Dossier. L’angélisme n’est pas mort: l’exemple de l’asile(II)

Uli Windisch
Rédacteur en chef
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Si l’on s’en tient uniquement aux principes humanitaires, la population a l’impression qu’un abuseur ou un criminel devrait être traité de la même manière qu’un requérant dont la vie est vraiment en danger.

Un deuxième  exemple qui montre que l’angélisme n’est pas mort est celui du débat sur l’asile au Parlement il y a quelques jours  et de ses suites médiatiques. Et il est quasiment le même depuis les années 1980!

Les années 1980

On oublie que tous les problèmes soulevés aujourd’hui et que certains tentent  de présenter  comme enfin abordés dans l’espace public ont en réalité été soulevés dès les années 1980 mais ont immédiatement été dénigrés et ridiculisés par les médias et une partie du monde politique. En 1985 un rapport fédéral mettait déjà le doigt sur les pires abus mais ce rapport aurait dû rester interne et comme souvent lorsqu’ un rapport dit la vérité et est politiquement incorrect, on s’acharne sur  les auteurs de la fuite  plutôt que de prendre acte  du problème  soulevé. Les médias n’ont pas été en reste. Qu’ont-ils fait ? Devinez? Maintenant tout le monde connaît la logique: on ridiculise, accuse les auteurs de monter en épingle quelques rares cas et de généraliser  à partir d’eux; en plus, on  demandera des sanctions contre les auteurs  des fuites, contre ceux qui n’en peuvent plus de toujours devoir cacher la réalité.

Que disait ce rapport?

L’Hebdo a été l’un des journaux qui en ont parlé le 9 mai 1985. Il y est déjà question de tous les abus dont on parle  de nos jours, et cela dans un rapport établi par le Ministère public fédéral. Comment est-il présenté par l’Hebdo: «sale temps pour les rapports: ils volent bas ». A l’époque ce n’était pas l’UDC qui pointait ces problèmes mais l’Action Nationale  et son jeune parlementaire Markus Ruf qui recadre le rapport et titre: «Le scandale de la politique d’asile sans maquillage». Il s’agit d’un catalogue des types d’abus reprochés aux requérants d’asile. Le journal admet que les abus existent et que l’on sait cela; c’est le «ton» du rapport  qui est critiqué et l’absence de distance! et la «généralisation absolue des faits». Il est vrai que les choses sont dites crûment dans ce rapport; on a oublié d’euphémiser et justement de minimiser. A cette époque déjà, tout le monde sait que tous les demandeurs d’asile  ne sont pas des  abuseurs, mais  même si ces abus ne sont pas encore aussi massifs qu’aujourd’hui, ils ne  sont admissibles ni hier ni de nos jours pour les citoyens ordinaires. C’est presque une loi générale qui se met en place: plus on cherche à cacher les réalités inacceptables, plus la population se scandalisera et réagira. Le citoyen s’estime mûr pour être informé sans cache-sexe.

On signale déjà «la grande insolence et les mensonges» de certains demandeurs. On y dénonce «les quatre mots magiques qu’il suffit de prononcer pour pouvoir bénéficier de l’examen: «Je demande l’asile politique».

On trouve aussi, à côté de la minimisation, l’angélisme et le refus de la réalité, ceux qui n’acceptent pas cet aveuglement et qui luttent déjà contre ce qui ne s’appellent pas encore le politiquement correct. Tout y est, 30 ans plus tôt!

Juin 2012, au Parlement fédéral.

Pour la centième fois: la très grande partie de la population suisse est prête à accueillir une part non négligeable de vrais réfugiés (puisque maintenant il faut préciser), mais on veut une lutte déterminée et sévère contre les abus de toutes sortes et qui deviennent de plus en plus graves. Tout se trouve dans cette équation très simple, mais les intérêts particuliers et ceux des différents partis politiques  faussent le jeu. Chacun veut jouer sa propre partition, avec pour conséquence la création de fronts artificiels  entre les Bons et les Méchants. Certains ont même le culot de dire  qu’il y a dorénavant « les humanistes» et les autres! Des «humanistes marginalisés», en plus, dixit Ueli Leuenberger, dit aussi Ueli le climatique. On joue même à la victime, en espérant sans doute les applaudissements de tous les bien-pensants et autres associations amies.

Décidément, rien ne change .Pourtant le problème est clair: la Suisse a toujours été  généreuse  en matière de refuge, sans pouvoir ouvrir les portes toutes grandes et, depuis plus de vingt ans, les abus de ceux qui cherchent simplement du travail et des criminels qui tentent de passer par la voie de l’asile augmentent sans cesse. Lutter là-contre  ne peut pas se faire de manière toujours douce et agréable. Les vrais réfugiés sont les premières victimes de cette distorsion du statut. La solution n’est jamais simple mais le défaitisme est la pire des réponses, soit tous ceux qui prétendent qu’il ne sert à rien de vouloir agir ou alors qui traitent ceux qui en ont assez de ces abus de xénophobes, racistes, etc. Plus la gauche poursuivra dans ce sens, plus elle perdra l’électorat populaire.

