Chronique d'Eugénie Bastié sur le livre Les balançoires vides de l’économiste Maxime Sbaihi où il fait le point sur les enjeux vertigineux de la crise démographique.
Notre classe politique est-elle irresponsable ? Il y avait un contraste saisissant cette semaine entre les chiffres catastrophiques de la natalité produits par l’INSEE (le nombre de naissances au plus bas depuis la seconde guerre mondiale) et l’absurde insistance de la moitié des partis politiques français à vouloir abroger une réforme des retraites pourtant minimale. Notre pyramide des âges est en train de s’inverser, le système par répartition est condamné par la dénatalité, mais des politiciens continuent à mentir à leurs électeurs et à sacrifier la jeunesse sur l’autel de promesses intenables.
« L’exception démographique française n’est plus » résume l’économiste Maxime Sbaihi dans un livre passionnant Les balançoires vides (éditions de l’Observatoire), où il fait le point sur les enjeux vertigineux de la dénatalité. Pendant longtemps, grâce à son modèle culturel (égalité hommes femmes [à voir si cela fut vraiment un facteur décisif]) et social (État providence) la France résistait mieux qu’ailleurs à la tendance globale d’une chute de la natalité. Avec un taux de fécondité historiquement bas à 1,66, c’est terminé. Ouvrir une école c’est fermer une prison disait Victor Hugo.
En France aujourd’hui, fermer une école c’est ouvrir un Ephad [maisons de retraite médicalisées]. 5000 écoles ont fermé en France depuis 2010, pour 300 maisons de retraite qui sont sorties de terre. La France est un pays vieillissant et le piège de la dénatalité pourrait bientôt se refermer sur elle, avertit Sbaihi. Plus la France vieillit, plus les actifs, qui doivent financer le poids des retraités trinquent. Plus les actifs trinquent, moins ils ont envie de faire d’enfants. Moins ils font d’enfants, plus le pays vieillit, etc… Quand le taux de fécondité descend à 1,4 [le Québec est sous ce seuil!] il devient presque impossible de revenir en arrière.
Mais après tout, pourquoi est-ce grave ? Certains écolos se réjouissent même de cette nouvelle : moins de bébés, c’est moins de pollueurs. Sbaihi rappelle opportunément à quel point cet argument est de mauvaise foi : « dans l’ordre de grandeur à l’échelle d’une année, un vol transatlantique est plus polluant que d’avoir un enfant ». Avis à Meghan Markle et au Prince Harry qui ont annoncé en grande pompe renoncer à un troisième enfant par « écologie».
La démographie, c’est le destin, disait Auguste Comte. La stérilité est la mère du déclin. La dénatalité a des conséquences vertigineuses sur l’économie. Un pays vieillissant, c’est un pays précautionneux, qui a peur du risque, qui n’innove plus et qui stagne. Un pays vieillissant, c’est un pays qui s’endette pour financer un modèle social intenable. Un pays vieillissant, c’est aussi un pays où la décision publique est orientée en faveur des électeurs âgés au détriment des plus jeunes, où l’avenir est sacrifié. Jusqu’à présent aucun pays n’a réussi à concilier croissance forte et chut des naissances, sans compenser par l’immigration massive. Le Japon en est un exemple qui a entamé son crépuscule économique en même temps que son crépuscule démographique.
« O mères françaises, faites donc des enfants, pour que la France garde son rang, sa force et sa prospérité » disait Émile Zola en 1896. Quant à Raymond Aron, il prophétisait dans ses Mémoires : « Les Européens sont en train de se suicider par dénatalité. Les peuples dont les générations ne se reproduisent pas sont condamnés au vieillissement, et du même coup, guettés par un état d’esprit d’abdication, de fin de siècle ». Malheureusement une certaine gauche préfère pratiquer envers le natalisme une reductio ad petainum grotesque et irresponsable. C’est une priorité qui devrait transcender les partis politiques. C’est même la priorité politique par excellence. Car qu’est-ce que la politique sinon le souci des générations futures ?
Alors peut-on enrayer ce phénomène qui semble à la fois global et irréversible ? Sbaihi explore les trois grandes pistes permettant de pallier la dénatalité : la relance de la procréation, l’immigration et la robotisation. Il n’y a pas de solution miracle. La Hongrie, malgré une politique hyper nataliste n’a réussi que péniblement à relever son taux de fécondité à 1,5 et stagne depuis. L’Allemagne, qui a eu très tôt conscience de sa faiblesse démographique, a importé des millions d’immigrés pour pallier son manque de main-d’œuvre, mais subit aujourd’hui les conséquences d’une intégration impossible. Le Japon a fait le pari de la robotisation, mais les maisons de retraite animées par des androïdes séduisent peu.
Pourtant il doit y avoir des marges de manœuvre pour réduire l’infécondité involontaire qui subsiste dans notre pays. Le désir d’enfant reste stable en France : 2,2, bien supérieur au taux de fécondité actuel (1,6). Ce hiatus entre la volonté et la réalité prouve qu’il existe une frustration de l’engendrement. A-t-il des racines culturelles ou économiques ? En bon économiste, Sbaihi insiste sur la dimension matérielle: la crise du logement, l’absence de modes de garde abordables, le marasme économique jouent certainement dans l’absence de projection.
L’essayiste, qui a publié précédemment Le Grand Vieillissement, insiste sur la fracture générationnelle qu’implique la dénatalité. La génération du baby-boom, a profité du dynamisme économique induit par l'essor démographique sans se reproduire elle-même. Elle fait aujourd’hui payer la facture par les générations plus jeunes, grevées par le poids des retraites (un tiers du salaire brut). Rendre aux actifs le fruit de leur travail serait une première mesure nataliste. Mais la dimension anthropologique est centrale. Un article du Financial Times publié cette semaine et intitulé « La récession des relations amoureuses devient mondiale » montre que la chute du couple est l’une des principales causes de la dénatalité. Aux États-Unis, les couples continuent à faire des enfants, mais il y a de moins en moins de couples. En France, les deux tiers des Français vivaient en couple en 1980 contre un peu plus de la moitié aujourd’hui.
La part des jeunes vivant en couple a été divisée par deux. Il y a 11 millions de célibataires en France. Une révolution des modes de vie liée à la longueur des études, au dogme de l’émancipation individuelle, mais aussi à la technologie qui permet et promeut cette épidémie de solitude. Pour retrouver le chemin de la fécondité, il nous faudra donc retrouver le chemin du lien, de l’amour et de la confiance entre les sexes. Un « chantier » plus ambitieux que celui que veut ouvrir François Bayrou sur la réforme des retraites.
Les balançoires vides: Le piège de la dénatalité Broché
de Maxime Sbaihi,
paru le 15 janvier 202,
aux éditions de L'Observatoire,
ISBN-13 : 979-1032930663
Extrait de: Source et auteur
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