Les nouvelles autorités syriennes ont mis le feu à million de pilules de captagon, cette drogue bon marché dont le régime d’Assad était devenu un le plus gros producteur, avec Daech, et qui était très prisée dans les pays du Golfe. Les autorités islamistes du HTS en profitent pour détruire également les stocks d’alcool et de chanvre indien et de haschisch. La crainte des minorités est que la prochaine étape soit, comme dans l’Irak voisin, l’interdiction de la consommation d’alcool et autres produits non hallal que les non-sunnites consomment.
Dans le quartier chiite de Sayyeda Zeinab, beaucoup s’enferment chez eux, comme dans la montagne alaouite, où des représailles peu médiatisées ont lieu chaque jour, malgré les consignes de l’homme fort de Damas, Ahmed al-Charaà, alias Al-Joulani, dont les promesses de modération destinée à l’extérieur, ne suffisent pas à rassurer les minorités sur lesquelles s’appuyait la dictature Assad. L’heure des représailles ne fait que commencer. Avec les Alaouites, dont étaient issus les Assad, essentiellement situés dans l’Ouest, les chiites, les druzes, situés au Sud, voisins d’Israël, les chrétiens, éparpillés et dénués de bastion comme les précédents, et les Kurdes, qui contrôlent le quart est pétrolier et riche en coton, du pays, les minorités non-arabo-sunnites sont les perdants de l’ascension des rebelles pro-turcs et pro-qataris du HTS et de l’ANS. Ils s’attendent à des représailles de masse.
Les autorités du HTS ont arrêté, jeudi dernier, à Tartous, bastion de la minorité alaouite, dont est issu Bachar al-Assad, un haut cadre de l’ancien pouvoir, le général Mohammed Kanjo Hassan, ex-chef de la justice militaire, responsable de nombreuses condamnations à mort dans la prison de Saydnaya. D’autres arrestations ont lieu chaque jour Tartous et Jableh (ouest), les dernières étant liées aux manifestations d’Alaouites à Tartous, Banias, Jableh, et Lattaquié et Homs après la diffusion d’une vidéo sur les réseaux sociaux montrant des islamistes en train d’attaquer un de leurs sanctuaires à Alep. Cinq employés du sanctuaire ont été tués. Ces manifestations ne sont que les premiers signes, avec d’autres protestations de chrétiens récemment révoltés par des sapins de Noël brûlés par des rebelles sunnites.
Daech, dont les cellules au sein des camps et des zones désertiques et orientales n’ont jamais disparu, va saisir l’occasion de renaître comme en Afghanistan après la « respectabilisation » des Talibans et en réaction contre ce qui est perçu comme une « renonciation au djihad global ».
D’autres menaces se profilent
La question kurde est également non résolue, sachant qu’un quart du territoire syrien à l’Est demeure contrôlé par les Kurdes des YPG, les Unités de protection du peuple, noyau-dur des Forces démocratiques syriennes (FDS), à la tête du Kurdistan syrien séparatiste. Les YPG se préparent à être attaqués conjointement par les islamistes du Hay’at Tahrir al Sham de Joulani, HTS et de l’Armée syrienne Libre, l’ANS, pilotée par la Turquie, dont la priorité est l’éradication du Kurdistan syrien et la création d’un protectorat dans le nord de la Syrie pour y installer 4 millions de syriens sunnites réfugiés en Turquie.
Dans cette optique, le 24 décembre dernier, les nouvelles autorités syriennes de Damas, liées au HTS, ont annoncé un accord avec « tous les groupes armés » pour leur dissolution et leur intégration dans l’armée. Mais nombres de composantes arabes et turkmènes de l’ANS, soutenues par la Turquie, ne veulent pas déposer les armes et se fondre dans une armée contrôlée par le HTS. Ils ont leur agenda prioritaire, et sont déjà en guerre contre les Kurdes. Depuis le début du mois de décembre, en effet, l’ANS a lancé une offensive pour le compte de la Turquie contre les FDS dans la région kurde de Kobané, ville symbolique qui avait été sacrifiée et conquise par Daech en 2014.
