Michel Garroté - Olivier d'Auzon est écrivain, juriste, consultant auprès de la Banque mondiale et auteur du livre "Le grand échiquier de Poutine". Il a tout récemment publié une analyse intitulée "2017 devrait être l'année de la Russie" ; analyse à la fois non-conformiste et pertinente (notamment en ce qui concerne le Proche et le Moyen Orient), dont je publie ci-dessous des extraits adaptés.
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Olivier d'Auzon (extraits adaptés ; voir lien vers source en bas de page) : Theresa May, Donald Trump et François Fillon partagent l'idée qu'il convient de renouer diplomatiquement avec Moscou. Et il y a plus, les cartes du Moyen-Orient sont rebattues par le spectaculaire retournement de la situation en Syrie en faveur du régime de Bachar El-Assad. De fait, en septembre 2015, les rebelles syriens, aidés par les Occidentaux, les pétromonarchies du Golfe et la Turquie croyaient pouvoir s'emparer de Damas. Mais l'intervention russe a sauvé in extremis le régime et permis la reconquête d'Alep, la seconde ville du pays. Dès lors, les Russes se substituent aux Américains comme grande puissance de référence dans la région. L'idéalisme moralisateur comme masque d'un interventionnisme rapace a fait des ravages qu'on ne peut plus ignorer.
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Plus personne ne nie aujourd'hui les conséquences de la mauvaise définition des ennemis et des alliés puis de l'identification erronée de la menace par une Amérique privée de contre-pouvoir. Son hyper puissance arrogante a été préjudiciable à l'équilibre mondial. Au Moyen-Orient, la Russie a désormais beaucoup d'atouts dans son jeu, alors que les Occidentaux y sont affaiblis, constate Jean-Dominique Merchet dans L'Opinion. Moscou parle avec les acteurs essentiels : la Turquie, l'Iran, l'Égypte, Israël. Grâce à son intervention militaire, Vladimir Poutine est en position de force et il cherche manifestement une issue politique. Celle-ci devra ménager les intérêts de chacun, l'Iran notamment. Dans cette situation, il serait inconscient de souhaiter un échec du président russe au nom de nos rancœurs. Pour l'heure, les Russes ont marginalisé les Américains, ces derniers qui peinent à « soutenir sans soutenir » les djihadistes et essayer de maitriser leur allié turc indocile.
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Les Russes dominent le front diplomatique et cherchent à réunir autour d'eux un panel crédible et représentatif de la diversité syrienne pour un processus politique qui débouchera sur des élections et surtout sur le maintien de l'unité syrienne même dans l'hypothèse d'une structure étatique fédérale. A l'inverse, au Quai d'Orsay, au lieu de s'insérer dans cette approche pragmatique, on persiste à criminaliser Vladimir Poutine, à parler d'Assad comme du bourreau unique de son peuple, à minorer le soutien populaire au régime de Damas pour accréditer l'idée qu'on pourrait, de l'extérieur, imposer un casting représentatif qui pourtant a sombré sans équivoque dans le discrédit et en est lui-même réduit à proposer « de parler avec la Russie » pour ne pas quitter tout à fait la scène. Et la guerre continue. Dans ce contexte, "Il faut choisir. On ne peut pas continuer simplement à s'indigner", tranche François Fillon. "Les Européens ne sont pas responsables des crimes commis en Syrie, mais un jour, l'Histoire dira qu'ils sont coupables de n'avoir rien fait pour les en empêcher".
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À ce titre, la libération d'Alep, est un tournant non seulement militaire mais aussi psychologique. Moscou, est de facto l'arbitre du jeu diplomatique face à une Amérique en retrait et à l'orée d'un changement de président à Washington. Aujourd'hui n'est–il pas urgent de changer de logiciel et cesser de croire que l'islamisme radical n'est pas soluble dans la pensée occidentale ? Le recul des djihadistes à Alep n'est en effet que la manifestation d'une déroute militaire globale, et d'un rapport de forces russo-américain où Washington perd pied. Même John Kerry dans sa déclaration de Bruxelles du 6 décembre 2016, à l'occasion de la réunion des ministres des Affaires étrangères de l'OTAN, semble jeter l'éponge. Etant entendu qu'il est dorénavant apparemment convaincu que le renversement du régime syrien et l'éclatement du pays sont inéluctables. Et c'est ainsi qu'il cherche habilement à dédouaner l'Amérique d'un soutien aux mouvements rebelles radicaux devenu indéfendable et surtout sans issue.
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La rivalité Washington-Moscou restera vive, au moins jusqu'à l'entrée en fonction de Donald Trump le 20 janvier 2017. Alep est tombée sous les coups de canons de Bachar El-Assad ? Il n'en est rien. "Alep n'est pas tombée, Alep est libérée". "Si vous ne le croyez pas, vous devriez venir ici et voir de vos propres yeux les gens fêter sa libération. Comment pouvez-vous dire qu'Alep est tombée ? "s'exclamait il y a peu un Alepin. Dans la même veine, Peter Ford, ancien Ambassadeur de la Grande–Bretagne en Syrie de 1999 à 2003, déclarait à la veille de Noël 2016 sur les antennes de la BBC: "Ecoutez, ce soir, il y a un sapin de Noël et des festivités au centre d'Alep. Je pense que si Assad était renversé et que l'opposition était au pouvoir, vous ne verriez pas de sapin de Noël à Alep. La diabolisation du régime a pris des proportions grotesques. Dans ce contexte, "La chute d'Alep a affaibli la position de négociation de l'opposition syrienne et de ses alliés", notamment les pays du Golfe, qui "devraient s'engager sur la voie d'un règlement politique car une solution militaire est devenue plus que jamais improbable", confie Ibrahim Fraihat, analyste et professeur au Doha Institute for Graduate Studies.
