Les grandes illusions idéologiques (marxisme, fascisme, nazisme) ont à peu près disparu. Mais une radicalité de gauche (écologisme radical, intersectionnalité, wokisme, racialisme, dévoiement du féminisme) est apparue, qui n’a apparemment aucune des caractéristiques des anciennes idéologies.
Il s’agit de mouvances intellectuelles disparates que la notion d’intersectionnalité permet d’unifier. En récupérant le concept d’analyse systémique à des fins purement politiciennes, l’intersectionnalité étudie les interrelations entre les facteurs de domination. Le capitalisme, le colonialisme, le racisme, le patriarcat se conjugueraient au détriment de dominés : travailleurs, non-Blancs ou racisés, migrants, femmes, etc.
Des contradictions fondamentales
Mais il ne suffit pas de prétendre qu’il existe un système de domination pour rassembler. Cette extrême gauche reste donc hétérogène structurellement et hétéroclite intellectuellement. Elle est traversée de contradictions majeures concernant les travailleurs, les femmes, les Blancs.
Voici quelques exemples de ces contradictions ou approximations.
Il faut élever le niveau de vie des travailleurs, mais sans croissance économique car la croissance nuit à l’environnement et à la biodiversité. Il est donc nécessaire de « prendre aux riches » pour donner aux pauvres, autrement dit redistribuer, vieille antienne socialiste. Mais l’expérience historique prouve qu’appauvrir massivement les riches par un processus révolutionnaire a toujours appauvri la société entière. Seule la croissance enrichit l’ensemble de la population.
La libération des femmes suppose que celles-ci accèdent effectivement à tous les postes de responsabilité et bénéficient de la même liberté que les hommes dans tous les domaines. Les progrès ont été considérables depuis un siècle, mais uniquement en Occident. Rappelons que le pantalon était interdit aux femmes dans l’espace public en France au XIXe siècle. Cependant, pour la radicalité de gauche, il ne faut surtout pas stigmatiser les femmes voilées, pourtant victimes du patriarcat le plus archaïque. Bien qu’affublées d’une tenue vestimentaire de propagande idéologique en faveur de l’islamisme, les femmes voilées doivent pouvoir accéder à toutes les fonctions dans les pays occidentaux : médecine, enseignement, magistrature, etc.
La défense systématique des minorités exclut le peuple juif, pourtant fortement minoritaire si on le compare numériquement aux musulmans. L’islamo-gauchisme cultive une forte ambiguïté face au terrorisme islamiste qui le conduit vers l’antisionisme puis, de proche en proche, vers l’antisémitisme.
Les Blancs sont historiquement les principaux prédateurs des ressources naturelles car ils appartiennent généralement aux peuples riches. Ce sont des dominateurs et des colonialistes à combattre. Mais la démocratie et les concepts de liberté politique et économique sont nés dans les sociétés blanches d’Occident. Le « mâle blanc dominateur » a donc inventé la liberté.
De la lutte pour la justice à l’instauration de la terreur
Il faut aller plus loin et mettre en évidence la fascination historique pour les pouvoirs forts de l’extrême gauche. Elle se réclame de la justice et de l’égalité mais n’accorde à la liberté qu’une place modeste. Lorsqu’elle accède au pouvoir, la liberté disparaît totalement. C’est le règne de la terreur, de la dictature ou du totalitarisme.
Voici quelques exemples historiques.
Sous la Révolution française de 1789, la bourgeoisie au pouvoir entendait bâtir un monde nouveau et plus égalitaire dans lequel les ordres (noblesse, clergé, tiers état) auraient disparu. On ne peut que souscrire à ce projet, mais les révolutionnaires les plus extrémistes, rassemblés dans le Club des Jacobins, admirent que la terreur était nécessaire pour réaliser ce projet. Quelques guillotinés innocents ne devaient pas compter puisqu’il s’agissait surtout de ci-devant nobles. Les droits de la défense, l’instruction objective et contradictoire devaient donc être écartés au profit de tribunaux d’exception multipliant les condamnations à mort.
La révolution russe de 1917, fondée idéologiquement sur le marxisme-léninisme, offre un autre exemple. Le marxisme-léninisme comporte un élément majeur : la dictature du prolétariat. Pour parvenir à la société sans classes et éradiquer la bourgeoisie exploiteuse des travailleurs, une phase de dictature avec parti unique est nécessaire. La liberté ne peut en effet exister vraiment que lorsque le mal a été vaincu et c’est au Parti communiste et à lui seul de s’en charger. Cela donne l’URSS, le Goulag et ses millions de morts, l’Holodomor en Ukraine et à nouveau ses millions de morts.
