Les conséquences potentielles des origines du virus sont dévastatrices - si elles peuvent être prouvées

Thomas Frank

Il fut un temps où la pandémie de Covid semblait confirmer tant de nos hypothèses. Elle a renversé les personnes que nous considérions comme des méchants. Elle a élevé ceux que nous considérions comme des héros. Elle a fait prospérer les personnes qui pouvaient facilement passer au travail à domicile, alors même qu'elle rendait difficile la vie des électeurs de Trump vivant dans la vieille économie.

Comme tous les fléaux, le Covid a souvent été ressenti comme la main de Dieu sur terre [...]

Mais à présent, le consensus n'est plus aussi consensuel qu'avant. Maintenant, les médias sont remplis d'histoires troublantes suggérant que Covid pourrait provenir, non pas du «populisme», mais d'un raté de laboratoire à Wuhan, en Chine.

Vous pouvez pressentir les convulsions morales qui s’ensuivent quand la question s'installe : « Et si la science elle-même était en quelque sorte coupable de tout cela ? »

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Je ne suis pas un expert en épidémies. Comme tous les gens que je connais, j'ai passé la pandémie à faire ce qu'on me disait. Il y a quelques mois, j'ai même essayé de convaincre un téléspectateur de Fox News de ne pas croire à la théorie de la fuite de laboratoire quant aux origines de Covid. Si j'ai fait cela, c'est parce que les journaux que je lisais et les émissions de télévision que je regardais m'avaient assuré à de nombreuses reprises que la théorie de la fuite en laboratoire n'était pas vraie, qu'il s'agissait d'une théorie du complot raciste, que seuls les trumpistes bernés y croyaient, qu'elle obtenait sans cesse des notes alarmantes de la part des vérificateurs de faits, et parce que (malgré tout mon scepticisme) je suis du genre à avoir toujours fait confiance aux grands médias d'information.

Ma propre complaisance sur la question a été dynamitée par l'article sur la fuite de laboratoire paru dans le Bulletin of the Atomic Scientists au début du mois ; quelques semaines plus tard, tout le monde, du docteur Fauci au président Biden, reconnaît que l'hypothèse de l'accident de laboratoire pourrait avoir un certain mérite. Nous ne connaissons pas encore la vraie réponse, et nous ne la connaîtrons probablement jamais, mais c'est le moment d'anticiper les conséquences possibles d'une telle découverte. Et si cette histoire folle se confirmait ?

La réponse est que c'est le genre de chose qui pourrait anéantir la confiance de millions de personnes. La dernière catastrophe mondiale, la crise financière de 2008, a brisé la confiance des gens dans les institutions du capitalisme, dans les mythes du libre-échange et de la nouvelle économie, et finalement dans les élites qui dirigeaient les deux partis politiques américains. [...]

Considérons les détails de l'histoire tels que nous les avons appris au cours des dernières semaines :

• Les fuites de laboratoire, ça arrive. Elles ne sont pas le résultat de conspirations […] ; elles se produisent tout le temps, dans ce pays et dans d'autres, et des gens en meurent.
• Il semble que le laboratoire en question, qui étudie les coronavirus des chauves-souris, ait mené ce que l'on appelle la recherche sur le "gain de fonction", une innovation dangereuse qui consiste à rendre les maladies délibérément plus virulentes. Soit dit en passant, ce ne sont pas les gens de droite qui ont inventé le "gain de fonction" : tous les virologistes branchés l'ont fait (dans ce pays et dans d'autres), alors même que les experts mettent en garde contre cette pratique depuis des années.
• Tout porte à croire que certaines des recherches sur le virus de la chauve-souris menées au laboratoire de Wuhan ont été financées en partie par establishment médical national américain - autrement dit, l'hypothèse de la fuite du laboratoire n'implique pas seulement la Chine.
• Il semble qu'il y ait eu de surprenants conflits d'intérêts parmi les personnes chargées de faire toute la lumière sur cette affaire [...].
• Les médias d'information, dans leur zèle à surveiller les limites de l'acceptable, ont insisté sur le fait que le Russiagate était tout à fait vrai mais que l'hypothèse de la fuite en laboratoire était fausse, fausse, fausse, et malheur à quiconque osait ne pas être d'accord. Les journalistes ont avalé n’importe quelle version qui était la plus flatteuse pour les experts qu'ils citaient, puis ont insisté sur le fait qu'elle était à 100% juste et absolument incontestable - que tout le reste n'était que folie trumpiste déséquilibrée, que la démocratie meurt lorsque les incrédules ont la parole, etc.
• Les monopoles des médias sociaux sont allés jusqu’à censurer les messages concernant l'hypothèse de la fuite de laboratoire. Forcément ! Parce que nous sommes en guerre contre la désinformation, vous savez, et que les gens doivent être ramenés à la croyance vraie et correcte - telle qu'elle est reconnue par les experts.

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"Prions maintenant pour la science", entonnait un chroniqueur du New York Times au début de la pandémie de Covid. Le titre de son article établissait la foi fondamentale de la gauche sous l'ère Trump : "Le coronavirus est ce que vous obtenez lorsque vous ignorez la science."

Dix mois plus tard, à la fin d'un article effrayant sur l'histoire de la recherche sur le "gain de fonction" et son rôle possible dans la pandémie Covid toujours en cours [...]

S'il s'avère effectivement que l'hypothèse de la fuite en laboratoire est la bonne explication de la façon dont tout a commencé - que les gens ordinaires du monde entier ont été forcés de participer à une expérience de laboratoire grandeur nature, à un coût énorme - c’est un séisme moral qui se prépare.

Car si l'hypothèse est juste, les gens commenceront bientôt à comprendre que notre erreur n'est pas due à un manque de respect pour les scientifiques ou pour l'expertise, ni à une censure insuffisante sur Facebook. Mais de n'avoir pas su faire preuve d'esprit critique à l'égard de tout ce qui précède, ni compris que l'expertise absolue n'existe pas. [...]

Traduction Albert Coroz pour LesObservateurs.ch

Article entier en anglais : The Guardian / traduction automatique ici