Enfin un livre de fond[1] sur la Confrérie des Frères musulmans ! On le doit à un jeune chercheur égyptien Chérif Amir, qui non seulement maîtrise la langue, l’histoire et la bibliographie du sujet, mais s’engage aussi sur le terrain, au-delà de la seule recherche universitaire, pour nous embarquer dans une enquête passionnante, importante et quasiment inédite.
Depuis 1928, date de sa création, le mouvement des Frères musulmans n’a cessé de comploter pour prendre le pouvoir en Egypte afin d’y imposer une idéologie réactionnaire et sectaire. L’histoire de la Confrérie s’enracine dans l’obsession du jeune imam Hassan el-Banna rêvant de reconstruire le califat islamique disparu quatre ans plus tôt, avec la chute de l’empire ottoman. De fait, le programme politique des Frères musulmans se réduit à reproduire à l’identique la première ère de l’Islam ; à faire revivre l’esprit du jihad (de ses formes plus modérées aux plus radicales, postulant la lutte armée) et à soumettre le monde à la bannière du Coran, selon les préceptes de son idéologue principal : Sayyed Qotb.
Et pour atteindre ses visées stratégiques, les tactiques employées par les Frères musulmans « ont toujours été machiavéliques », nous dit Chérif Amir : « ils ont d’abord réussi à convaincre le dernier monarque de l’Egypte - le roi Farouk 1er -, de leur fidélité, tout en faisant de même avec le colonel Nasser, auprès de qui ils mirent en avant leur popularité parmi les Egyptiens, si bien que celui-ci, sur les conseils d’Anouar al-Sadate, devint l’un des leurs. Toutefois, le mouvement ne sut préserver de bonnes relations avec le père du panarabisme, parce que les disciples d’al-banna voulurent à tout prix réaliser leur but ultime : gouverner l’Egypte et restaurer le califat ».
Anouar al-Sadate, qui parvint au pouvoir en 1970, peut être considéré comme le « grand sauveur » des Frères. Il libéra tous les activistes de la Confrérie qui avaient été emprisonnés par Nasser. C’est ainsi, avec l’aide des subsides des princes saoudiens, que s’est opérée une importante « délocalisation » de la Confrérie dans l’ensemble du monde arabo-islamique, en Asie, en Afrique, mais aussi en Europe… Les factions jihadistes égyptiennes - à l’image du Groupe islamique et du Mouvement du jihad islamique -, ont pu ainsi prospérer et servir de modèle aux groupes terroristes des Philippines, du Yémen, du Maric, de Tunisie ou d’Algérie. Les professeurs d’Oussama Ben La den et surtout son bras droit Ayman al-Zawahiri sont de purs produits de la Confrérie des Frères musulmans. Ces derniers servent aujourd’hui de référence principale aux idéologues de Nosra, de Dae’ch, de Boko-Haram, ainsi qu’aux Shebab somaliens…
L’enquête de Chérif Amir « démasque » et déconstruit méthodiquement l’idéologie, la stratégie et la diplomatie de cette secte inquiétante. Au-delà du rôle protecteur de Sadate, finalement assassiné par ses « protégés », on mesure toute l’inspiration et la fascination exercées par Adolf Hitler et l’idéologie des corporations du fascisme italien sur les cadres « fréristes ». On comprend mieux pourquoi, dès le milieu des années cinquante, les administrations américaines - qu’elles soient républicaines ou démocrates -, ont adoré, soutenu et instrumentalisé les activistes de cette secte. « Là où vous avez des Frères », explique un responsable d’un service arabe de renseignement, « vous n’avez pas de nationalistes, de syndicalistes et de communistes. Les mômes vont de la mosquée au McDo et l’économie libérale et néolibérale peut prospérer en toute tranquillité et au mieux des intérêts économiques américains. Les Frères ont été les voyageurs de commerce du Pacte de Bagdad (1955) destiné à endiguer l’expansion du nationalisme arabe, à l’époque allié à l’Union soviétique… Les services secrets américains ont considéré que les Frères pourraient incarner le moment « thermidorien » des mal nommées « révolutions arabes ». Après le fiasco du président Morsi (cadre de la Confrérie), ils n’ont pas compris que la secte nourrirait - comme elle l’avait fait pour Al-Qaïda -, d’autres bêtes immondes comme Nosra et Dae’ch ».
Mais le livre d’Amir est encore plus précieux dans la déconstruction de la « diplomatie » de la secte et de ses méthodes d’entrisme et de noyautage des pouvoirs politiques, économiques, intellectuels et culturels. Considérés comme les trotskystes de l’islam politique, les Frères n’ont de cesse que de flatter, de côtoyer et de s’imposer auprès de toute personne détenant une quelconque parcelle de pouvoir ! Sur ce point précisément, il suffit de lire et relire le manuel d’influence de Saïd Ramadan[2] pour comprendre son principal enseignement : avancer masquer ; parler religion dans le débat politique et parler politique dans le débat religieux en invoquant toujours les droits de l’homme, le pluralisme et la démocratie… Aujourd’hui encore, les idéologues de la secte veulent nous vendre une espèce de « théologie de la libération » versus islam, au nom des principes et des faiblesses des vieilles démocraties témoins…
Imposture totale et paravent d’une idéologie totalitaire en pleine expansion. Et qu’on y prenne bien garde : la lutte contre cette hydre mortifère ne peut se réduire aux « guerres anti-terroristes », devant aussi apporter des réponses pertinentes et opérationnelles sur les plans économiques, sociaux, intellectuels et culturels.
Avec le livre de Chérif Amir, les chemins sont strictement, sinon scientifiquement balisés et l’imposture définitivement démasquée… A lire absolument !
Richard Labévière, 14avril 2015
[1] Chérif Amir : Histoire secrète des Frères musulmans. Editions Ellipses, février 2015.
[2] Islamic law, its scope and equity, 1961.
On les voit en Tunisie ,avec leur double langage,du temps où ils gouvernaient avec leurs acolytes,ils faisaient la guerre à tous militants de gauche,et aux féministes.ces jours-ci ,après leur mise sur la touche,ils ont faient un virement de 180degrés,en déclarant qu’ ils ne sont pas contre l’homosexualité
“L’histoire de la Confrérie s’enracine dans l’obsession du jeune imam Hassan el-Banna rêvant de reconstruire le califat islamique disparu quatre ans plus tôt, avec la chute de l’empire ottoman. ”
—
–> Hassan el-Banna qui est, il faut le rappeler, le grand-père de Tariq et Hani Ramadan !