Un grand festival de cinéma finit toujours par devenir la caisse de résonance, l’amplificateur et le haut-parleur des grandes questions de son temps. Des premiers jours de la 74e Mostra de Venise deux thèmes se dégagent : la question des réfugiés et les tourments de la vieillesse.
Human Flow (« Marée humaine »), le documentaire-fleuve du plasticien chinois Ai Weiwei était attendu dans ce pays, l’Italie, en première ligne pour accueillir les damnés de la mer qui échouent sur ses rivages. Ce dissident en exil cherche à montrer l’ampleur des mouvements de populations déplacées dont le flot, alimenté par les guerres et le changement climatique, n’a jamais été aussi considérable depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Épaulé par une armée de collaborateurs, Ai Weiwei circule à travers le monde, écume les camps de réfugiés, prête main-forte et secourable à des embarquements d’épuisés, suit de spectaculaires cohortes, longue procession de désespérés dépenaillés, qui se heurtent à la fermeture des frontières, pris au piège de « no man’s land » infranchissables.
En artiste, Ai Weiwei joue sur la pureté du ciel, le bleu de la mer, le jaune étincelant des déserts, pour filmer la réalité de cette tragédie du XXIe siècle, le flux incessant et le désastre de cette marée montante. Mais son réquisitoire vire au fourre-tout compassionnel. Comme d’autres avant lui, il se met en scène pour exhiber sa belle âme. Ce douteux penchant narcissique, la volonté d’apparaître sur fond de misère et de détresse, pervertit son propos.
Les réfugiés, on les retrouve dans le nouveau film de Robert Guédiguian, La Villa, libre adaptation contemporaine et méditerranéenne de La Cerisaie de Tchekhov. Un drame intime autour d’un père qui se meurt et de ses héritiers que cristallise le sort de sa belle maison, au large de Marseille, lieu d’un terrible secret de famille. Les personnages traditionnels de Guédiguian ont vieilli. Fatigués, victimes de l’âge et de leurs désillusions, ils subissent leur époque asservie à l’argent. Mais comme toujours chez lui, l’élan de la générosité et de la solidarité n’a besoin que d’une étincelle pour renaître. La leçon finale, bien que teintée d’amertume et de tristesse, repose sur cet espoir.
Fin de vie aussi, chez Stephen Frears avec Victoria and Abdul, film virtuose, étincelant, riche en moyens, sur un épisode volontairement effacé de l’historiographie officielle de la couronne britannique. À la fin du XIXe siècle, séduite par l’intelligence et la vivacité d’un Hindou, arrivé fortuitement à Buckingham, qui la sortit de l’ennui et de la torpeur, la reine Victoria affronta sa famille et les cabales de la cour pour l’imposer auprès d’elle.
Même thème, la vieillesse et ses défaites, mais trop mal traité dans The Leisure Seeker, signé Paolo Virzi. On souffre de voir Helen Mirren et Donald Sutherland offrir leur talent à un film aussi navrant autour d’un couple, en bout de course, qui part en goguette à travers les États-Unis. Sans prévenir personne.
Parmi les très bonnes surprises de ce début de Mostra, Suburbicon, de George Clooney, thriller déjanté coécrit avec les frères Coen, sur le rêve américain qui bascule dans le racisme, et les névroses meurtrières d’un employé de bureau qui sacrifie sa femme pour épouser sa belle-sœur. Film élégant, réjouissant, superbement maîtrisé qui est aussi une vision décapante de l’Amérique de Trump.
Dans Foxtrot, le cinéaste israélien Samuel Maoz met en scène l’annonce de la mort d’un fils, tué à l’armée. Composition mi-grave, mi-humoristique mâtinée d’un stupéfiant rebondissement scénaristique, ce film impressionnant, tiraillé entre le gouffre de l’affliction et la froideur de l’institution, est aussi la métaphore de l’enfermement d’Israël.
Vu du Lido, l’avenir est sombre, les temps déboussolés et l’humanité à bout de souffle. Pendant ce temps, à portée de vue des festivaliers, la caravane des cargos du monde entier sillonne l’Adriatique…
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Nos remerciements à Jeune Athéna