Le mahdisme : l'idéologie apocalyptique qui sous-tend le programme nucléaire iranien

par Raymond Ibrahim

Le plus grand aveuglement de l'Occident concernant le programme nucléaire iranien tient peut-être en un mot - le mahdisme.

La doctrine musulmane du mahdisme s'articule autour d'une figure eschatologique - le Mahdi, ou "guide juste" - qui vainc le mal et inaugure le règne de l'islam à la fin des temps. Les sunnites et les chiites croient tous deux au Mahdi, même s’ils ont des versions différentes de sa nature et de son rôle exacts.

La doctrine apocalyptique de l'Iran

La République islamique d'Iran est une nation chiite de type "duodécimain". Comme tous les chiites, l'Iran estime que la véritable direction du monde musulman appartient à la lignée du prophète Mahomet, en commençant par Ali (cousin de Mahomet et gendre de celui-ci par son mariage avec Fatima). Selon l'enseignement chiite, Ali est le premier imam "bien guidé", suivi de ses descendants masculins. À l’égal de Mahomet, ils sont tous considérés comme infaillibles et comme les véritables interprètes de la loi islamique.

Pour les duodécimains d'Iran, Muhammad ibn Hasan - alias Muhammad al-Mahdi - est le douzième et dernier imam. (D'autres chiites, comme les zaïdistes et les ismaéliens, estiment que l'imamat se termine avec le cinquième et le septième imam respectivement.) Né en 868, al-Mahdi serait entré en état d'"occultation" en 874, c'est-à-dire qu'Allah l'aurait miraculeusement fait "disparaître". Toujours en vie, Muhammad al-Mahdi, âgé de 1 155 ans, attend patiemment son heure pour revenir et inaugurer la prise de contrôle du monde musulman, voire du monde entier.

De telles traditions pourraient sembler bien inoffensives, mais le mahdisme représente une menace sérieuse, quoique largement négligée, pour la sécurité internationale, principalement parce que son expression actuelle en Iran exige de ses adeptes qu'ils prennent des mesures "proactives" pour aider à l'avènement du Mahdi, notamment en lançant une épreuve de force "apocalyptique" avec le "grand" et le "petit" Satan, à savoir les États-Unis et Israël.

Une armée idéologique

Aucune entité n'est plus attachée au mahdisme - ou endoctrinée par lui - que le Corps des gardiens de la révolution islamique d'Iran (CGRI), qui, selon la constitution iranienne de 1979, est une "armée idéologique", chargée d'une "mission idéologique de djihad dans la voie d'Allah".

Comme l'a déclaré le Hojatoleslam Ali Saïdi, alors représentant du Guide suprême auprès du CGRI, dans un discours prononcé en 2012, "le CGRI est un des outils permettant d'ouvrir la voie à l'émergence de l'Imam de l'ère [Mahdi] dans le cadre d'un réveil régional et international".

En 2015, Mehdi Taeb, religieux de premier plan et frère de Hossein Taeb, chef de l'Organisation des renseignements du CGRI, a clairement indiqué comment ils devaient "ouvrir la voie". Dans un discours, il a appelé les membres du CGRI à "éliminer les obstacles à l'émergence de l'Imam de l'ère, dont le plus important est l'existence du régime usurpateur d'Israël (c'est nous qui soulignons)".

Israël doit mourir

Un document du Middle East Institute datant de 2022, intitulé "Iran's Revolutionary Guard and the Rising Cult of Mahdism" (Les gardiens de la révolution iranienne et le culte grandissant du mahdisme), explique l'importance croissante de l'élimination d'Israël dans le contexte du mahdisme iranien :

Le CGRI comprend et communique de plus en plus sa politique officielle d'éradication d'Israël et du sionisme au travers de la doctrine du mahdisme. Si la destruction d'Israël est l'objectif de travail du CGRI depuis sa création, comme pour d'autres groupes islamistes, cette hostilité est née du fait que l'État juif est considéré comme une entité illégitime, oppressive et usurpatrice permettant à l'Occident d'atteindre ses objectifs coloniaux supposés dans le monde musulman. Plus récemment, cependant, l'existence d'Israël est considérée et comprise comme le "plus grand obstacle" à la réapparition du 12e Imam. Selon la doctrine du mahdisme, la préparation de la réapparition du 12e Imam passe par l'élimination de tous les obstacles et de toutes les barrières à son retour.

Dans ce contexte, le clergé dur iranien affilié au CGRI affirme que des hadiths religieux stipulent que "l'État juif sera détruit avant l'arrivée du Mahdi". Selon ces récits, légitimés par les écritures religieuses, "les musulmans chiites seront du côté de la guerre contre les Juifs" avant la réapparition du Mahdi. Ainsi, l'effondrement du "régime israélien et des Juifs sionistes" sous l'impulsion de "l'Iran et de l'axe de la résistance" aura lieu "avant l'émergence du Mahdi" ... En effet, la croyance idéologique selon laquelle l'éradication d'Israël est une étape nécessaire à la réapparition du 12e Imam est de plus en plus répandue au sein du CGRI.

