Eh bien tant pis si ce propos choque et va à l’encontre du politiquement tellement correct chanté à l’unisson depuis quelques semaines. Il n’est de mots que pour prôner la transparence. Les personnalités publiques devraient tout dire sur leur patrimoine, jusqu’au dernier centime. Leur vie privée devrait être un livre ouvert à tout venant. Certains journalistes s’en délecteraient encore davantage plutôt que de lire leurs classiques qui leur offriraient pourtant un peu de culture.
La sphère intime, la confidentialité, la discrétion sur les éléments personnels et financiers, tout cela jeté aux orties. Enfin de la pureté. Eh bien cette évolution a autant de défauts que de qualités. Des effets pervers sont à redouter. Combien de fois l’enfer des hommes a-t- il été produit par des porteurs de bonnes intentions.
Et mettons jusqu’au bout les pieds dans le plat. Le secret bancaire attaqué, laminé, en partie moribond n’était-il que l’outil permettant à des gens riches, largement des clients étrangers, de fuir leurs fiscs inquisiteurs ! Ce n’est pas jouer les enfants de cœur que de rappeler que le secret bancaire était lié à une notion de protection de la sphère privée financière nullement dénuée de valeur. Et si, sans aucun doute, il y a beaucoup plus de tentation d’évasion fiscale en France et ailleurs qu’en Suisse, comment ne pas y voir aussi une nature bien différente des rapports entre le citoyen-contribuable et l’Etat ; à commencer par le fait que le citoyen suisse peut voter sur la grille des impôts. C’était déjà le rassurant Antoine Pinay, ministre français des finances dans les années 1950, qui disait qu’il avait su restaurer la confiance et que des capitaux français étaient revenus en nombre. Ce n’est évidemment pas l’équipe de François Hollande qui va réussir cet exploit. Leur seule arme est la menace et le bâton.
Quant à l’hypocrisie des pays anglo-saxons, Etats-Unis en tête, elle est incroyable. Les instruments financiers sophistiqués et opaques, les trucs habiles et compliqués, où les trouve-t-on sinon dans certains coins et recoins anglo-américains.
Mais laissons cela et revenons à l’inquiétude principale. On veut remplacer la perte de confiance envers les Etats par un surcroît d’Etat fouineur et punisseur. Est-ce un avenir prometteur pour nos sociétés que cette relation malsaine entre les individus et l’Etat ? Est-ce vraiment un progrès lorsque tout un chacun et les médias peuvent tout savoir, à tous égards et en tous domaines sur des personnalités publiques ? Est-ce un bienfait que de favoriser la pause exhibitionniste chez les uns et le goût du voyeurisme chez les autres ? Le Danemark, la Suède, les Etats-Unis, puisqu’on en parle, sont-ils vraiment des modèles à suivre complètement ?
Bien sûr ceux qui ont abusé, provoqué , choqué ont une lourde par de responsabilité dans ce qui arrive. Quelques banquiers de l’UBS et d’ailleurs ont plus fait contre notre secret bancaire que les attaques venues de l’étranger. Toutefois, on est en droit de se demander si tout cela ne fait pas dériver nos sociétés vers une sorte d’uniformité, de platitude où les personnes existeraient de plus en plus dans leur image et le regard des autres ; de moins en moins dans leur conscience et leur profondeur intime. Car ce que l’on salue comme un pas vers la morale s’inscrit en fait dans un ensemble que l’on ferait bien d’analyser complètement. Il faut que des hommes et des femmes soucieux de préserver la liberté, l’autonomie, la conscience et la responsabilité de la personne, ainsi que le respect que l’on doit à sa sphère intime aient une parole assez libre pour critiquer ce mouvement déshumanisé vers une transparence tous azimuts.
Jacques-Simon Eggly
La transparence, la glasnost, était un produit du communisme pourrissant. Ne l’oublions jamais.