L'agence européenne a paralysé plusieurs sites internet de propagande jihadiste, et saisi des serveurs.
Europol parle d'une action "sans précédent". L'agence européenne de police a annoncé, ce vendredi 27 avril, qu'une offensive policière internationale avait permis de paralyser les principaux organes de propagande en ligne du groupe jihadiste État islamique (EI). "Nous avons porté un grand coup aux capacités de l'EI à propager sa propagande en ligne et à radicaliser les jeunes en Europe", s'est félicité dans un communiqué Rob Wainwright, le directeur d'Europol.
Dans le détail, Europol indique que des serveurs informatiques ont été saisis aux Pays-Bas, au Canada et aux États-Unis. Les polices ont également détecté et fermé des sites internet de propagande jihadiste hébergés en Bulgarie, en Roumanie et en France. En tout, plus d'une vingtaine de sites relayant notamment le contenu des agences de propagande Amaq et Nashir ont été fermés, explique Europol au HuffPost.
Pourtant, difficile de constater les conséquences concrètes de cette opération sur les canaux de communication traditionnels de Daech. Peu de temps après l'annonce d'Europol, l'agence Nashir communiquait via la messagerie cryptée Telegram, tout comme Amaq, qui a diffusé la vidéo (datée du jour) d'un attentat contre un convoi de l'armée égyptienne dans le Sinaï. Un rythme de publication soutenu et habituel.
#EI 11:51 la com tjrs fonctionnelle malgré l'annonce d'Europol qui a certes perturbé le processus via des serveurs qui ne sont pas irremplaçables pic.twitter.com/CKnT8EdVKm
— Wassim Nasr (@SimNasr) 27 avril 2018
#EI les 2 com Aamaq & standard, depuis l'annonce à 10h ce matin, concernent le 9e jour de combats à Qadam #Damaspic.twitter.com/TdbuyzaDwy
— Wassim Nasr (@SimNasr) 27 avril 2018
And #IS continues with high publication rathe today. Now 129th issue of newspaper al-Naba is released. pic.twitter.com/2IZTmiX4Zj
— Michael Krona (@GlobalMedia_) 27 avril 2018
"Le groupe EI continue de publier très régulièrement. Il diffuse maintenant le 129e numéro de son journal al-Naba"
Les réseaux sociaux, cœur de la "machine de propagande"
En s'attaquant à quelques sites internet et serveurs, Europol n'a en fait touché qu'une partie de ce qu'elle appelle la "machine de propagande" de Daech. L'agence n'a d'ailleurs pas visé, dans cette opération, ce qui constitue le cœur de l'arsenal de diffusion du groupe: les réseaux sociaux. C'est par ce biais-là, et notamment dans les "chaînes" de Telegram, qui lui permettent de diffuser des informations à ses abonnés, que Daech détaille ses faits d'armes et informe ses soutiens à travers le monde.
Le circuit de partage d'un contenu de propagande jihadiste, s'il fallait en définir un, commencerait plutôt par les réseaux sociaux, d'après Michael Krona, professeur à l'université de Malmö en Suède et spécialiste de la propagande jihadiste: "Généralement, les images de propagande sont d'abord envoyées sur Telegram en format vidéo. Puis, parfois des heures plus tard, elle peuvent être publiées sur plusieurs sites". Même chose pour le contenu de la radio de Daech, al-Bayan, visée par les sanctions d'Europol: le son est diffusé sur les réseaux sociaux via un lien renvoyant vers une page web. Les journaux, eux, peuvent être publiés en plusieurs morceaux, en images.
Pour Michael Krona, ce sont bel et bien les partisans de l'EI, toujours nombreux et toujours mobilisés, qui font une grande partie du travail de propagande du groupe en partageant ses contenus sur les réseaux sociaux. "L'action d'Europol a une grande charge symbolique, mais la propagande du groupe EI est plus qu'une question de sites et de serveurs", juge le professeur, interrogé par Le HuffPost. "Le terme de 'frappe' utilisé par Europol est trompeur".
La production toujours intense
En 2016, une première opération avait été menée contre l'application mobile Amaq et des "infrastructures web", rappelle Europol, avant de noter: "cette action avait forcé les propagandistes à construire une infrastructure plus complexe et sécurisée pour prévenir d'une perturbation future des autorités". En 2017 encore, la Guardia civil espagnole, les États-Unis et Europol avaient saisi des serveurs en lien avec la propagande jihadiste.
"À chaque fois, Daech trouve de nouveaux moyens, de nouveaux serveurs, de nouveaux sites", explique Michael Krona. Le groupe s'adapte. Au point qu'il serait "encore plus difficile aujourd'hui de déjouer ses stratégies" d'expansion sur Internet. Il parvient par exemple ponctuellement à passer au travers du radar de Youtube, qui a pourtant mis en place un gendarme censé supprimer instantanément les contenus de Daech, en enrobant le début et la fin de ses vidéos d'images neutres (comme un écran noir) ou en les publiant en "non-répertoriée" (pour les rendre accessibles uniquement par lien).
L'opération n'aura qu'un "effet ponctuel", abonde Wassim Nasr, journaliste à France 24 et auteur de "État islamique, le fait accompli". Tant que le groupe pourra créer du contenu de propagande, ce dernier pourra être partagé par tous les canaux dont dispose le web. "Tant qu'il y a du contenu, le moyen de diffusion est accessoire", analyse-t-il. Pour affaiblir la propagande de Daech, il faut donc viser la source, la production.
Ce spécialiste des réseaux jihadistes décrit des "réseaux inondés" par un "contenu à profusion", produit de manière toujours aussi intense par Daech. "La production de contenu ne demande pas beaucoup de moyens, on ne parle pas de fond vert et de studio. Elle est délocalisable à volonté", souligne-t-il, à l'heure où l'on insiste sur les pertes territoriales du groupe jihadiste en Irak et en Syrie.
"On les surveille de très près"
En frappant des serveurs et des noms de domaine à travers le monde, l'action d'Europol aura toutefois permis de perturber, même pour une durée limitée, les organes de propagande de l'État islamique. Elle aura surtout permis d'identifier des soutiens actifs du groupe à travers le monde. En 2017, les serveurs saisis par la Guardia civil espagnole avaient livré les noms de personnes radicalisées venant de plus de 100 pays, selon Europol.
Lucide sur les conséquences à long terme de l'opération révélée vendredi, l'agence européenne prévient toutefois qu'il pourrait s'agir d'un avertissement: "Daech a d'autres canaux pour faire sa propagande. Ils essaieront de reconstruire une infrastructure. Mais on les surveille de très près".
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