« L’avortement est un acte banalisé dans la plupart des sociétés modernes », souligne Matthieu Lavagna

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Le 8 mars dernier, l’avortement était inscrit dans la Constitution. Progrès pour les femmes selon certains, régression vers une “culture du déchet” pour d’autres, cette étape de plus montre combien désormais l’avortement est devenu un totem, un tabou que l’on n’a plus le droit d’interroger. Pourtant, loin d’être un acte anodin, l’interruption volontaire de grossesse (IVG) interroge notre morale. « Les deux “camps” ne peuvent tout simplement pas avoir raison simultanément, d’où l’importance extrême du sujet », écrit Matthieu Lavagna. Diplômé de mathématiques, de philosophie et de théologie, le jeune auteur-conférencier, qui travaille dans le domaine de l’apologétique pour l’Association Marie de Nazareth, explique ainsi que soit les pro-choix ont raison et l’IVG est un acte médical comme les autres, soit les pro-vie ont raison et il constitue un meurtre perpétré à grande échelle. En s’appuyant sur la raison, la biologie et la morale, sans faire référence à la religion, il analyse, dans La raison est pro-vie, avec clarté et précision les différents arguments utilisés par les deux camps, pour en démontrer les limites ou la pertinence.


Valeurs actuelles. Pourquoi écrire un livre sur un sujet aussi tabou et épineux ?
Matthieu Lavagna. Parce que l’avortement est un acte banalisé dans la plupart des sociétés modernes. Le nombre d’IVG est très important chaque année et l’on considère cette pratique comme étant de plus en plus anodine. On constate aussi que beaucoup de nos contemporains sont en général très mal informés sur cette question. Les faits scientifiques et biologiques concernant l’IVG sont souvent mal expliqués au grand public et, en pratique, les Français n’ont jamais vraiment entendu parler des arguments pro-vie. Ce livre voudrait servir à pallier ce manque d’informations et instruire objectivement le lecteur sur ce sujet au plan scientifique et philosophique.

Ce qui est en jeu, au fond, est le statut moral du fœtus. Pourquoi ?
Oui, en effet. Dans le débat sur l’avortement, tout le monde admet qu’un fœtus est tué à travers cette procédure. Mais qu’est-ce qu’un fœtus? S’il ne s’agit que d’un amas de cellules, alors avorter n’est pas plus immoral que de se faire couper les ongles ou que d’aller se faire arracher les dents chez le dentiste. Si le fœtus n’est pas un être humain, alors l’avortement doit rester légal. Aucun problème. En revanche, si le fœtus est un être humain et que tous les êtres humains ont un droit à la vie, alors il y a de bonnes raisons de penser que l’avortement est immoral et qu’il faudrait l’interdire. J’explique cela en détail dans le livre.

Le débat porte plutôt sur la question de savoir si tous les êtres humains ont le même droit à la vie.

Sur le plan scientifique, vous montrez qu’il y a un consensus sur le fait qu’un fœtus est un être humain…
Oui, le fœtus est un être humain biologiquement, précisément parce qu’il s’agit d’un organisme vivant membre de l’espèce Homo sapiens . Cet organisme génétiquement distinct se développe de manière continue en vue d’atteindre l’âge adulte. Dès la conception il possède l’intégralité de son patrimoine génétique qui le caractérise en tant qu’individu. D’ailleurs, les manuels d’embryologie sont unanimes pour dire que la vie humaine commence dès la conception. Par exemple, le manuel l’Être humain en développement affirme : « Un zygote est le début d’un nouvel être humain (c’est-à-dire un embryon). Le développement humain commence à la fécondation […] Cette cellule totipotente hautement spécialisée marque le début de chacun de nous en tant qu’individu unique. » La Commission judiciaire du Sénat américain reconnaissait d’ailleurs dès les années 1980 : « Les médecins, les biologistes et autres scientifiques sont d’accord pour dire que la conception est le début de la vie d’un être humain – un être vivant, membre de l’espèce humaine. Il y a un consensus écrasant sur ce point dans d’innombrables écrits médicaux, biologiques et scientifiques. »

