Faux bons du trésor US: une vieille histoire!

Jean-Pierre Béguelin
Jean-Pierre Béguelin
Economiste et chroniqueur au Temps
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La Mafia italienne - ou une de ses familles – s’est fait confisquer une masse importante de faux bons du Trésor US, des obligations fédérales américaines en d’autres termes. Et ces faussaires voyaient grand: il y en aurait – excusez du peu – pour 6000 milliards (!?) de dollars, soit presque la moitié de la dette fédérale actuelle, et ce, sous forme de bons émis en 1934. Pourquoi 1934, il y a près de 70 ans de cela? C’est à première vue très étrange, un peu comme si des faux-monnayeurs s'efforçaient de reproduire avec minutie une série de billets retirés depuis longtemps de la circulation! Car, comme le gouvernement américain ne s’endette pas sur plus de 30 ans – et encore ses échéances ne dépassaient pas les 10 ans avant les années 1970 – il y a belle lurette que les emprunts qu’il a émis en 1934 ont été remboursés ou sont tombées en désuétude pour les papiers qui n’auraient pas été présentés au remboursement.

Dévaluation du dollar

Dans tous les cas, cette affaire paraît surréaliste… mais c'est alors que tout m’est revenu à l’esprit: …1934… bons du Trésor US…mais bien sûr… comme le disait le héros d’une antique série télévisée française. C’est en fait un canard connu dont l’histoire est amusante et vaut la peine d'être contée. En 1934, soit au milieu de la Grande Dépression et après quelques mois d'hésitation depuis son investiture en mars 33, Franklin Roosevelt prend deux mesures monétaires importantes: il dévalue le dollar en faisant passer son prix officiel de 202/3 à 35 $ l’once d’or d’une part et, d’autre part, il interdit aux résidents US de détenir du métal jaune, sauf évidemment sous forme de bijoux. Les Américains doivent donc apporter à leur banque l’or qu’ils possèdent et on leur paye en billets ou en créditant leurs comptes bancaires.

Un problème se pose alors pour les non-résidents qui détiennent physiquement du métal jaune aux Etats-Unis, soit dans leurs coffres à la banque, soit sous forme de pièces de 10$ et de 20$, pièces qui sont encore très populaires et qui eu cours légal jusqu’au printemps 1933. Pour ceux qui n'ont pas de compte à la Réserve fédérale de New York – où les autorités monétaires étrangères peuvent déposent leur or et le conserver – le Trésor américain leur remet une reconnaissance de dette, souvent d'un montant très élevé car ce papier n'était pas destiné à circuler, garantissant à son détenteur d'être remboursé au pair en dollars sous forme de billets ou de dépôts équivalents à la banque centrale US.

Cour des Miracles financières

Leurs bénéficiaires sont presque toujours des États émergents de l’époque, surtout l’Éthiopie, le seuls pays africain totalement indépendant d’alors. De tels papiers se sont alors retrouvés dans les mains – privées ou publiques, on ne sait, la distinction n’était pas très claire alors – du monarque abyssin. Il reste qu’après toutes ces années et moult péripéties, certains de ces titres fabuleux existeraient toujours – ou du moins la légende le proclame au point d’engendrer des faux – dont ceux qui auraient été en possession du Négus. Comme ces titres n'ont pas d'échéance et sont toujours valables en apparence, leur sort agite périodique­ment cette cour des Miracles financière, pleine de conseillers un peu louches mais aux titres ronflants, qui grouille autour des gens fortunés ou supposés tels. En général, ces intermédiaires demandent qu'une banque endosse ces papiers mirobolants ou, du moins, accorde un prêt gagé sur ceux-ci dont les vrais « ayant-droits », comme par hasard mal vus à Washington, ne peuvent se faire rembourser directement. Et bien leur en prend, car même s'ils essayaient de le faire, ils se feraient débouter fissa vu que ces bons du Trésor émis en 1934 dans des conditions si particulières ont été officiellement démonétisés à la fin de la Deuxième guerre mondiale et leur contrepartie créditée au compte de la banque centrale nationale soit à la Réserve fédérale de New York, soit au FMI.