Le lamento général des médias

Les lamentos envahissent tous les médias depuis que l’asile est de nouveau à l’ordre du jour, et cela recommence chaque fois que des mesures plus efficaces, et pas très agréables pour les bien-pensants, sont tentées.

La rédactrice en chef du Matin.dimanche est plus pavlovienne que jamais: les arguments de ceux qui veulent être plus durs  sont « infondés », « absurdes », le durcissement devient « glaciation », les parlementaires  ne réfléchissent pas! ces mesures ne peuvent que  «faire plaisir à l’extrême droite»…, la semaine du parlement a été  «indigne»,etc.

Est-ce cela le rôle du journalisme, insulter les représentants du peuple? A quand une vraie évaluation des journalistes par la population? Justement, ils n’ont de compte à rendre à personne. D’où le fait que le grand philosophe Karl Popper a proposé de doter les journalistes d’un permis, comme pour les automobilistes, et à qui on retirerait des points en cas de graves manquements. Purement théorique, bien sûr; il s’agit de faire réfléchir. Le pire est que ces journalistes ne se rendent pas compte qu’ils révulsent la plus grande partie de la population et  ne sont applaudis que par leurs collègues et la cohorte des bien-pensants, aux propos faciles  mais souvent irresponsables. C’est ce qu’on appelle créer des effets pervers, des effets contraires à ceux souhaités, sans même s’en rendre compte, tant on est persuadé d’être seul dans le vrai. Résultat: dans l’évaluation des professions par la population, les journalistes se retrouvent au bas de l’échelle. A côté de qui? Devinez. Rien n’y fait, bis repetita.

Pourquoi la population déserte certaines institutions?

Les évêques s’y mettent également en s’opposant aux durcissements: «il faut donner une chance aux requérants». Ils parlent de «solidarité» et du fait  qu’en étant trop sévère on risque  de manquer «un ange», dixit. Paroles généreuses et louables mais qui oublie le pan de la réalité qui fait mal, et le mal, qui pourtant existe et ils sont les premiers à le savoir.

Tout et est toujours dans la nuance: tous les requérants n’ont pas besoin de l’asile et en plus ils contribuent à donner une image de plus en plus négative des réfugiés en général. C’est cela qui est grave et qui doit être dit et redit pour rassurer la population. On ne veut pas voir que la criminalité, même la plus grave, a depuis longtemps passé par là. C’est cette absence de distinction et de nuance, et cet aveuglement volontaire, qui créent des tensions politiques et dont les premiers responsables ne veulent pas prendre acte.

Du danger de se contenter du «beau rôle»

Où est la limite entre la nécessité de rappeler certains principes humanitaires essentiels et le fait de se donner le beau rôle auprès d’un public conquis d’avance mais souvent coupé de la vie quotidienne des nationaux dans la difficulté et en plus victimes de cette criminalité et de ces abus. Lorsque une partie non négligeable de la population déserte les institutions fondatrices de la société on devrait avoir le courage  de se poser ce genre de question.

Une députée PDC a même reproché à son parti  de suivre les «tendances nationalistes». Elle s’inquiète d’une «dérive est générale». La suppression de l’aide d’urgence est «contraire au respect de l’être humain et aux valeurs chrétiennes ». Si on disait par exemple simplement qu’il faut traiter différemment les vrais et les faux  réfugiés, tout le monde comprendrait. Mais si l’on s’en tient uniquement aux principes, la population a l’impression qu’un abuseur ou un criminel devrait être traité de la même manière qu’un requérant dont la vie est vraiment en danger. La quadrature du cercle. Et ça  continue. Qui pense de temps à autre  à la manière dont la grande partie de la population voit la réalité? Cette dernière est souvent plus clairvoyante et nuancée que les bien-pensants, les politiciens intéressés ou les démagogues.

Traiter à la fois du Bien et du Mal

Ce qui est incroyable c’est que tout le monde fait de la surenchère dans la condamnation des parlementaires qui aimeraient ramener l’asile à ce qu’il devrait être, et cela ne peut se faire sans des mesures effectivement draconiennes par rapport aux abus. Où est le mal dans cette volonté  de prendre des mesures réellement efficaces et, simultanément, d’apaiser la révolte de la population devant  une situation grave et inacceptable? Dans ces situations il y a tôt ou tard des actes isolés violents dits de « justice populaire ». Un autre danger  potentiel à éviter à tout prix. En agissant et vite.Ne peut-on pas traiter à la fois du Bien et du Mal!

On pourrait citer la presse et les médias de ces derniers jours pendant des pages et des pages.

Le courage n’est en tout cas pas de ce côté-là. Cela n’est pas bon pour les médias et le débat démocratique. D’où aussi l’éternel fossé entre eux et la population lors des votations populaires sur  ces sujets brûlants.

Dans d’autre pays on se préoccupe sérieusement de ce genre de  problème, on en débat et on tente d’y remédier. Aux USA on parle même de pollution médiatique et d’écologie des médias. Tiens un beau sujet à lancer par les médias eux-mêmes. Chiche?

Ou faut-il continuer à jouer vainement tous les soirs Beckett, Kafka et Méphistophélès?

 

 

 

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