Hommes, femmes et enfants font l’objet de représentations diverses, mais aujourd’hui elles s’égalisent. Tous sont des êtres humains, point-barre. Peut-il encore y avoir des hommes, des femmes et des enfants dans ces conditions ? L’homme peut-il encore devenir un homme sans une femme ? La femme peut-elle encore devenir femme sans l’homme ? Le bon sens nous dit que non mais le bon sens est aujourd’hui la chose du monde la moins partagée. Avec le mariage gay, la GPA, la PMA, les deux pôles de la féminité et de la masculinité sont devenus obsolètes. Ils semblent en tout cas l’être devenus pour avoir des enfants et également pour une autre naissance, celle de l’amour. Dire cela, ce n’est pas condamner les homosexuels. Que deux hommes ou deux femmes s’aiment, cela s’est produit dans toutes les sociétés et à toutes les époques. Mais cela n’a jamais été banalisé comme aujourd’hui.
Cette banalisation est devenue le signe d’une émancipation devant permettre aux individus d’être ce qu’ils sont. Autrement dit, ce qui se cache derrière la promotion de l’homosexualité ou de la théorie du genre, c’est beaucoup plus que ce qui se montre. C’est la promesse d’un monde nouveau, un grand supermarché des désirs et des besoins, un glissement dans un individualisme où chacun choisit ses partenaires selon ses pulsions et impulsions ? Si nous n’avons plus à n’être que ce que nous sommes, sans ces passions qui nous arrachent à nous-mêmes, l’amour se réduira à des frottements. Au royaume de l’émancipation, plus d’hommes et de femmes qui s’aiment, ni même d’hommes qui aiment des hommes ou des femmes qui aiment des femmes, seulement des frottements ! Derrière la question de l’homosexualité ou du genre s’en profile une autre, autrement plus importante, celle de savoir si nous ne serons pas emportés par un fort courant vers un royaume étrange. Celui où chacun n’aurait plus qu’à se mouvoir sur un grand échiquier pour maximiser harmonieusement ses jouissances sous la haute direction d’une grande cour mondiale des droits de l’homme. Ou plutôt, comme je viens de dire, un grand supermarché offrant aux besoins et désirs le plus large éventail de possibilités. Mais pas toutes ! On ne voit pas comment, dans un tel supermarché, on trouverait de la fidélité. Ou de l’infidélité d’ailleurs ! Bref, ce serait un monde plat, unidimensionnel dirait Marcuse, où tout s’équivaudrait. De ce monde, la publicité nous parle tous les jours. Pas besoin de faire un dessin.
Ne nous leurrons pas. Nous sommes entraînés dans un soi-disant courant émancipateur aussi puissant que les courants des grandes marées. Nous nous sommes mis à croire qu’il suffit de se débarrasser de toute morale et de toute religion pour être libre. Cette émancipation, conduite à son terme, nous transformerait en choses peut-être aptes à forniquer et à travailler mais pas plus.
De puissants courants d’émancipation nous emportent donc vers d’étranges rivages. Nous y serons, nous dit-on, si purifiés que chacun sera compatible avec tous. Plus de « clash des civilisations » ! De ces puissants courants, nous ressortirons si lessivés que nous serons réduits à notre plus petit commun dénominateur, reproduction et production avec, pour les homosexuels, reproduction par des utérus artificiels déjà planifiés par de « grands intellectuels » comme Henri Atlan. La production de bébés sera détachée du corps de la femme. On attend avec impatience l’aube de cette nouvelle ère où la chair féminine sera enfin détachée de l’horrible servitude de la grossesse. De même attendons-nous avec impatience que la production de lait soit détachée du corps des vaches et, surtout, de ces bouses qu’elles flaquent à terre. A terme, tout sera produit sans corps vivant, sans la lourdeur des chairs, sans la puanteur des défécations, bovines ou non. L’art moderne nous a annoncé cette nouvelle ère avec des peintures où il n’y a plus de corps même si, par ailleurs, cet « art » reste généreux avec le « caca » comme Jean Clair l’a fait observer.
L’esprit du temps est tel que l’homme est considéré comme un produit – de l’ADN, de son milieu, de ce qu’il absorbe. Qu’est-ce qu’une vache ? Une chose qui produit du lait et c’est tout. Peu importe qu’elle rumine dans un pâturage ou défèque sous elle dans une ferme à mille vaches ! Qu’est-ce que l’homme ? Une chose qui a une force de travail et c’est tout. Certains employeurs paieront plus que d’autres pour acquérir cette force de travail, d’autres moins. Au travailleur de vendre sa marchandise au plus offrant ! Une vache ne se dirigerait-elle pas vers une ferme à mille vaches parce qu’elle pourrait y vendre son lait à un meilleur prix que sur un pâturage ? Même chose pour les hommes : ils se dirigeront vers les pays où ils peuvent vendre leur force de travail au plus offrant. C’est ce qui se passe avec les migrants parce que nos pays chevrotants ont besoin de leur force de travail. Sans la moindre vergogne, des dirigeants européens disent vouloir accueillir les migrants parce que nous manquons de main d’œuvre sur le Vieux continent. Ils ont même le culot d’invoquer les droits de l’homme pour se justifier, alors que s’ils savaient un tout petit peu ce qu’est un homme, ils n’oseraient le réduire ainsi à sa force de travail.
Karl Marx a très bien décrit cette évolution de la société vers une ferme à mille vaches, au propre ou au figuré, une « ferme » où l’homme n’existe qu’à proportion de sa capacité à vendre sa force de travail. Mais lui, Marx, dénonçait cette manière de voir l’homme comme une chose à exploiter dans un appareil productif. Nous, non !
