France — Pap Ndiaye, « le ministre de la déconstruction nationale »

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Début du dossier en question :

Longtemps, le successeur de Jean-Michel Blanquer s’est retenu de dévoiler son agenda. Attaque frontale de l’école privée, coups de canif au contrat de la laïcité et sirènes du « wokisme » : ainsi se révèle le véritable Pap Ndiaye. 

Sa discrétion confine à l’absence. La plupart du temps, lorsqu’il accompagne le président, Pap Ndiaye en est comme réduit à faire de la figuration. Emmanuel Macron semble presque voler les mots de son ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse. Si bien qu’un an après sa nomination surprise Rue de Grenelle, l’un des postes les plus exposés du gouvernement, l’ancien directeur du musée de l’Histoire de l’immigration reste une sorte d’illustre inconnu dont on connaît le nom, mais dont on ignore les actions, sinon qu’elles n’ont pas permis d’enrayer l’effondrement de notre système scolaire. À tel point que, parfois, les mauvaises langues se plaisent à dire qu’il occupe un emploi fictif.

Ces critiques, le ministre ne les ignore pas. Mais son caractère équanime fait qu’elles glissent sur lui aussi sûrement que l’eau sur les plumes d’un canard. Imperméable à la critique, il l’est tout autant aux flatteries. Et, signe qu’il n’est pas totalement dépourvu d’humour, il a même rejoint avec Christophe Béchu, le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, le « club des invisibles », créé à l’initiative de François Braun, le ministre de la Santé et de la Prévention.

Encore que, depuis peu, Pap Ndiaye se soit décidé à faire parler de lui plus que de raison. Comme découvrant son jeu, qu’il avait tenu caché dans sa manche. Car, sous des dehors courtois, urbain, policé, l’homme se révèle aussi « ondoyant, vipérin », de l’aveu même d’un de ses camarades du gouvernement. C’est peu dire que le ministre de l’Éducation nationale s’est longtemps efforcé de faire mentir la réputation qui le précédait, avançant avec d’autant plus de prudence dans son agenda qu’il n’était pas préparé à investir l’hôtel de Rochechouart, contrairement à Jean-Michel Blanquer, son prédécesseur, dont la nomination avait été unanimement saluée. À Valeurs actuelles, nous n’avons pas voulu céder à la tentation de le condamner avant qu’il ait fait ses « preuves ».

Et, comme pour donner tort à tous ceux qui l’accusaient d’être tour à tour « un indigéniste assumé » (Marine Le Pen), « le cheval de Troie du gauchisme américain, porteur du “wokisme” et du racialisme » (Julien Aubert), « un déconstructeur » (Éric Zemmour) sur la foi de ses déclarations passées et de ses écrits d’universitaire, le ministre de l’Éducation nationale se plaisait à prendre le contre-pied de ses détracteurs. C’est ainsi qu’il réserve son premier déplacement au collège du Bois-d’Aulne pour rendre un hommage appuyé à Samuel Paty.


L’antithèse de Blanquer

Il n’est pas alors question de reprendre à sa main le Conseil des sages de la laïcité et des valeurs de la République (CSLVR) mis en place par Jean-Michel Blanquer, d’élargir son périmètre à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et toutes les formes de discrimination, de le priver de la capacité d’autosaisine pour mener à bien des enquêtes indépendantes. Pas question non plus d’imposer aux établissements privés sous contrat davantage de diversité culturelle sous couvert de « mixité sociale ». Pap Ndiaye prend garde à ne pas apparaître comme l’antithèse de Jean-Michel Blanquer. « Il me semble essentiel d’échapper à une alternative simpliste qui serait soit la continuité parfaite, soit le virage à 180 degrés et la rupture », se défend-il dans un entretien au Parisien. Il tente d’échapper à sa propre caricature, se disant volontiers « plus cool que woke » et affirme encore, dans un grand portrait que lui accorde M le magazine du Monde, qu’il ne dirigera pas un ministère doctrinaire : « Je ne veux pas faire de cette institution un ministère idéologique. »

