Affaire Giroud. Procès en cours à Genève, enquête, 2ème partie. 21.04.2021. RTS : Média ou agence de renseignements ?

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RTS : Média ou agence de renseignements ?

AFFAIRE GIROUD : L'implication des plus hautes sphères de la RTS dans une opération de hacking sous faux drapeau ne fait aujourd'hui plus aucun doute, nous l'avons démontré, ici . Mais qu'en est-il du SRC, le Service de renseignement de la Confédération, qui avait tout de même trois agents dans l'opération ? Et Yves Steiner, le journaliste de la RTS, n'en était-il pas un quatrième ? Que penser de la petite entreprise de nettoyage qui a suivi au SRC ? Enquête.

 

Nous avançons dans l'obscurité, dès le début de l'instruction, le chef de la sécurité du SRC a exigé la destruction de 67 écoutes téléphoniques, à commencer par celles des conversations qu'entretiennent Steiner et Antonino Mannisi, l'un des trois agents, le jour de l' "attaque", à l'instant -t-, et dont la production suffirait vraisemblablement à disculper le ci-devant Giroud. Dans une opération de hacking, l'on appelle rarement la cible trois fois pour la prévenir du virus qu'on vient de lui envoyer ; mais passons. La justice n'évolue donc qu'avec ce qui a échappé à la vigilance des renseignements fédéraux, mais le fait est qu'il reste de la matière.

 

Qui est Steiner ?

Né en 1973, Steiner fait une carrière peu remarquée dans le journalisme. Dès 2012, il se retrouve sur les fiches de paie de la RTS, en redresseur de torts des questions fiscales et financières, et comme free-lance pour Radio-Canada. L'affaire Giroud, qu'il disputera à l'enquêtrice du Temps, Marie Parvex, sera son heure de gloire. Fugace, son étoile filera au firmament des grands reporters pour des cieux résolument plus fonctionnaires.

Les pièces au dossier , ici permettent de déterminer que Steiner est recruté comme source par Mannisi, dès le début de l'année de 2013, pour monter une opération de hacking. L'on sait aujourd'hui qu'il rencontrera "D", le seul "officiel" du SRC de la bande des trois, une fois dans un aéroport, l'autre à l'hôtel Alpha-Palmiers de Lausanne, rendez-vous privilégié des barbouzes fédéraux pour son calme, son buffet de salades et sa proximité avec la gare. Nom de code : « pantalons rose », ce qui dit tout du personnage.

De son côté, Steiner pense recruter Mannisi en sa qualité de détective privé en lien direct avec l'équipe de communication de Giroud. Il sera conforté dans cette idée par une abondance de fuites et de documents particuliers. Reste à savoir si Mannisi a agi seul, c'est la version officielle, ou sur mandat, et si oui de qui.

 

Défense immunitaire du SRC

Autre version officielle, "D" serait un officier rebelle, un "ronin", la bride sur le cou, qui aurait violé toutes les procédures prudentielles et autres devoirs de réserve. La Confédération doit garder les mains propres, on le dégage, il faut sauver la République exemplaire. La RTS enquille sans broncher, qui parle, aujourd'hui encore, de l' « ex-fonctionnaire fédéral ». La vérité est loin d'être aussi simple.

"D" s'ennuie, la fusion des services, SRS et SAP, ne lui a pas profité, qui lui ferme des horizons à l'international. Il essaie des trucs, se décourage et finit par passer ses après-midis dans des lounge d'hôtel à claquer de la note de frais avec des privés au prétexte de les recruter. Dans la profession, une façon discrète de passer des entretiens d'embauche pour se ménager une porte de sortie. Sa hiérarchie s'en aperçoit, le rassure, l'évalue de façon très positive et lui donne de quoi patienter. Il le confesse lui-même dans son audition : « Au mois de décembre 2013, j'ai changé de thématique et de fonction au sein du SRC et cela m'a conforté dans l'idée d'y rester ». En mars 2014, l'affaire Giroud éclate, le Service le liquide, quelques derniers amis lui glissent alors une lettre de démission en blanc en échange d'une sortie honorable et sans heurts ; version officielle.

