Les chars de la démocratie ?

Christian Vanneste
Président du RPF, député honoraire

Une révolution, çà commence toujours par la prise de la Bastille et çà se termine aussi par Bonaparte lorsque son cycle complet s’achève. Comme dit le personnage du Guépard, il faut que tout change pour que tout demeure comme avant.

L’Egypte est un pays fascinant : une des trois ou quatre plus anciennes civilisations humaines, avec des sommets à chaque étape de son histoire, si diverse sur le fond d’une identité géographique aussi constante. Des Pharaons à Méhémet Ali, le fondateur de l’Egypte moderne, cet allié de la France, que celle-ci n’a pas suffisamment soutenu, ce pays a aligné de grandes époques marquées par des différences culturelles considérables. Elle a été grecque avec les Lagides d’Alexandrie, romaine, l’un des berceaux les plus féconds du christianisme après Saint-Marc, terre d’élection des Fatimides chiites et aujourd’hui encore avec l’université d’ Al-Azhar, référence intellectuelle et spirituelle de l’Islam sunnite. C’est ce riche passé qui explique la diversité d’un pays apparemment doté d’une forte identité. Malgré les pressions exercées sur eux durant des siècles, les Coptes, ce qui signifie les Egyptiens, sont demeurés chrétiens : ils sont entre 6 et 8 millions sous la houlette de leur Pape Tawadros II, auxquels il faut ajouter notamment 350 000 orthodoxes d’Alexandrie et plus de 200 000 coptes catholiques. Le conquérant de Jérusalem, Saladin est à la fois une référence pour les musulmans, mais aussi pour les nationalistes arabes, de Nasser au parti Baas de Saddam Hussein et des Assad. C’est en Egypte qu’Hassan El-Banna a fondé les Frères Musulmans en 1928 et qu’en 1952 eut lieu le premier coup d’Etat militaire inspiré par le nationalisme arabe… mais aussi égyptien, en l’occurrence. Or le retour à l’Islam et le nationalisme sont les deux forces qui agissent au sein du monde arabe depuis les années 30. La naissance d’une démocratie à travers le Printemps Arabe risque bien de n’avoir été qu’un mirage occidental provoqué par le choc de ces deux éléments. Le nationalisme lié au rôle de l’armée s’est effondré à la suite des échecs militaires face à Israël, et en raison de la compromission des gouvernements avec les Etats-Unis, de leur corruption, de la résistance apparemment plus efficace des groupes para-militaires islamistes, et enfin du développement d’une action humanitaire et sociale des religieux soutenus par l’argent des monarchies pétrolières. Sans approfondir les liens étranges des royaumes alliés aux Etats-Unis avec les pires ennemis d’Israël, comme le Hamas, on peut constater que ces facteurs ont abouti aux révolutions arabes et à l’arrivée au pouvoir des islamistes dans plusieurs pays. Ce renversement s’est accompagné d’une démocratisation de la vie politique au travers d’élections convenables mais contredite par un éloignement de la conception occidentale de l’Etat de Droit avec des pressions pour instaurer la charia. Surtout, les deux pays qui ont connu une révolution et non une guerre civile sont ouverts sur le monde et ont un besoin vital de tourisme. Le repli musulman et les maladresses des gouvernements d’origine confessionnelle ont déçu les populations sur le plan social. C’est ce qui explique le retour de l’armée, ciment de la Nation, et sur laquelle repose paradoxalement aujourd’hui, selon certains, l’espoir de l’avènement de la démocratie.

En 1991, le gouvernement nationaliste algérien appuyé sur l’armée avait suspendu des élections qui amenaient les islamistes au pouvoir. Une féroce guerre civile avait suivi et le régime actuel a rétabli un ordre relatif qui n’est pas une démocratie au sens où nous l’entendons. On ne doit pas écarter un risque semblable pour l’Egypte. Le coup d’Etat militaire est d’abord la reprise du pouvoir par l’oligarchie en place auparavant. Certes, elle semble bénéficier du soutien d’une partie très importante de la population et offre le grand mérite de garantir l’avenir des Chrétiens dans le pays, contrairement à ce qui se passe en Irak, mais elle interrompt un processus démocratique et songe sans doute avant tout à préserver ses intérêts. C’est pourquoi il faut faire preuve de prudence. Il est probable que dans un « Orient compliqué », la démocratie n’aura jamais le visage qu’elle peut avoir dans les pays occidentaux. La volonté d’alimenter la guerre civile syrienne par l’envoi d’armes dont les Chrétiens seront les premières victimes, avant qu’on ne les retourne contre des soldats français, est une folie. L’intérêt de l’Occident et de l’Europe en particulier est d’entretenir avec le sud et l’est de la Méditerranée des relations économiques et politiques positives. Le développement de cette région du monde est nécessaire à notre propre croissance et à l’arrêt d’une immigration de moins en moins nécessaire et supportable. Si nous voulons que le fantasme sarkozyste de l’Union Pour la Méditerranée redevienne un jour crédible ( c’est quand même un fantasme avec un siège à Barcelone), il faut avant tout que la paix et l’ordre règnent dans les différents pays qui en forment la partie sud. Cela ne peut se faire que dans l’équilibre entre le patriotisme propre à chacun d’eux et indispensable à l’existence de nations, sans lesquelles il n’y a ni peuple, ni démocratie et une religion apaisée qui ne rêve ni d’imposer la charia ni de conquérir le monde.

Christian Vanneste

 

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