Plaise aux naïfs qu’ils croient cet homme de gauche. Un jour, le ministre de l’Éducation nationale fait de la lutte contre les stéréotypes de genre à l’école une priorité alors que le pays ne cesse de chuter dans les classements internationaux, aussi bien dans la maîtrise de la langue que dans celle des mathématiques. Un autre, devant un parterre d’étudiants de l’université de Washington, il regrette « l’absence de débat nuancé en France sur les questions ethno-raciales ». Sacralisation des revendications minoritaires, racialisation des rapports sociaux… Difficile de faire plus woke.

Quand Jean-Michel Blanquer se faisait le chantre d’un universalisme républicain et combattait l’islamo-gauchisme à l’Université, Pap Ndiaye importe en France le discours diversitaire et décolonial. Interrogé par Valeurs actuelles, Luc Ferry n’entend pas faire l’effort d’une formule brillante pour assassiner son lointain successeur. Il se veut purement factuel : « C’est un des principaux critiques en France de l’universalisme républicain, un des très rares fervents de la théorie critique de la race qui accuse la France d’être “colour-blind” et qui plaide pour des politiques de discrimination positive. Consternant ! »

La démission de Jean-Éric Schoettl

Comment dès lors lutter contre le phénomène des qamis et des abayas à l’école ? Le ministre ouvre timidement les yeux pour mieux s’enfermer dans le déni. « La difficulté, c’est que ce n’est pas moi qui vais chaque matin regarder des photographies de vêtements, et puis, décider si c’est à caractère religieux ou pas. » Néanmoins, il promet de communiquer tous les mois les chiffres des atteintes à la laïcité, tout en se refusant à interdire ces tenues cultuelles. Mais son ministère ne diffuse plus le nombre des signalements qui remontent des rectorats. Plus de thermomètre, plus de problème. Alors que certains, dans sa propre majorité, suggèrent d’imposer le port de l’uniforme, Pap Ndiaye coupe court à cette idée. La liberté vestimentaire, l’autre nom d’un accommodement raisonnable.

La laïcité recule à mesure que la conception que s’en fait le ministre s’affirme. La preuve ? Le 14 avril, à la faveur d’un renouvellement des membres du CSLVR, Pap Ndiaye intègre Alain Policar, sociologue et chercheur associé au Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof). Ce dernier ne cache pas son hostilité à une laïcité de combat. Émoi de la sœur de Samuel Paty. Démission immédiate de Jean-Éric Schoettl. Dans une tribune publiée dans l’Opinion, l’ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel explique : « Je me sens personnellement trop las et trop pessimiste pour guerroyer [aux] côtés » des membres historiques.

Il n’est pas jusqu’à certains ministres pour s’inquiéter en privé de cette dérive et espérer que Dominique Schnapper, sa présidente, puisse continuer à mener à bien les travaux du Conseil, en dépit de la nouvelle feuille de route du ministère. Du côté de la Rue de Grenelle, le ministre persiste à vouloir rassurer. « Il y a une continuité et un élargissement du Conseil », se défend-il auprès de Valeurs actuelles. Une dilution surtout de sa mission initiale.

« De la même manière que François Hollande a tué le Haut Conseil à l’intégration créé en 1989 par Michel Rocard, tout simplement parce que nous disions la vérité, Pap Ndiaye veut neutraliser le CSLVR », analyse l’essayiste Malika Sorel-Sutter (les Dindons de la farce, Albin Michel). Le ministre agit d’autant plus librement qu’il a le soutien de Matignon et sait partager les mêmes vues que François Weil, le conseiller éducation d’Élisabeth Borne.