A ce stade-là commence la "légende" – la couverture, si vous préférez –, complainte, lamentation, passage à vide, anxiété, puis rédemption, épiphanie, nouveau boulot dans l'humanitaire en Afrique. Le stress, la dissimulation, les services secrets c'est fini, bonjour les sacs de riz et les petits Africains au sourire d'ivoire. A croire qu'à Berne, on n'est plus allé au cinéma depuis les années 1950...

Bref, aujourd'hui, sept ans plus tard, année civile du procès, "D" est un heureux père de famille au chômage pour qui les honoraires d'un Christian Lüscher ne sont visiblement plus un problème. Ce n'est pas une surprise, la Suisse n'a pas de marine mais elle a ce qu'on appelle des sous-marins.

Autre chose, une analyse circonstanciée du cas Steiner a été commanditée après la révélation des aspérités de l'affaire Giroud, qui ne peut être perçue que comme un modèle d'échec en haut lieu. Ce porte-drapeau de la déontologie journalistique dispose d'un arsenal numérique à la James Bond, les protocoles de cryptage, les méthodes, les procédures complexes, les clefs PGP à plus de 40 chiffres, tout cela fleure l'appareillage bernois à plein nez. Il en est.

Il en est d'autant plus qu'il se dénonce, sans le savoir, en direct, au 19h30, le 12 juin 2014, quand il accuse « Dominique Giroud » d'entretenir des « liens avec les services de la Confédération », et de s'interroger :

« Dominique Giroud avait beaucoup de contacts, notamment à l'est, est-ce qu'il n'a pas aussi été, lui, traité comme une source du service de renseignement ? C'est ce que certains disent, en fait, dans les coulisses. »

L'inversion accusatoire est une marotte, pour ne pas dire un symptôme, chez les journalistes et les espions.

Il poursuit :

« Et puis, dernier point, le SRC, il y a un problème de contrôle. L'espion, en l'occurrence, c'est cette personne qui aurait suggéré le hacker à Dominique Giroud, pour essayer d'infiltrer les ordinateurs du Temps et de la RTS. Là, manifestement, son devoir de diligence et de prudence, il ne l'a pas respecté, et on peut se demander comment sont contrôlés les espions en Suisse. »

Nouvelle inversion, celui qui suggère l'opération à Giroud, par Mannisi, c'est lui, ici

L'on assiste en réalité ici, à heure de grande écoute, à un règlement de compte entre l’aristocratie du renseignement extérieur, l'ex-SRS, et les traîne-patins du SAP. C'est une bête guerre des services, comme dans les vieux films d'espionnage à la Verneuil. En entendant Steiner, vous écoutez le porte-parole d'un clan mettant en garde un autre ; faites place !

La faute du SAP ? L'équipe de "D" avait été mise au parfum – écoute n°798 : « Alors ça a été un peu piloté, donc » –, le Giroud était un "gros poisson", ils ont voulu le garder pour eux ; voilà toute l'histoire.

A deux mois de cela, août 2014, Steiner a été exfiltré, pour services rendus, au Contrôle fédéral des finances, où il doit certainement se rendre indispensable. Ne vous y trompez pas, à l'heure où la plupart des destins journalistiques s'échouent contre les paywall de Tamedia, antichambres pudiques de l'ORP, le Contrôle des Finances c'est Disneyland ; le service qu'il a rendu a vraiment dû être des plus profitables pour la boutique.

 

Les écoutes

Vous n'avez certainement jamais été pris dans une rivalité de services secrets de l'une des plus petites nations au monde, mais voilà comment ça se passe : C'est simple, votre loyauté va à celui qui paie directement votre salaire, celui-là est gentil, les autres sont forcément "méchants".