La question de la levée des sanctions, nerf de la guerre et condition la stabilisation
Ankara appelle à lever toutes les sanctions, et en espère que Donald Trump fera abolir la Loi Caesar, laquelle interdit la reconstruction de la Syrie et a appauvri le régime d’Assad, ce qui explique en partie sa chute due à la démobilisation des soldats non ou sous-payés. Dans ce contexte, le Ahmed al-Charaà, alias Joulani, chef du HTS, a rencontré le ministre des affaires étrangères turc, Hakan Fidan (ex-chef des renseignements extérieurs turcs, le MIT), le 22 décembre 2024, ce qui équivaut à une normalisation des relations turco-syriennes.
L’objectif du HTS de Joulani, en réalité encore assez fragile, et qui a peu de temps pour obtenir des résultats, est la levée des sanctions. Cela explique sa modération verbale et ses appels à la protection des minorités, malgré des exactions de brigades djihadistes, d’autant que l’argent du Qatar et l’aide turque sont conditionnés à une institutionnalisation du nouveau pouvoir, seule voie pour que les Etats-Unis lèvent les sanctions, véritable épée de Damoclès. L’autre condition de la capacité de Joulani à apparaître comme un pouvoir stable est l’unification des forces sur l’ensemble du territoire, d’où ses appels aux YPG/ FDS à se soumettre. Or cet objectif difficilement réalisable pour l’heure, nécessitera une guerre à laquelle se préparent les Kurdes. Ces derniers espèrent que Donald Trump, qui s’entend bien avec Erdogan, ne les lâchera pas et augmentera le nombre de soldats américains, actuellement à peine 900, afin de dissuader l’ANS, le HTS et la Turquie, d’attaquer.
La priorité d’Ankara est la destruction des YPG
Tout cela va faire l’objet d’âpres tractations entre la Turquie, le Qatar, le HTS, l’ANS, les FDS, Israël, et les Etats-Unis, chacun essayant de donner des gages pour convaincre The Donald qu’un deal comme il les aime est profitable. Avant même son investiture prévue le 20 janvier, le président élu a envoyé un message peu rassurant pour les Kurdes, qualifiant l’ancien régime d’Assad de « boucher » et constatant que la Turquie avait effectué « une prise de contrôle inamicale » de la Syrie mais de « façon intelligente », car « peu de vie ont été perdues (…) je peux dire qu’Assad était un boucher (…) mais qu’Erdogan est un « gars tenace » ».
En se présentant comme une force de stabilisation et un trait d’union entre les islamistes sunnites et les intérêts occidentaux, depuis toujours ennemis du régime de Damas (en raison de ses liens avec l’Iran et du fait que la Russie y avait des bases en Méditerranée), le gouvernement turc, qui s’est dit « prêt à fournir de l’aide militaire si les rebelles islamistes de Joulani et de l’ANS lui demandait », essaie de démontrer à Trump qu’elle est incontournable. Cependant, sachant que la priorité d’Ankara est la destruction des YPG, objectif également partagé par l’homme fort de Damas, une divergence de taille oppose la Turquie aux Etats-Unis, car Washington considère les forces kurdes de Syrie comme « cruciales », en tant que bastion fiable face aux jihadistes et allié de facto d’Israël dans la région, et seule force qui a réellement combattu l’Etat islamique en Syrie jusqu’à sa défaite en 2019. Problème : les YPG kurdes de Syrie, émanation du parti séparatiste kurde PYD, sont désignés par Ankara comme des émanations des « terroristes » kurdes du PKK de Turquie. D’ailleurs, depuis 2018, la Turquie a lancé trois opérations pour éliminer des zones kurdes syriennes au nord « remplacées » par des réfugiés syriens, des jihadistes recyclés par la SMP Sadat, équivalent turc de Wagner, et des groupes turkmènes antikurdes.
Last but not least, dans le Golan occupé par Israël, où habitent des Arabes druzes, (sud), autant détestés que les Alaouites, la chute d’Assad et le retour de l’islamisme fait si peur que les armes circulent dans les montagnes et qu’Israël est vue par certains chefs druzes, en contact avec leurs frères côté israélien, comme un recours. Le prétexte est parfait pour les stratèges israéliens qui avancent pour éloigner un front éventuel. Ne faisant pas le poids face à Tsahal, et ne voulant pas commettre la même erreur que le Hezbollah, le HTS de Joulani n’y pas déployé de troupes, conscient de la nécessité de livrer un conflit à la fois.
L’article Alexandre del Valle : Le difficile pari de respectabilisation et d’unification des islamistes au pouvoir à Damas est apparu en premier sur Valeurs actuelles.
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