Plus encore, à en croire une thèse développée par Laureline Dupont dans un article consacré aux étonnantes ambitions d’Emmanuel Macron une fois achevé son bail élyséen, le remplacement de Jean-Michel Blanquer par Pap Ndiaye coïnciderait avec le désir du président de s’ouvrir les portes des États-Unis. Emmanuel Macron se rêverait enseignant et philanthrope mondialisé. « Son avenir c’est d’être Jésus-Christ, Bill Gates ou Barack Obama », assure à la journaliste de l’Express un proche du chef de l’État.

La racialisation des débats

C’est pour cela que David Lisnard, que nous avons sollicité pour connaître son analyse de l’action du ministre de l’Éducation nationale, se refuse à accabler Pap Ndiaye. « Je ne veux pas personnaliser à outrance sous peine de passer à côté du sujet de l’effondrement de l’école, nous dit le maire de Cannes. La question est : qui l’a nommé ? Et pour quoi faire ? » Emmanuel Macron, bien sûr. Le chef de l’État n’ignorait rien de la carrière américaine de cet historien, de la matrice marxiste et bourdieusienne de celui qui a signé la Condition noire. « Même Mélenchon n’aurait pas osé nommer quelqu’un qui défend cette vision décoloniale », avertissait François-Xavier Bellamy, pourtant peu enclin aux jugements à l’emporte-pièce. Il est vrai que le philosophe avait lu le livre du futur ministre, un travail où Pap Ndiaye ramène tout à la couleur de peau. « Tout est fait pour montrer que, derrière la condition de la race, une certaine gauche a retrouvé sa nostalgie de la lutte des classes. »

Certains jurent qu’il n’en est rien. Pap Ndiaye est métis. Sa mère, Simone, est originaire d’une famille de fermiers de la Beauce quand son père, Tidiane, est le premier étudiant d’Afrique subsaharienne à avoir été diplômé ingénieur de l’École nationale des ponts et chaussées. « Et en plus, il vit avec une descendante du général Mangin, l’homme de la Force noire, qu’admirait tant Guy Dupré, ami du beau-père de Pap Ndiaye ! », assure un proche de la famille. Pour lui, « plus que la colère de sa moitié noire s’exprime la mauvaise conscience de sa moitié petit Blanc ». Voire ! Au Brésil, les mulâtres ont une expression beaucoup plus drôle pour se positionner entre les deux extrêmes chromatiques : « Nem preto nem branco, muito pelo contrário » (« Ni noir ni blanc, bien au contraire »).

Reste que c’est bien une lutte des classes qu’il veut désormais importer dans les établissements privés sous contrat pour parachever la faillite de l’institution scolaire. « Pap Ndiaye est le pire ministre au pire moment, c’est-à-dire un déconstructeur au moment même où l’école s’effondre. Entre dénaturation du Conseil des sages pour la laïcité et grands coups de “wokisme”, de pédagogisme et d’égalitarisme, il est en train de donner le coup de grâce à l’école républicaine », se désole Bruno Retailleau, le président du groupe Les Républicains au Sénat. Même son de cloche du côté de Marion Maréchal, pour qui Pap Ndiaye est « le ministre le plus nul et le plus idéologue qu’on ait eu, les deux allant d’ailleurs souvent ensemble, qui n’a rien trouvé de mieux que de rouvrir la guerre scolaire avec le privé pour faire oublier son incapacité à répondre au naufrage de l’école publique ».

Le plus sidérant dans cette tragédie française, c’est de voir que Pap Ndiaye, qui reconnaît volontiers qu’il est « un pur produit de la méritocratie républicaine », se complaît à vouloir déconstruire la culture dont il a pourtant reçu toute sa liberté. Comment imaginer que l’Éducation nationale puisse lui survivre ? Le bac est dévalué. L’école est finie — comme l’annonçait d’ailleurs un ouvrage de Jacques Julliard voilà dix ans déjà. L’école est en ruine, l’école est devenue un fantôme (l’expression est cette fois du philosophe Robert Redeker). Pap Ndiaye en est l’actuel fossoyeur.

 

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