’est ce que sait l’Eglise depuis toujours, ce qui est un extraordinaire paradoxe puisque cette Institution a été fondée sur l’altruisme. Mais pour l’Eglise et pour Rand sans doute, l’altruisme se décide au niveau individuel et chacun se l’impose à soi même s’il le veut.  L’entrepreneur de Rand et le Saint de l’Eglise Catholique ont sans doute plus de points communs que ne le pensait Rand.

Pour le socialiste, le mystique, le subjectiviste il s’agit d’imposer aux autres, au nom du bien commun, ce qu’ils n’ont pas la moindre envie de faire et pour cela ils utiliseront la force de l’État et deviendront tyranniques.

Et je vais conclure avec une citation d’Ayn Rand « La foi des mystiques n’a jamais abouti à rien d’autre qu’à la destruction, comme vous pouvez le constater autour de vous une fois de plus. Et si les ravages occasionnés par leurs actes ne les ont pas incités à s’interroger sur leurs doctrines, s’ils prétendent être animés par l’amour alors qu’ils empilent des montagnes de cadavres, c’est parce que la vérité de leurs intentions est encore pire que l’excuse obscène que vous leur trouvez, selon laquelle ces horreurs sont au service de nobles fins. La vérité est que ces horreurs sont leurs fins. »

cg

Des militants racialistes et décolonialistes sont en train de prendre le pouvoir

Le décolonialisme est une idée centrale importée en France en provenance des campus américains. Pratiquement tous ses outils conceptuels proviennent de la « French Theory » qui était dans les années 70 incarnée par Foucault, Deleuze, Bourdieu, Derrida, Lacan, Althusser….  Il s’agissait pour l’essentiel dans la foulée de mai 68, d’appels délirants à la transgression dans tous les domaines.

Sciences Po est devenu le représentant  des délires du progressisme américain. L’école est confrontée à une montée croissante de la pensée racialiste, décolonialiste et indigéniste depuis de nombreux mois. Elle a été occultée par les démissions d’Olivier Duhamel et de Frédéric Mion pour les raisons que l’on connait.  On a vu en effet se développer de petits groupes inspirés par les thèses racialistes. Au mois de décembre dernier le collectif d’étudiants « Being Black at Sciences Po » a réclamé la mise en place d’un cours traitant de « l’intersectionnalité raciale, la théorie critique de la race et la pensée décoloniale ».

Une « liste de lecture pour l’été 2020 » a été établie par “l’équipe éditorialiste de Sciences Po ». On ne connait pas les membres de l’équipe, mais elle a sélectionné des ouvrages aux relents racialistes et décolonialistes alimentant la honte d’être blanc.  Parmi les livres cités figuraient :

Robin Di Angelo pour« White Shame ».  Elle pousse les américains blancs à faire l’examen de leur propre rôle dans la structure du racisme. Son travail consiste entre autres à animer des ateliers de sensibilisation au racisme et au multiculturalisme dans différents milieux de travail pour montrer qu’il existe une “culpabilité blanche”

Ibrham Kendj pour “Comment devenir anti raciste” . Il se présente comme un activiste anti raciste et un historien de la race et des discriminations à l’Unbiversité de Boston .

Reni Eno Lodge pour son essai intitulé « Pourquoi je ne parle plus de race avec les blancs », traduit en français sous le titre « Le racisme est un problème de Blancs » . elle a rencontré en Grande Bretagne un grand succès critique et commercial.

Layla Saad pour “Moi et la supériorité blanche » Layla Saad is a British social-media figure and author. After starting an Instagram trend #MeAndWhiteSupremacy, she developed her work into the digital Me and White Supremacy Workbook. It was published in 2020 as the book Me and White Supremacy, which entered The New York Times Best Seller list.

On a le droit de s’interroger sur le fait de savoir comment une telle liste peut se retrouver sur le site de Sciences Po. Au lieu de miser sur l’assimilation on opte pour le modèle à l’américaine en faisant monter des personnalités de la diversité comme si cela pouvait calmer les ardeurs des indigénistes. C’est en fait le contraire qui se produit.

Il parait que la liste n’est pas le résultat de réflexion académique mais un agrégat de votes et de réponses envoyés par des internautes sur Linkedin, Facebook, Instagram et Twitter.

La liste démontre un penchant pour la question de la couleur de la peau. A partir du moment où la chanteuse et actrice Camelia Jordana, encensée par les media dit « Les hommes blancs sont dans l’inconscient collectif responsables de tous les maux de la terre », le décor est planté. Quand on est blanc on n’a plus le droit de participer à la discussion. Des chercheurs militants confondent propagande et recherche. Ils investissent le monde académique en occupant les postes clés.

