Un Centre islam et société ambigu

Ci-dessus : L'équipe du centre. A droite son co-directeur et fondateur, Hansjörg Schmid

Par Mireille Vallette

Texte paru dans la lubrique "Opinion" du Temps, le 17 novembre 2017, versions papier et électronique.

Le Centre suisse islam et société (CSIS) de l’Université de Fribourg propose de multiples formations pour les acteurs des mosquées et encourage leur présence dans les institutions profanes. Mais est-ce bien le rôle de l’Etat? interroge l’essayiste Mireille Vallette.

Jusqu’où favoriser l’islam et ses propagateurs au nom de l’intégration? Le Centre suisse islam et société (CSIS) de Fribourg donne ses réponses. Elles mériteraient pour le moins un débat.

Le CSIS propose de multiples formations pour les acteurs des mosquées et encourage leur présence dans les institutions profanes. Ses partis-pris oscillent entre orthodoxie et modernisme.

Le Centre ne semble voir aucun radicalisme en Suisse. Qu’elles soient albanaises, turques ou bosniaques, toutes les associations islamiques manifestent un formidable dynamisme, offrent de multiples activités qu’il importe de renforcer. Le CSIS ignore la discrimination sexuelle de ces lieux dans les prières, cours de religion, débats, conférences ou encore l’obligation du foulard et l’intense endoctrinement des enfants.

Dans un rapport sur les besoins en formation continue, il énumère un nombre saisissant d'activités à mettre en œuvre, financées par les pouvoirs publics. Et le rapport annuel 2016 montre un processus en plein essor.

Dans les mosquées, les enseignants de religion et de langues, les imams, les animateurs de groupes de jeunes, les animatrices de groupes de femmes, etc. profitent de formations telles que communication, pédagogie, didactique des langues et de l'enseignement de l'islam, gestion de conflits ou management associatif.

Est-ce le rôle de l’Etat de financer des méthodes modernes d’enseignement de l’arabe, de l’islam, des manières plus dynamiques d’animer les activités des mosquées?

A l'extérieur, l'aumônerie dans les prisons, les hôpitaux, les foyers pour réfugiés représente un bassin d'emplois prometteur. Mais avant d’officier, les futurs aumôniers ont aussi besoin de multiples formations. Plus généralement, tous les secteurs à forte minorité musulmane (écoles, Centres de loisirs, aide sociale, etc.) auront besoin d’experts musulmans.

Le CSIS favorise aussi la prise en charge des réfugiés (enseignement de la langue d’origine, formations, services administratifs divers) par les mosquées. Peut-on les considérer comme un moyen d’intégration des immigrés musulmans alors que selon deux livres récents, le radicalisme -salafisme et Frères musulmans- les imprègnent en réalité profondément?* N'est-ce pas aux services profanes de l’État d’assumer cette tâche?

Le CSIS forme aussi des professionnels en contact avec des musulmans (policiers, soignants, enseignants, etc.). Il se veut le moteur d’un islam moderne. Mais il invite son public à accepter les revendications religieuses. Il annonçait son premier séminaire par la photo d'une musulmane avec ordinateur et foulard. Deux collaboratrices portent le couvre-chef islamique. Mallory Schneuwly Purdie, spécialiste de la formation, se félicite de la décision du Tribunal fédéral d'autoriser le foulard des fillettes à l'école. Elle pense que la religion n'est pas une affaire privée. Halal à l’école ou congés pour le ramadan, par exemple, sont «des aménagements» qui peuvent favoriser le vivre ensemble. Une membre du Conseil consultatif du CSIS se déclare favorable aux salles de prières dans des établissements scolaires.

D’un organisme de niveau universitaire, on attendrait quelques recherches scientifiques: sur la fabrication du Coran et la production des hadiths passées au filtre de l’archéologie, de l’épigraphie, de la linguistique, et l’organisation débats contradictoires. Récemment, le CSIS a choisi d’être la caisse de résonance de la victimisation des adeptes du prophète. Son colloque consacré à «l’hostilité envers les musulmans» a réuni une quinzaine d’intervenants: tous ont défendu le même point de vue et dénoncé l’islamophobie. Association suisse vigilance islam a envoyé au Centre une pétition munie de près de 800 signatures qui demande l’organisation de colloques critiques.

Question textes, le Centre ne distingue pas science et foi conformément à l’orthodoxie islamique. Ses étudiants planchent sur les «disciplines scientifiques de l’islam», soit l’exégèse du Coran, ou sur la «science des hadiths».

La Suisse doit-elle engager des moyens financiers aussi élevés pour renforcer une religion et ses pratiques, et les faire infuser dans ses institutions profanes?

*A lire: «La Suisse, plaque tournante islamiste» (en allemand) de Saïda Keller Messahli  et «Le radicalisme dans les mosquées suisses» de Mireille Vallette.

Mireille Vallette, essayiste et journaliste

 

Les Fribourgeois seront obligés d’accepter et de financer le Centre Islam et Société

La population fribourgeoise ne votera pas sur le Centre Suisse Islam et Société (CSIS) de l'Université de Fribourg. Le Grand Conseil a déclaré vendredi la nullité de l'initiative constitutionnelle déposée par l'UDC, pour cause de violation de la Constitution fédérale.

Dans une atmosphère tendue, les députés ont voté le décret d'invalidité par 63 voix contre 18 (tous UDC sauf 1 PLR) et 1 abstention. L'initiative déposée l'été dernier avait recueilli environ 9000 signatures, un tiers de plus que les 6000 nécessaires.

Mais début 2016, le Conseil d'Etat a annoncé qu'il recommandait au parlement cantonal de l'invalider, se fiant à deux avis de droit négatifs. La commission parlementaire s'est prononcée dans le même sens par huit voix contre deux oppositions (issues de députés UDC).

Experts sceptiques

Car le texte est contraire à la Constitution fédérale, ont jugé deux experts en droit constitutionnel, Pascal Mahon de l'Université de Neuchâtel et Benjamin Schindler de l'Université de St-Gall. Selon eux, il est discriminatoire, étant basé sur une différence confessionnelle et orienté contre les personnes d'une seule religion.

Les initiants dénonçaient une éventuelle future formation d'imams. Et selon eux, l'Etat n'a pas à financer une formation théologique concernant une religion qui ne bénéficie pas du statut de droit public.

Il est soutenu financièrement par divers partenaires, parmi lesquels le Secrétariat d’Etat pour la migration dans le domaine de la formation continue, le Service de lutte contre le racisme, ou encore la Fondation Mercator Suisse.

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