De notre correspondante à Beyrouth. – Rouge. Blanc. Vert. Le drapeau libanais flotte absolument partout, du nord au sud du Liban, dans les villes et dans les villages, par milliers, par millions ! Tous les jours, c’est devenu un rituel : des centaines de citoyens sortent de chez eux à 5 heures du matin, enfilent des gants et partent à l’assaut des déchets des manifestations de la veille avant l’arrivée des nouveaux cortèges. Depuis la manifestation du dimanche 20 octobre, tous les jours, que le soleil soit brûlant, qu’il pleuve ou qu’il vente, deux millions de Libanais foulent l’asphalte des routes et des places en scandant des slogans patriotiques et en hurlant leur rejet de toute la classe politique et du régime. Hommes et femmes, vieillards et enfants, ils se réapproprient l’espace national et leur dignité foulée aux pieds depuis trop longtemps par ceux-là même qu’ils dénoncent, tous ces clans féodaux, ces politiciens, ces notables et ces dignitaires religieux qui se gavent sur le dos des divisions et du communautarisme. L’imposture est exposée en pleine lumière et le peuple libanais accouche sous nos yeux d’un nouveau contrat social, rejetant la coexistence consensuelle des communautés pour donner naissance au citoyen libanais, libre, souverain et solidaire.
La classe politique avait déjà perdu toute crédibilité mais aujourd’hui, avec l’émergence du citoyen comme premier acteur politique, elle a également perdu toute légitimité. Dépouillée de ses oripeaux et mise à nu, cette classe arrogante de pilleurs de nations se cache. Disparus, planqués, balayés, les notables, les ministres avec leurs gardes du corps armés jusqu’aux dents et leurs convois interminables de Mercedes et de Range Rover ! Ah si ! Au huitième jour de mobilisation, le général Michel Aoun est sorti de son silence pour indiquer aux Libanais que le régime demeure inébranlable, dans une intervention de quelques minutes péniblement préenregistrée – avec plus de 24 coupures et reprises ! –, soulevant des questions sur les capacités physiques et mentales du président de la République.
Cette véritable révolution pacifique et populaire rejette absolument tous les partis sans exception. « Tous, c’est-à-dire tous », scandent les foules. Mais sont-ils tous responsables ? Les ministres des Forces libanaises ont démissionné dès les premières heures des manifestations en solidarité avec le peuple libanais et, surtout, le parti Kataeb a quitté le gouvernement Salam depuis le 15 juin 2016, dénonçant justement un cabinet passé de « symbole de la continuité de l’Etat à symbole de l’érosion de l’Etat », avant de préciser qu’« ils ne se soucient que de faire passer leurs transactions suspectes ».
Alors pourquoi ce rejet de la part de la société civile ? Cette dernière se souvient sans doute que la révolution du Cèdre qui avait chassé l’occupant syrien en 2005 lui a été volée par cette même classe politique dont l’incurie avait alors été mise en lumière par l’échec de l’Alliance du 14 Mars divisée sur l’autel des intérêts partisans et de l’égocentrisme de ses ténors. Enfin, il faut comprendre que le Liban de l’intifada du 17 octobre souhaite faire table rase du système politique actuel avec l’abolition du régime confessionnel et l’instauration d’une IIIe République laïque et démocratique. Les partis traditionnels ne pourront survivre à ce tsunami qu’en mettant en œuvre immédiatement des réformes internes capables de convaincre le nouveau citoyen libanais qui est en train de naître sous nos yeux. •
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A quand une Intifada des peuples d’Europe ?