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Maintenant, "le défi pour les pays du Golfe, ce n'est pas Assad lui-même, mais la nouvelle alliance entre la Russie, la Turquie et l'Iran", indique Matthieu Guidère. Selon Abdulkhaleq Abdulla, professeur de sciences politiques émirati, la Turquie est en effet passée du camp qui cherchait à renverser M. Assad au camp qui souhaite son maintien. "Ceux qui avaient parié sur une alliance Turquie-Arabie-Qatar ont perdu". L'arrivée au pouvoir en janvier 2017 aux Etats-Unis de Donald Trump pourrait encore plus modifier la donne pour les pays du Golfe. "Les Saoudiens et d'autres savent que, sous le président Trump, la dérive occidentale vers Assad va s'accélérer", estime l'expert Neil Partrick, un autre spécialiste du Golfe. "Cela veut dire l'abandon de l'objectif d'un Etat client syrien, dominé par des sunnites, où l'Arabie saoudite rivaliserait ensuite avec les Turcs et les Qataris". Et "si l'Arabie saoudite était sage, elle enverrait des signaux à Assad maintenant, comme les Turcs et les Egyptiens l'ont fait" récemment.
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Chemin faisant, on s'interrogera tout à la fois sur la portée de l'assassinat de l'Ambassadeur russe en Turquie, le 19 décembre 2016 et sur l'attentat revendiqué par l'EI commise contre une discothèque d'Istanbul pendant la nuit du nouvel An 2017. Ce dernier pourrait signifier au président Erdogan qu'il ne peut impunément jouer sur tous les tableaux. De fait, la Turquie s'est en effet longtemps impliquée dans la déstabilisation du régime syrien, avant de reconnaître officiellement à la fin de l'été dernier, que Bachar El-Assad était un interlocuteur sinon légitime du moins incontournable. Avec cet attentat, Ankara est en passe d'expérimenter les limites de son jeu très habile de son positionnement acrobatique entre Moscou et Washington, souligne judicieusement Caroline Galactéros. La Turquie a simplement fini par devoir admettre qu'elle pèserait plus, y compris vis-à-vis de Washington, dans une alliance avec la Russie - qui s'est imposée comme principal décideur du futur syrien- que contre elle.
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Face à ce réalisme froid, nous restons malheureusement intellectuellement sidérés et sans rebond. Nous avons manifestement le plus grand mal à comprendre l'ampleur du bouleversement stratégique en cours. Un bouleversement mondial dont le Moyen-Orient n'est que l'un des théâtres d'expression. Au-delà des enjeux régionaux, cet acte tragique est la rançon du succès global de la Russie, revenue dans le jeu international à la faveur de son implication militaro-diplomatique efficace en Syrie, confie Caroline Galatéros. Pour l'heure on soulignera volontiers que la Turquie et la Russie se sont entendues sur un accord de cessez-le-feu qui est entré en vigueur le 28 décembre 2016. Cet accord devrait être la base des négociations politiques entre le régime et l'opposition que Moscou et Ankara souhaitent organiser à Astana, au Kazakhstan.
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De fait, selon le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, les préparatifs aux négociations de paix sur le règlement du conflit syrien doivent avoir lieu prochainement à Astana, à l'initiative de la Russie. "Nous commençons avec les Turcs et les Iraniens à préparer la rencontre à Astana", a-t-il indiqué, alors qu'Ankara et Téhéran ont affiché leur volonté d'être avec Moscou des garants d'un accord de paix entre le régime syrien et l'opposition qui pourrait être conclu à Astana. Ne nous en déplaise, Vladimir Poutine est le seul à pouvoir faire en sorte que "les armes se taisent" en 2017. Dans le même temps, le prix du baril de pétrole va continuer de remonter et permettra à la Russie de surmonter la terrible crise économique.
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Et peut-être même que les sanctions contre la Russie seront abandonnées, par les Etats-Unis, si Donald Trump tient ses promesses de campagne, ce qui pourrait aussi animer un François Fillon réputé pro-russe et hostile aux sanctions s'il arrivait aux affaires. Pour toutes ces raisons : la remontée du baril de pétrole, le virage majeur en Syrie, ou encore le reset de Donald Trump/Fillon avec Moscou – et la nomination annoncée de Rex Tillerson comme futur Secrétaire d'Etat à Washington, 2017 devrait être l'année de la Russie, pronostique Alexandre Del Valle, auteur de "Les vrais ennemis de l'Occident", conclut Olivier d'Auzon (fin des extraits adaptés ; voir lien vers source en bas de page).
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Introduction & Adaptation de Michel Garroté pour https://lesobservateurs.ch/
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http://www.huffingtonpost.fr/olivier-d-auzon/2017-devrait-etre-lannee-de-la-russie/?utm_hp_ref=fr-homepage
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L’etat islamique a été démantelé et à quel prix ! C’est déjà inespéré…La politique destructrice de l’OTAN va peut-être faire place à une action globale plus cohérente dans la lutte contre l’islamisme. Bien que l’alliance entre Erdogan et Poutine puisse paraître pas très convaincante et précaire… D’un point de vue européen, on reste inquiet : le terrorisme ne se limitant pas aux confins de l’ex état islamique. Quel sera l’impact de ces jeux de puissances en Europe…Pour nous, tout reste incertain avec la montée de l’islamisation qui est devenue aussi un problème européen.