À vrai dire, si l'on considère que le mahdisme a retrouvé une place officielle en Iran depuis la révolution islamique de 1979 - il y a 44 ans - la menace qu'il représente peut ne pas sembler trop urgente. En fait, c'est seulement récemment que l'Iran a commencé à ancrer le culte du Mahdi dans l'esprit de la jeunesse iranienne et du Corps des gardiens de la révolution islamique. C'est à-dire que les générations actuelles et futures sont beaucoup plus désireuses de jouer un rôle dans la facilitation du retour du Mahdi que les générations qui ont immédiatement suivi la révolution islamique de 1979. Selon le document 2022 :

Depuis sa création, la Garde a mis en place un programme officiel de formation "idéologique et politique" visant à radicaliser ses membres, ses recrues et leurs familles. Au fil du temps, la portée de cette formation s'est considérablement élargie et elle représente aujourd'hui plus de la moitié de la formation requise pour les nouvelles recrues et les membres existants.

Le grand changement est intervenu sous le Guide suprême Ali Khamenei, en particulier à la suite des troubles postélectoraux de 2009. En conséquence, "les troisième (2000-10) et quatrième (2010-20) générations de membres du Corps des gardiens de la révolution islamique sont parmi les plus radicaux de la Garde sur le plan idéologique".

Khamenei et son cercle de partisans de la ligne dure ont cherché à favoriser l'émergence d'une génération plus radicale en consacrant plus de temps à l'endoctrinement idéologique de ses membres. Le système de promotion dans les rangs du CGRI favorise également la conviction idéologique par rapport à l'expertise technique, ce qui permet aux membres les plus zélés de s'élever dans la chaîne de commandement..... Depuis le soulèvement post-électoral de 2009, la doctrine du mahdisme est devenue l'un des principaux prismes à travers lesquels le CGRI et les clercs de la ligne dure qui lui sont affiliés comprennent le monde qui les entoure et les actions du CGRI, et communiquent cette compréhension. En retour, l'accent a été mis sur le fait de considérer le CGRI comme le véhicule militaire permettant de préparer la réapparition du 12e Imam, les objectifs politiques tels que l'hostilité envers les États-Unis et l'éradication d'Israël étant compris à travers ce prisme..... À cet égard, les efforts déployés par Khamenei et l'Organisation idéologique et politique de la Garde pour favoriser l'émergence d'une génération plus radicale au sein du Corps des gardiens de la révolution islamique ont porté leurs fruits et continuent de le faire.

L'Iran devient plus radical

En bref, si le mahdisme existe depuis des lustres, certaines évolutions - la récente augmentation de l'endoctrinement et une génération entière de mahdistes fanatiques arrivant à l'âge adulte et à la tête de l'Iran - le rendent particulièrement dangereux à l'époque actuelle, même si peu d'Occidentaux sont conscients de son existence et de son rôle. Comme l'observe le document 2022 :

Des mahdistes fervents pourraient occuper des postes de direction. Cela pourrait avoir des conséquences considérables, car cela placerait les trois piliers de la politique étrangère du CGRI sous le contrôle de celui-ci - les milices, les missiles balistiques et le programme nucléaire. Même si seuls un petit nombre de mahdistes dévoués occupent des postes élevés dans la Garde, il est néanmoins possible qu'ils cherchent à faciliter et à accélérer le retour du Mahdi. Cela aurait des implications majeures pour certaines politiques comprises à travers le prisme du mahdisme, telles que l'existence d'Israël comme "plus grand obstacle" à la réapparition du 12e Imam. À l'heure actuelle, la doctrine du mahdisme au sein du CGRI reste ignorée des décideurs occidentaux, alors qu'elle pourrait avoir des implications majeures pour le réseau de milices de la République islamique, son programme de missiles balistiques et même son programme nucléaire.

En d'autres termes, lorsqu'il s'agit de l'Iran et des armes nucléaires, la théorie dite de "l'équilibre des forces" ne s'applique pas. Selon ce modèle largement accepté, plus les nations disposent d'armes nucléaires, plus elles auront tendance à se comporter de manière "équilibrée" les unes envers les autres. Aucune nation ne sera tentée d'"appuyer sur le bouton" si elle sait que, ce faisant, le bouton sera aussi appuyé contre elle.

Or cette logique ne s'applique qu'à des nations rationnelles soucieuses de préserver leur existence. Pour des nations dont les dirigeants et les futurs dirigeants ont été systématiquement endoctrinés à croire que le plus grand bien est de faciliter l'avènement d'une figure eschatologique "bien guidée" de la légende islamique - quel qu'en soit le prix, y compris pour la nation elle-même - les conséquences ne sont rien moins qu'apocalyptiques.

Raymond Ibrahim est l'auteur de Defenders of the West (Les Défenseurs de l'Occident) et de L'épée et le cimeterre – Quatorze siècles de guerres entre l'Islam et l'Occident.

Source: Mahdism: The Apocalyptic Ideology Behind Iran's Nuclear Program - Middle East Forum

Traduction: Albert Coroz