Le courant radical anticapitaliste et d’extrême gauche ajoute à la critique du développement industriel moderne celle de l’esclavagisme. Ces idées sont diffusées dans les universités américaines depuis les années 90 par des intellectuel sud américains comme Walter Mignola (Université de Duke), Ramon Grosfoguel (Université de Berkeley), Arturo Escobar (Université de Caroline du Nord).

Il s’agit de faire la part belle à l’inclusivisme et aux théories décoloniales. Parallèlement on remplace l’examen classique par des évaluations et des « reporting » examinés par des comités anonymes. C’est ouvrir la porte à toutes les revendications sociales ou politiques.

C’est la fin du débat et son remplacement par la « Cancel Culture » attisée par les fondamentalismes verts et rouges. Les responsables de ces établissements cèdent par complaisance ou par lacheté devant les activistes. Bruckner ou Finkielkraut ne sont plus admis. Le militantisme haineux a pris la place du débat.Les militants du décolonialisme et de l’intersectionnalité sont libres de poursuivre leur mainmise d’accaparement de l’université.

Sous prétexte d’antiracisme, notre époque voit le retour aux obsessions raciales des années trente. Il est porté par la “sainte trinité de l’incrimination: le néoféminisme, l’antiracisme et le décolonialisme. Comme le fait remarquer Pascal Bruckner, dans les  banlieues il n’y a aucune harmonie entre les tchétchènes contre les maghrébins, les maghrébins contre les gitans, les noirs contre les chinois

Il faut relire « Les traites négrières. Essai d’histoire globale » d’Olivier Grenouilleau.  Certains de ses contradicteurs le soupçonnent de vouloir dédouaner l’Europe de son rôle moteur dans le commerce négrier. Pourtant l’esclavage et le racisme n’ont jamais été à sens unique. Pour en finir avec la culpabilisation de l’Occident, la droite doit se libérer en cessant de vouloir plaire en permanence aux philosophes de gauche.
Olivier Grenouilleau pour avoir publié en 2004 les résultats d’une recherche approfondie sur les traites négrières atlantique et arabo-musulmane, qui montrent que cette dernière a été plus dure, plus longue et plus cruelle que la première, il est accusé de racisme et de révisionisme. Il est cloué au pilori par certains dont Christiane Taubira qui considèrent comme un « vrai problème » qu’il soit payé par l’éducation nationale et enseigne ce qu’elle appelle « ses thèses » !

Au rebours de ce que veut faire croire la propagande “décoloniale” le cas de la France qui a accordé la citoyenneté pleine et entière à ses anciens esclaves dès 1848 n’a rien à voir avec la ségrégation raciale qui a existé aux Etats Unis jusqu’en 1964.

Il faut arrêter le concours des opprimés et l’obsession de minorités à Sciences Po pour l’intersectionnel, pour la race, pour le genre et l’identité. Tout cela détruit les sociétés occidentales.
On dresse en permanence les gays contre les hétéros, les noirs contre les blancs, les femmes contre les hommes.
Douglas Murray dans « La grande déraison » a fait l’inventaire des folies progressistes: “cancel culture”, accusations de transphobie ou de racisme systémique, délires sur le privilège ou la fragilité des blancs, attaques contre les forces de l’ordre accusées de génocide, politiciens et PDG mis à genoux, pillages de magasins en pleine pandémie, carrières bisées par des hordres tweeteuses, enfants encouragés à modifier leur corps, statues et réputations réduites en poussière

Il faut absolument éviter que les militants décoloniaux prennent le pouvoir dans les universités. Il faut mettre un terme à l’embrigadement de la recherche et de la transmission des savoirs

source: https://institutdeslibertes.org/des-militants-racialistes-et-decolonialistes-sont-en-train-de-prendre-le-pouvoir/

Auteur: Jean-Jacques Netter

Jean Jacques Netter est diplômé de l’École Supérieure de Commerce de Bordeaux, titulaire d’une licence en droit de l’Université de Paris X. Il a été successivement fondé de pouvoir à la charge Sellier, puis associé chez Nivard Flornoy, Agent de Change. En 1987, il est nommé Executive Director chez Shearson Lehman Brothers à Londres en charge des marchés européens et membre du directoire de Banque Shearson Lehman Brothers à Paris. Après avoir été directeur général associé du Groupe Revenu Français, et membre du directoire de Aerospace Media Publishing à Genève, il a créé en 1996 Concerto et Associés, société de conseil dans les domaines de le bourse et d’internet, puis SelectBourse, broker en ligne, dont il a assuré la présidence jusqu’à l’ absorption du CCF par le Groupe HSBC. Il a été ensuite Head of Strategy de la société de gestion Montpensier Finance.