Mao Tsé-toung ou Mao Zedong (1893-1976) entendait libérer la Chine des chaînes ancestrales. Il parvient à conquérir le pouvoir en 1949. Son action se fonde sur l’idéologie marxiste-léniniste mâtinée de réflexions personnelles. On qualifiera cette idéologie de maoïsme. L’ambition de libération du peuple chinois aboutit après sept décennies de pouvoir à la société la plus totalitaire de la planète avec la Corée du Nord.
Consternante duplicité
La consternante duplicité de l’extrême gauche n’a évidemment pas disparu aujourd’hui. Elle se réclame de la liberté mais la réduit à néant dès que possible. Cette constante historique de la radicalité de gauche subsiste dans le wokisme, l’intersectionnalité, le féminisme et l’écologisme. Les plus extrémistes considèrent toujours que la liberté d’autrui est un obstacle à la mise en œuvre de la doxa.
Ainsi, la cancel culture (culture de l’annulation) consiste à livrer à la vindicte publique une personnalité parce qu’elle pense ou agit mal. Les réseaux sociaux numérisés jouent le rôle principal dans la diffusion des invectives et menaces. De grands intellectuels français (Alain Finkielkraut, Pascal Bruckner, Michel Onfray, etc.) ont été cloués au pilori médiatique et ont parfois dû se défendre en justice. Mais le temps de la justice se compte en années et celui des médias en jours. La justice arrive trop tard.
Le cas-type le plus médiatisé aujourd’hui concerne des hommes accusés d’abus sexuels à l’égard de femmes. La domination masculine a, de fait, conduit à des comportements masculins abusifs et violents au cours de notre histoire. Ils persistent aujourd’hui et il convient de saisir la justice des nombreuses questions passées sous silence dans le passé. Mais les féministes les plus radicales vont plus loin et voient parfois l’homme comme une sorte d’ennemi à combattre qu’il convient d’annihiler médiatiquement.
Avant toute intervention judiciaire et débat contradictoire sur la base de preuves, la réputation de l’homme est détruite. La justification donnée est la suivante : il faut passer par la manière forte pour obtenir des résultats. Quelques injustices éventuelles, la mise en cause d’un innocent, sont la condition de la libération complète des femmes. La violence du patriarcat justifie la violence des femmes. Il s’agit d’une guerre avec des dégâts collatéraux.
L’écologie radicale se manifeste par des occupations illégales (à Notre-Dame-Des Landes, pendant des années pour empêcher la construction d’un aéroport), des manifestations violentes accueillant les professionnels de la provocation (black-blocs), des atteintes aux biens (terrains de golf, tableau dans les musées, statues dans l’espace public, etc.). Cette très petite minorité cherche à imposer par la violence le thème de la décroissance économique dans le débat public. Elle est antitechnicienne et souhaite placer le progrès scientifique et donc toute recherche sous contrôle politique. Elle peut être antispéciste et refuser aux humains un statut différent de celui des animaux.
On pourrait multiplier les exemples.
Pour l’extrême gauche, la liberté est toujours une belle promesse qu’il faudra réaliser dans un avenir indéterminé. En attendant ce jour, il appartient aux militants d’éliminer sans faillir tous les obstacles à l’avènement de l’eden idéologique. L’autoritarisme politique et la violence consubstantielle permettent de lutter contre le mal et de cheminer vers la réalisation de l’idéal. Derrière cette construction, il n’y a qu’une réalité : la volonté de monopoliser le pouvoir politique et d’annihiler tous les opposants. On imagine ce dont cette extrême gauche occidentale serait capable si elle parvenait au pouvoir. Il se trouverait sans doute parmi ses leaders un Robespierre, un Staline, un Poutine ou un Xi Jinping.
La radicalité politique est incompatible avec la liberté.
Elle se réclame d’ailleurs surtout de l’égalité et veut l’instaurer par la contrainte. Ce privilège accordé à l’égalité s’explique : la liberté n’est pas conciliable avec une idéologie rigide prétendant détenir a priori les meilleures solutions car il faut alors éliminer les opposants. Les utopies égalitaristes peuvent être divertissantes dans la sphère purement intellectuelle, mais il ne faut jamais chercher à les mettre en œuvre. La liberté suppose le pragmatisme car elle est toujours imparfaite, toujours à construire et toujours à découvrir. Elle n’est pas un idéal lointain mais une réalité toute relative du présent, le bien le plus précieux et le plus fragile.
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