« Il ne fait aucun doute que dès les premiers instants de son existence, un embryon conçu à partir de spermatozoïdes et d’ovules humains est un être humain. »

​C’est pourquoi les défenseurs de l’avortement sont bien obligés d’en convenir. Par exemple, David Boonin, un des meilleurs défenseurs de la position pro-avortement, admet lui aussi en toute franchise : « Un fœtus humain est simplement un être humain à un stade très précoce de son développement. » Il en est de même pour Peter Singer, philosophe pro-choix mondialement connu : « Il ne fait aucun doute que dès les premiers instants de son existence, un embryon conçu à partir de spermatozoïdes et d’ovules humains est un être humain. » Ainsi, les défenseurs sérieux du droit à l’avortement, renseignés en matière de science, n’ont aucun problème à accepter que le fœtus est un être humain. Il n’y a aucun désaccord là-dessus dans le débat universitaire sur l’avortement. Le débat porte plutôt sur la question de savoir si tous les êtres humains ont le même droit à la vie, indépendamment de leur taille, de leur niveau de développement ou de leur degré de dépendance.

En dépit de ce constat, beaucoup objectent que ce ne sont que des amas de cellules…
En biologie, le terme “amas de cellules” se réfère à « un agglomérat de plusieurs cellules sans organisation ni unité ». Ce n’est pas du tout le cas de l’embryon qui, lui, est un organisme complet et unifié qui ne fait que se développer en vue d’atteindre l’âge adulte si on lui donne assez de temps, de nourriture et un environnement adapté. Bien au contraire, si vous donnez assez de temps, de nourriture et un environnement adapté à un amas de cellules, vous n’obtiendrez jamais un être humain adulte, précisément parce que ces cellules ne sont pas des organismes et n’ont donc pas la capacité interne à se développer en un membre mature de l’espèce humaine. Un embryon a, lui, toutes ses parties qui se coordonnent pour former un être uni et organisé, et animé par une activité autonome. C’est pourquoi même le médecin pro-avortement Thomas Verney rappelait qu’il fallait arrêter de mentir aux femmes sur la nature de l’embryon : « Je crois que le choix d’avoir ou de ne pas avoir d’enfant devrait être laissé à la femme. […] Mais je pense aussi qu’une femme doit être pleinement consciente que ce qui est en jeu n’est pas un amas de cellules, mais le début d’une vie humaine. »

En quoi tend-on vers une défense de l’infanticide ?

​Depuis quelques dizaines d’années, beaucoup de défenseurs de la position pro-avortement cherchent à retirer au fœtus son droit à la vie en soutenant que même s’il est un être humain biologiquement, il ne serait pas une personne. Pour cela, ils tentent de redéfinir le concept de personne de sorte à pouvoir exclure le fœtus. En revanche, les définitions proposées par beaucoup de philosophes pro-avortement excluent non seulement les fœtus, mais aussi les nouveau-nés ! C’est pourquoi ils sont parfois logiquement amenés à soutenir que l’infanticide est moralement permis !

​Cette position peut paraître choquante mais elle n’est pas aussi minoritaire que l’on pourrait croire. Parmi les philosophes qui n’accordent pas le statut de “personne” aux nouveau-nés, on retrouve notamment Tooley, Singer, Minerva, Hassoun, Kriegel, Räsänen, Schüklenk, Warren, McMahan, mais il y en a bien d’autres. Récemment, les philosophes italiens Giubilini et Minerva ont proposé de définir la personne comme « un individu capable d’attribuer à sa propre existence une certaine valeur ». Étant donné que les nouveau-nés ne sont pas encore capables d’“attribuer de la valeur à leur propre existence”, nos deux philosophes italiens admettent explicitement : « Le fœtus et le nouveau-né ne sont pas des personnes dans le sens d’un sujet avec un droit à la vie. » Et en concluent logiquement : « Tuer un nouveau-né devrait être autorisé dans tous les cas où l’avortement est autorisé, y compris les cas où le nouveau-né n’est pas handicapé. »