Éoliennes : la face cachée de l’écologie

Symboles de l’écologie comme la prétendue électricité "verte » , les éoliennes ont investi les paysages des campagnes françaises ou de la mer.
Cette transition énergétique inspirée par « la révolution énergique » ( Energiewende) allemande oppose défenseurs de l’environnement à l’écologie politique et punitive.
C’est en Eure & Loir et plus particulièrement autour de la commune Proustienne d’Illiers-Combray, qu’ Éric Leser, rédacteur en Chef de la Revue Transitions & Énergies a conduit une enquête sur le terrain pour comprendre les motivations des pro-éoliens et les opposants à l’implantation de parc d’éoliennes.
Imposture écologique, scandale d'État ou symbole réel de la lutte pour le climat ? « Éoliennes: la face cachée de l’écologie » est un reportage essentiel et exhaustif à disposition de tous ceux qui s’intéressent au sujet de la transition énergétique.

La vieillesse est sans pitié – André Bercoff et Charles Gave sur la baisse du niveau intellectuel

Que s’est-il donc passé dans la société française pour être confronté à une telle baisse de la qualité de la discussion publique ? Pour la première fois dans l’histoire de France, il n’y a plus de grands intellectuels !
André Bercoff et Charles Gave sont sans pitié avec la classe « jacassière » devenue stupide, la progression du crétinisme aussi bien dans la classe politique que chez les élites…

L’étrange victoire

Depuis quelques années, les « valeurs géopolitiques » se sont complètement retournées. Jadis, le prestige reposait sur la force, sur la grandeur, sur la victoire, notamment militaire. Aujourd’hui, c’est la victimisation qui attire et qui rend victorieux. Il faut à tout prix montrer que l’on a été victime d’une avanie ou d’une injustice, que l’on a subi un massacre, que l’on a été faible.
Perdre une bataille est devenu positif, car il fait de nous une victime de l’injustice et de l’inégalité.
À l’inverse, la victoire militaire est suspecte. On lui reproche souvent de reposer sur l’asymétrie, ce qui la rend injuste, sans se dire que c’est aussi une victoire pour un pays que d’avoir su développer une puissance militaire et technique supérieure aux autres. Le victorieux est suspect ; le perdant est bien vu.
Nombreux sont les prénoms qui sont dérivés de la victoire : Victor, Victorien, etc. ou bien Auguste et Augustin, ou encore Léo et Léon, qui vient de lion et qui symbolise la force.
À ces prénoms masculins se déclinent leurs versions féminines. Il n’y a pas de prénom qui dit la faiblesse, la lâcheté, la défaite parce que cela n’était pas perçu comme des valeurs par les Romains et les médiévaux. Au rythme où va ce renversement des valeurs, on aura peut-être dans quelques années des enfants prénommés « Looser » ou « Perdant » et cela sera porté comme un titre de gloire.

 

Où est Patay ?

Tout le monde a entendu parler d’Azincourt (1415), terrible défaite de l’armée française où sa cavalerie a été massacrée par les archers anglais. Alors que la France a finalement gagné la guerre de Cent Ans, Azincourt est la bataille qui reste dans la mémoire collective. Il est vrai que Shakespeare en a très bien parlé dans son Henry V, mais de son côté c’est une victoire. Mais la levée du siège d’Orléans par Jeanne d’Arc et la victoire de Patay (1429) sont oubliées. À Patay, la cavalerie française a massacré les archers anglais, prenant leur revanche d’Azincourt. Jeanne d’Arc a longtemps été exaltée, autant par les républicains nationalistes que par les catholiques. En 1920, elle a reçu une double canonisation : celle de l’Église, qui l’a déclarée sainte, celle de la République, qui a fait de la fête de Jeanne d’Arc une des quatorze fêtes nationales. Pourtant, un siècle après, il y a très peu de commémorations. Jeanne est pourtant une personne qui coche de nombreuses cases contemporaines : c’est une femme qui fait le métier des hommes, elle a changé la stratégie de son époque et elle a joué un immense rôle politique. Elle est jeune (17 ans en 1429) et elle montre un grand courage tant lors des assauts que lors de son procès. Jeanne pourrait être un modèle pour toutes les jeunes filles françaises. Mais elle est victorieuse ce qui devient une infamie. Comme modèle, on cherchera une perdante.