L'on sait désormais que les pieds nickelés de l'ex-SAP, pilotés par "D", savaient pour Steiner. Au fur et à mesure que l'affaire prend de l'ampleur, il apparaît que "D" est rencardé par sa hiérarchie sur les tenants et les aboutissants de l'affaire.

La chose est récurrente, tant l'équipe "D" que les écoutes Steiner-Mannisi mentionnent un élément « politique » les dépassant tous. Steiner se dévoile sur certaines de ses sources, principalement l'Office fédéral de la justice, le parquet de Genève, un peu le Valais aussi.

Il y a tout d'abord un nom, « Jacques », qui pourrait être un agent de liaison pilotant plusieurs équipes au sein de ces différentes mouvances de services. Et puis il y a cette mention de Steiner, avec ce commentaire :

« Et puis, hier [les dates concordent], j’ai vu notre ami en commun qui est ici, à Genève, tu sais, le correspondant. Celui que… Ton collègue là-haut m’a mis ici… »

Le « collègue là-haut », la toute première et unique mention d'une autorité de rang hiérarchique supérieur à "D", le seul, et unique, oubli de la sécurité du SRC, peut-être le fameux Jacques... En clair, Steiner a été placé là par une huile du SRC. La cartographie de l'affaire vient de changer radicalement.

 

Sauve-qui-peut

La mission de "D", s'il veut un jour avoir une chance de retrouver la caisse de pension de la Confédération, c'est d'étouffer l'affaire jusqu'au jour du jugement, à savoir aujourd'hui, et de faire passer la pilule aux juges genevois. Reste qu'il n'y a rien de moins facile, une conscience tranquille est un luxe dans ce milieu, et puis l'homme vieillit mal confiné dans un univers de suspicion. Selon certaines informations, c'est la panique à bord, pas dit que la fameuse version officielle tienne le coup plus longtemps, des sources ont été retournées, visiblement, un petit malin s'amuse à semer la zizanie et transmettre des infos de première main tous azimuts. La sécurité des services est compromise, en clair, la vérité pourrait faire jour. La taupe est connue, identifiée, mais elle a ses entrées tout au sommet de la pyramide ; guerre des services...

La prudence commande que nous nous arrêtions là pour le moment. La seule chose qui semble claire à ce jour est que, dans ce scénario à la Inception, Giroud a été livré à la vindicte de la RTS pour excès de conservatisme valaisan, ce qui est un crime à Genève, et aussi parce que l'on imaginait sincèrement, par lui, atteindre beaucoup plus haut (Tornay ? Mais qui donc pouvait bien en vouloir à Maurice Tornay en 2013...) et qu'il s'est retrouvé, bien malgré lui, au milieu d'un exercice de tir entre factions rivales des renseignements fédéraux. Une certitude pointe à l'aube du verdict, l'affaire le dépasse de tellement loin que Giroud est certainement plus innocent qu'il ne le pense lui-même.

Affaire Giroud, Procès en cours à Genève, enquête pour LesObservateurs.ch, 2ème partie, 21.04.2021

à suivre...

 

2 commentaires

  1. Posté par Albert Coroz le

    […] «Je n’ai jamais donné l’ordre de faire ce hacking. J’ai du respect pour la justice et les institutions. J’ai cinq enfants qui m’attendent chez moi, ma femme est décédée à cause de ce stress. Je veux juste rentrer chez moi et travailler, la seule chose que je sais faire.» Ainsi s’est exprimé […] l’encaveur valaisan Dominique Giroud, ce jeudi, devant le Tribunal de police de Genève, peinant à contenir ses larmes, au terme du procès dont le verdict […]
    https://www.lematin.ch/story/le-contexte-explique-pourquoi-giroud-a-ete-tente-990764324192

  2. Posté par Fanfouet le

    Superbe analyse, qui se lit comme un roman d’espionnage, bon, à la sauce helvétique…

Et vous, qu'en pensez vous ?

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