​Peter Singer, pour sa part, ira jusqu’à soutenir que le nouveau-né a moins de valeur intrinsèque que des animaux. Selon lui, les chimpanzés et les chiens ont des facultés cognitives plus développées que le nouveau-né, lequel n’est pas encore capable de se penser lui-même comme un sujet existant. C’est pourquoi Singer admet que les nouveau-nés ne sont pas encore des personnes et préconise de rendre l’infanticide légal. On lui avait d’ailleurs posé la question : « Tueriez-vous un bébé handicapé ? » Il avait répondu : « Oui, si c’était dans l’intérêt du bébé et de la famille dans son ensemble. Beaucoup de gens trouvent cela choquant, mais ils soutiennent le droit d’une femme à avorter. Un point sur lequel je suis d’accord avec les opposants à l’avortement est que – du point de vue de l’éthique plutôt que de la loi – il n’y a pas de distinction nette entre le fœtus et le nouveau-né. »

​Bien que la plupart ne poussent jamais la logique aussi loin, une position pro-avortement cohérente se doit de défendre également l’infanticide car il est impossible de donner une définition cohérente et non arbitraire du concept de personne qui inclut les nouveau-nés tout en excluant le fœtus (j’explique pourquoi dans le livre). La position pro-vie, au contraire, est cohérente intellectuellement et inclusive, sans discrimination, envers les membres les plus fragiles de notre espèce. Pas besoin d’être fort, grand, très intelligent, très développé, indépendant, ou dans un environnement particulier pour être une personne avec une dignité propre.

Que répondre à l’argument : « Je suis contre l’avortement à titre personnel, mais je ne veux pas imposer ma vision du monde aux autres qui veulent faire ce choix » ?
​Cet argument est malheureusement très répandu dans notre société. Il reflète le relativisme moral qui s’est installé dans les consciences contemporaines. Chacun décide ce qui est moral pour lui, mais malheur à celui qui voudrait imposer sa morale aux autres ! Toute personne qui voudrait faire une telle chose sera considérée de fait comme intolérante, ne respectant pas la liberté d’autrui, etc. Or, le paradoxe est que ces personnes elles-mêmes ne croient pas au relativisme moral qu’elles prêchent. Il suffit de leur en faire prendre conscience avec quelques exemples : « Personnellement je suis contre le meurtre, mais si quelqu’un décide que tuer est moral pour lui, je ne vais pas lui imposer mon point de vue.  » Ou encore : « À titre personnel, je suis contre la pédophilie et le viol des femmes, mais si quelqu’un pense différemment de moi, libre à lui de faire ce qu’il veut… La loi ne doit pas s’y opposer.  »

Si l’avortement tue vraiment un être humain innocent ayant un droit à la vie, alors il s’agit d’un crime qui doit être interdit pour tous.

Ces exemples sont très efficaces pour faire comprendre aux gens que le relativisme moral n’est pas une position tenable. Nous sommes tous d’accord pour dire que les crimes comme le meurtre, le viol ou la pédophilie doivent être punis par la loi. Or, si l’avortement tue vraiment un être humain innocent ayant un droit à la vie, alors il s’agit d’un crime qui doit être interdit pour tous. Il est donc intellectuellement intenable d’être opposé à l’IVG “juste à titre personnel”. Si une sérieuse injustice a été perpétrée contre les êtres humains les plus vulnérables dans notre société, nous devons lutter pour qu’elle soit abolie purement et simplement car, dans une société normale, les êtres humains les plus faibles ont le droit d’être protégés devant la loi.