 

Exalter les victimes

Le soin et l’attention légitime que l’on doit aux victimes et aux personnes fragiles a pris des proportions démesurées. On ne voit plus qu’elles et on oublie tous ceux qui ont lutté ardemment et qui ont gagné. Du reste, s’intéresser aux victimes n’est pas incompatible avec le fait de parler aussi des victorieux.

 

Ce renversement a commencé dans les années 1930. Certes nous avions gagné la Première Guerre mondiale, mais la victoire avait un goût amer au regard des nombreux morts et destructions subis par le pays. La soif légitime de paix a débouché sur le pacifisme et le pacifisme aboutit toujours à la guerre. On reproche toujours à Chamberlain et à Daladier d’avoir cédé à Hitler lors de la conférence de Munich (1938), mais ils n’avaient guère d’autres choix. Leur renoncement était la conséquence d’une série de mauvaises politiques conduites depuis vingt ans et notamment le désarmement des armées françaises et anglaises et leur retard technique. Ni la France ni l’Angleterre n’avaient les moyens de conduire une guerre en 1938. La Pologne rappelle à juste titre son invasion de 1939, mais elle oublie de dire qu’elle a profité de Munich en participant au dépeçage de la Tchécoslovaquie en envahissant la région de Teschen. Les Tchèques eux n’ont pas oublié que si l’Allemagne s’est servie sur leur dos, la Pologne et la Hongrie n’ont pas été en reste. Il faut toujours trouver quelqu’un de qui se plaindre pour se présenter comme victime.

 

La campagne de France

Nous commémorons cette année le 80e anniversaire de la campagne de France qui pour notre pays est le prélude à sa défaite et à son occupation. C’est oublier que cette campagne n’est pas la Seconde Guerre mondiale, mais une bataille durant celle-ci. Or on ne parle que de cette bataille perdue et de plus en plus rarement de la victoire finale. Pourtant, l’armée française et ses généraux n’ont nullement démérité. Bir Hakeim (mai-juin 1942) est quasiment oublié alors que pendant seize jours les soldats conduits par le général Koenig ont tenu tête aux troupes de Rommel, beaucoup plus nombreuses et mieux équipées. Le rapport est de 1 à 10 : 3 700 hommes côtés français, 37 000 côtés allemands. Sans Bir Hakeim, les Anglais n’auraient pas pu gagner à El Alamein et les Allemands auraient pris le canal de Suez.

Le débarquement en Provence, conduit par le général de Lattre de Tassigny comme la campagne de libération de France reste des prouesses militaires et stratégiques majeures et ne furent nullement une partie facile.

 

Les combats de mai-juin 1940 furent eux aussi particulièrement violents. L’armée française déplore 60 000 morts, soit plus de 1 300 morts par jour quand la moyenne de la Première Guerre mondiale est de 900 morts par jour. Les soldats français de 1940 n’ont nullement démérité et ont infligé de lourdes pertes aux Allemands. Plus de la moitié des prisonniers français ont été faits entre le 17 et le 25 juin, soit après la signature des deux armistices. Dans les Alpes, les troupes conduites par le général Olry ont gagné de nombreuses batailles et ont stoppé l’avancée allemande et italienne.

 

Le livre de Marc Bloch, publié à titre posthume, est très juste dans son analyse des causes de la défaite de 1940, mais, ayant été fusillé le 16 juin 1944, il n’a pas connu la victoire finale. Son livre est écrit sous le coup du traumatisme de l’armistice et de l’occupation et n’évoque pas les victoires qui ont suivi. Cette étrange défaite occulte donc les indéniables victoires et c’est cela qui s’est désormais gravé dans les esprits. Cet état d’esprit n’est pas forcément propre à la France, mais il est malgré tout frappant de constater les différences de traitement dans le cinéma. À Hollywood, toute petite histoire peut devenir un mythe et une épopée et son protagoniste, un héros. En France, on attend toujours un grand film sur le général Leclerc, sur Bir Hakeim ou sur des entrepreneurs et des sportifs qui ont réussi de grands exploits. À ce titre, connaissez-vous Kevin Mayer ? Probablement non. C’est pourtant un grand champion de décathlon et le titulaire du record du monde depuis 2018. Il est pourtant presque inconnu du public français. C’est le syndrome Poulidor contre Anquetil, alors même que le premier, s’il n’a jamais porté le maillot jaune, a été un grand coureur et a gagné de nombreuses courses. Étrange victoire donc, qui semble rebuter et effrayer. On semble y préférer les défaites magnifiques.

source: https://institutdeslibertes.org/letrange-victoire/

Auteur: Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d'Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l'influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L'Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).