Ces papiers n'ont alors plus qu'une valeur historique bien loin des sommes déjà coquettes qu’ils valaient à l’époque, mais certainement pas l’astronomique montant de 1 milliard de $ comme sur les faux qui viennent d’être saisis. Il est ainsi fort étonnant qu'une famille mafieuse, souvent bien renseignée, se soit mise à imiter aussi bien que possible des valeurs sans valeur, même si c’était pour escroquer une banque suisse car l’affaire est connue des spécialistes compétents, comme l’ambassade américaine à Rome vient d’ailleurs de le confirmer. Il est aussi piquant, et sans doute révélateur de certaines moeurs judiciaires transalpines, qu'un juge italien se soit fendu d’un communiqué triomphal – il aurait sauvé le monde financier du chaos – pour avoir démantelé une coquille vide.

A la demande de Roosevelt

À moins que certains espéraient voir la justice américaine forcer le Trésor à rembourser, ne serait-ce qu’une fraction des titres échus, en essayant de refaire le coup des dollars-or 1933 dit de St-Gaudens. C’est le nom sous lequel sont connues les pièces d'or régulièrement frappées par la Monnaie américaine depuis 1910 et dont l’étampe originale avait été gravée par le grand sculpteur Augustin St-Gaudens à la demande du président Théodore Roosevelt. Or, la dernière série de St-Gaudens produites en février 1933 n’a jamais été mise en circulation vu l'embargo sur l'or imposé dès son investiture par l’autre Roosevelt, Franklin de son prénom. Quelques exemplaires de ces pièces sont toutefois sortis, on ne sait trop comment, des coffres fédéraux de Philadelphie, volés sans doute par des employés de la Monnaie. Depuis lors, le Trésor américain en a repris quelques-unes, mais il n'a pu récupérer la dernière qui est réapparue, faute de pouvoir prouver que celle-ci lui avait été dérobée, et cette unique pièce-or St-Gaudens estam­pil­lée 1933 a été vendue plus de 2 millions de dollars, il y a quelque 10 ans, un record.

Pour la petite histoire, remarquez qu’un épisode semblable est arrivé en Suisse. Quand, dans les années 1950, la Monnaie fédérale a frappé pour la BNS des pièces d’or – jamais mises en circulation par la suite – de 50 francs, elle a pu, grâce à la précision de son travail, en produire deux de plus que prévu. Ces deux exemplaires uniques ont été remis en souvenir au Conseiller fédéral en charge des Finances de l’époque et qui était en train de quitter son poste. À la mort de ce dernier, ses héritiers, trouvant dans ses affaires deux pièces d'or atypiques, sont venus les rapporter à la BNS. Haute précision et grande honnêteté… typiquement helvétique, me direz-vous… oui, mais c'était il y a plus de trente ans.

Un commentaire

  1. Posté par Pierre-Henri Reymond le

    Article bien ficelé! La preuve? Je n’y pige que dalle! Par contre il vient à point nommé pour vous fourguer ce que j’ai à l’esprit! Hier, ou un peu avant, j’ai entendu parler de la dette privée, en corollaire de celle des états! Et ça, la dette privée, je comprends mieux! Je la vois partenaire de l’obsession de la croissance! Combien de femmes désabusées n’ai-je pas vu dans une Porsche achetée à crédit pour sauver la désuétude du rêve? Pour nier le réel! Ce disant je revois les dessins exaltants de la famille américaine heureuse. Dans “better homes and gardens” par exemple. En 1953. On s’emmerde ensemble, mais on sera enfin heureux en se conformant à l’image! Mais la belle image foire! La voiture est saisie. On la retrouve dans un marché d’occasions, à plus de 50000 francs! A portée de crédit! La valeur du carrosse reste inscrite dans les comptes de la banque! Pourtant il manque quelque chose! J’avoue ne pas comprendre! Pourtant les valeurs de mon grand-père demeurent ancrées dans mon intelligence. Un truc tout bête, tel que “qui paie ses dettes s’enrichit”. Mais aussi, et surtout, l’honnêteté! La fidélité. Et la confiance! Sans laquelle rien ne peut être bâti.
    J’apprends qu’on spécule sur le défaut de paiement d’un pays, et que l’on s’enrichit ainsi! Comment est-ce possible? Je ne sais pas! Faut-il légiférer? C’est fait depuis longtemps! Qui se souvient de la remise des dettes chaque sept ans? C’est dans la Bible, dans la Thora! Laquelle qui, tenant compte de l’homme tel qu’il est, mentionne qu’il ne faut pas faire trainer dans le but de profiter de la relâche! Ce qui est un paradoxe! Car. envisageant la malhonnêteté elle suppose la droiture! Ceci dit, je suis un plouc, j’en conviens! Mais comment ne pas l’être en face du mystère de l’argent?

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