L’utilisation de la force de travail des migrants se fait sous le vernis d’une moraline humanitaire. Marx avait aussi dénoncé cette moraline humanitaire en parlant d’idéologie, mais aujourd’hui cette moraline n’est plus dénoncée. Une sommation nous est quotidiennement imposée : pleurez sur le sort des malheureux ou, comme disait Frantz Fannon, les damnés de la terre. Les migrants sont des gens malheureux et fuient leurs conditions de vie. Chez nous, ils seront heureux parce qu’ils pourront s’intégrer dans nos systèmes de production pour y connaître le bonheur. Une vache qu’on ne trait pas souffre – un homme dont on n’extrait pas la force de travail souffre aussi. Mais si on l’exploite, tout sera pour le mieux dans le meilleur des mondes. Même qu’il s’y épanouira dans ce monde ! Je n’aime pas le marxisme, mais certains jours je me prends à le regretter.
Le message subliminal de la modernité nous dit donc que tout ce que nous avons à faire ici-bas est de bien fonctionner, message pudiquement recouvert par un ensemble de vertueux principes permettant à ceux qui les énoncent de se lustrer sous le soleil d’une justice éternelle. Mais cette énonciation ne change rien au fait que l’être humain est maintenant considéré comme une chose dont toute la destination est de produire et de s’intégrer dans le meilleur des mondes, comme l’a dit Angela Merkel dans son pathétique discours du 1er janvier 2016. Que le migrant soit homme ou femme n’y change rien. Lorsqu’est né le féminisme je me demandais s’il n’était pas le prélude à l’embrigadement des femmes dans nos grandes machines à produire. Aujourd’hui je ne me le demande plus. Nous sommes tous embarqués dans un grand mouvement vers une production et consommation universelles. Les migrants aussi, sauf que leurs embarcations sont loin d’être aussi confortables que les nôtres.
On me répliquera que nous avons des droits, du droit, un État de droit. Tout cela empêcherait l’homme d’être réduit à une chose fonctionnant dans des appareils à produire et à se reproduire. C’est vrai, mais j’ai des doutes car les droits, qu’ils soient de l’homme ou de l’État, ne fournissent pas une digue solide contre ces grands élans qui emportaient hier les hommes vers un homme nouveau ou aujourd’hui vers un homme réduit à ses fonctions élémentaires. Au 19ème siècle Tocqueville parlait d’une inondation démocratique où élever des digues ne sert qu’à noyer ceux qui les élèvent.
Ainsi peut-on craindre que droits de l’homme, de la femme, de l’enfant, ne servent finalement qu’à mieux les faire disparaître tous les trois. Du haut de nos balcons où flottent les drapeaux de ces droits, nous verrons peut-être s’engloutir ce que nous voulions protéger : la femme, l’homme, l’enfant et l’amour. Nos balcons aussi seront engloutis !
Jan Marejko, 3 jamvier 2016
Belle envolée. Sauf que l’actualité nous livre une réalité légèrement différente. Les hordes d’envahisseurs mahométans vont continuer à déferler sur le vieux continent, et les déviants qui s’évertuent à obtenir une légitimité ressemblent furieusement à ces touristes qui, le nez dans le sable, ramassent des coquillages là où la mer s’est retirée sans réaliser qu’un gigantesque tsunami va bientôt les engloutir tous autant qu’ils sont.
Pas une semaine ne s’écoule sans qu’une information ou un article ne me renvoie à la Bible. C’est le cas de cet article de Jan Marejko. Jan dont le propos fait écho à la traduction offerte par André Neher de l’épisode de Babel, dans un chapitre de son livre : « de l’hébreu au français » (éditions Klinksieck, Paris, 1969). En voici un extrait.
« Le malheur, c’est que l’humanité, dans sa totalité, était d’ un seul bord et vivait une seule hstoire.
De la dériva le second malheur : les hommes se désorientaient et, ayant découvert une profonde crevasse dans la vallée où s’étaient amoncelés les morts du déluge, ils décidèrent de s’y installer.
Ils s’adressèrent alors la parole l’un à l’autre, en traitant chacun l’autre comme un objet. « Notre objectif commun : des briques et leur fabrication au four, sans autre finalité que celle des briques et de leur fabrication ! » Quant à la méthode, elle consista à substituer la brique artificielle à l’élément physique naturel, et le mortier fabriqué de main d’homme à la glaise périssable.
Ils poursuivirent ensuite leur discours objectif, disant : « pour nos besoins collectifs nous allons construire une ville et une tour ; son chef aura son siège au ciel. Nous fabriquerons ainsi notre propre représentation de la divinité, écartant de nous la nécessité impérieuse de nous refléter dans les visages de l’humanité entière ».
Je tais la conclusion, très positive, et qui n’a rien à voir avec le fait que mes amies de Bangkok parlent le thaï. Et je me retire sur la pointe des pieds, laissant intact le champ de chacun. Le champ de l’imaginaire et des possibles.
Quoi que… Il me semble bon de signaler une caractéristique passionnante de l’hébreu ! Les voyelles s’y trouvant au dessus ou au dessous du texte, les consonnes ressortent avec netteté Ce qui fait qu’on y voit des relations entre père, fils, construire, paille et brique.
En complément : Le capitalisme dans ses oeuvres par Paul-Craig Roberts :
http://www.comite-valmy.org/spip.php?article6705
Merci infiniment Monsieur Marejko. Bonne et heureuse année à vous.