Quid du fameux « Mon corps, mon choix » ?
Il s’agit probablement du slogan féministe le plus connu, mais il suffi t d’y réfléchir un peu pour comprendre que nous ne sommes pas libres d’utiliser notre corps comme bon nous semble. Par exemple, nous ne sommes pas libres de l’utiliser pour braquer des banques, commettre des meurtres, torturer des enfants, se promener nu dans la rue, etc. Il est donc absurde de penser qu’on a le droit d’utiliser notre corps pour faire tout et n’importe quoi. Il n’y a pas de droit absolu à faire ce que l’on veut de son corps, surtout si cela menace directement la vie d’autrui ou le bien commun de la société. La prémisse “Je fais ce que je veux de mon corps” est donc fausse et ne peut justifier l’avortement. Comme le remarque le philosophe Claude Tresmontant : « L’enfant qui est en train de se développer dans le ventre d’une femme n’est pas sa propriété. C’est là que se trouve l’erreur. On peut être propriétaire d’une maison, mais on n’a pas le droit pour autant de tuer les gens qui y passent, les gens qui y viennent ou y séjournent. »

En clair, si le fœtus est un être humain qui a autant de valeur que vous et moi, il n’y a aucun droit absolu à faire tout ce que l’on veut au sein de son corps surtout si cela implique de tuer autrui.

Quelle est votre légitimité pour parler de ce sujet en tant qu’homme ?
On entend souvent le slogan “Pas d’utérus, pas d’avis”, sous-entendant que les hommes n’auraient pas le droit à la parole sur l’avortement puisque “ce sujet ne les concerne pas”. Toutefois, cet argument est défectueux pour la bonne et simple raison que l’on peut tout à fait se prononcer sur des sujets qui ne nous concernent pas directement, tout simplement parce que de tels actes sont contraires à la dignité humaine et font du mal à des êtres humains vulnérables. Je peux me prononcer contre le viol des femmes, même si je n’ai pas d’utérus et que je ne serai jamais concerné par cela. Je peux me prononcer contre les bombardements de Hiroshima et Nagasaki, même si ces bombardements ont eu lieu plus de cinquante ans avant ma naissance et qu’ils ne m’ont aucunement impacté. Imaginez un peu si les aviateurs américains qui ont largué la bombe atomique sur Hiroshima répondaient à leurs objecteurs : “Pas d’avion, pas d’avis !” ; ou si les esclavagistes disaient aux abolitionnistes : “Pas d’esclave, pas d’avis !” Ce serait parfaitement ridicule.

Il est évident que dans une société normalement constituée, les plus faibles peuvent compter sur les plus forts.

Comme il en est de même avec l’avortement, alors j’ai le droit (et le devoir) en tant qu’homme de m’opposer à cet acte. Remarquons au passage que s’il fallait avoir un utérus pour se prononcer sur la question de l’avortement, alors la loi Veil n’aurait jamais dû être votée, puisque la majorité de ceux qui l’ont votée était des hommes. De même pour les femmes ayant subi une hystérectomie (ablation de l’utérus). Ainsi, ce critère serait autodestructeur pour la position pro-choix ! Ce sont les arguments qui ont de l’importance dans le débat sur l’avortement. Pas les organes des personnes qui présentent les arguments !

Quelle est l’urgence ?
L’urgence est que 73 millions d’enfants à naître sont tués chaque année dans le ventre de leur mère (dont plus de 230 000 en France). Comment peut-on laisser un tel drame se produire sous nos yeux sans rien faire ? Il est évident que dans une société normalement constituée, les plus faibles peuvent compter sur les plus forts. Tout cela doit changer et il est impératif que les Français aient accès aux véritables informations en ce qui concerne l’IVG afin que l’on puisse à nouveau débattre de cette question importante.

La raison est pro-vie, de Matthieu Lavagna, Artège, 280 pages, 18,90 €.

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