PHILIPPE BARRAUD
La presse mondiale a monté son pilori et ses gibets, où pendent des fraudeurs du fisc – certains mais pas d’autres – pour le plus grand plaisir des masses. La délation serait-elle devenue une activité noble?
Appartenir à la caste supérieure des “journalistes d’investigation” doit être grisant. Dans les rédactions, une sorte d’aura entoure ceux-ci, qui se voient parfois comme des justiciers de Far-West, libres de clouer au pilori qui bon leur semble, selon leur seul bon plaisir. Swissleaks – et précédemment, Luxembourgleaks et quelques autres – donne aux médias un pouvoir soudain exorbitant. Et donc, ce pouvoir grisant conduit inévitablement à des dérapages.
L’affaire Swissleaks suscite un certain malaise. Et si les rédactions s’en donnent à cœur joie, si certains journalistes se la pètent complaisamment au micro de leurs confrères admiratifs, le simple citoyen se demande si c’est bien le rôle de la presse de remplir des tâches dévolues à l’Etat, surtout lorsque c’est l’Etat lui-même qui, en sous-main, mandate ladite presse pour faire ce gros boulot de compilation et, hélas, de délation.
Mais bien sûr, les questions éthiques ne se posent pas: la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale, c’est le Bien; ne pas vouloir se faire tondre par le fisc, c’est le Mal, puisque le fisc a toujours raison, et que les impôts ne servent – en doutiez-vous? – qu’à financer le bien commun, les écoles, les crèches, les routes, les allocations familiales…
On retrouve le même alignement idéologique qu’avec l’opération Je suis Charlie. Celui ou celle qui prétend s’en écarter – comme notre consœur Myret Zaki, qui sauve l’honneur dans Bilan – prend le risque d’apparaître suspect, voire complice des fraudeurs. On est en plein dans l’avertissement de Ludwig Harig, lorsqu’il écrivait Malheur à qui danse hors de la ronde1.
Myret Zaki a des mots durs, mais justes: “Journalisme d’investigation commandé ? Le gouvernement français, qui a déjà inculpé HSBC Suisse pour démarchage illicite et blanchiment de fraude fiscale, se fait généreux au point d’offrir en pâture à la presse mondiale les informations qu’il a préalablement nettoyées et rendues lisibles pour le confort des journalistes. Le travail des journalistes qui se sont plongés dans ces données des semaines durant mérite certes respect et louanges. Mais il faut s’interroger plus loin. D’abord, ce n’est pas de l’investigation. Le terme plus approprié serait certainement «data journalisme». Ensuite, le problème de ces opérations coordonnées, c’est que la presse impliquée en devient uniforme, parle d’une seule voix, présente les faits à l’identique, et l’esprit critique se perd quelque part dans la masse des gigaoctets. On reçoit des données prêtes à l’emploi ? Alors on tape sur la cible sans se poser de questions.”
Il est assurément nécessaire que l’on mette au jour les canaux de financement du terrorisme, ou ceux du blanchiment de la drogue. Et on s’étonne que l’Etat, français en l’occurrence – qui dans cette affaire agit en receleur puisqu’il a acheté les données volées par l’employé félon Falciani – n’ait pas mobilisé ses juges dans ces affaires. Mais de là à assimiler des artistes et des artisans, évadés fiscaux chez HSBC, au crime organisé, il y a un pas. Que malheureusement, les médias franchissent allègrement.
Même si 45 journalistes se sont attelés à ce travail de data mining, aucun n’a manifesté la moindre trace d’esprit critique, n’a pris le moindre recul face à l’opération menée par les politiques avec leur complicité. Personne ne s’est demandé pourquoi les artistes et les artisans sus-nommés ont fuit la fiscalité de leur pays. Normal, hélas: dans l’idéologie socialisante qui fonde la presse moderne, le fisc ne peut pas avoir tort, il ne peut pas être confiscatoire, puisqu’il incarne le bien commun: le fisc a toujours raison.
Le principal reproche éthique que l’on peut faire à nos valeureux “journalistes d’investigation”, c’est de jeter des noms en pâture à une opinion publique qui certes en redemande, mais cela moins par besoin de transparence, que pour des nécessités de marketing. La manière dont le rédacteur en chef de L’Hebdo a vendu son numéro à paraître, lors d’un débat sur La Première, était indécente. La démarche est d’autant plus condamnable qu’elle répond à des critères cachés – qui mériteraient peut-être quelques leaks: qui a été épargné, et pourquoi? Qui a expurgé les listes? Pourquoi dénoncer celui-ci, et pas celui-là, sachant que cette mise au pilori suffit largement à briser une carrière? Ainsi, les journalistes pourront dire: “On s’est fait Gad Elmaneh, ouééé!”
Le président du Conseil de surveillance du journal Le Monde, Pierre Bergé, n’a pas caché son désaccord face à ce qu’un de ses collègues qualifie de “Maccarthysme fiscal”: “Je ne veux pas comparer ce qui se passe à des époques passées mais quand même, la délation, c’est la délation. C’est jeter en pâture des noms. Cette histoire me met mal à l’aise. Il faut proscrire évidemment la fraude fiscale et punir les fraudeurs. Est-ce le rôle d’un journal de jeter en pâture le nom des gens ? C’est du populisme. C’est fait pour flatter les pires instincts”.
Tout cela est inquiétant. Au fond, nos médias se moquent de la presse russe, mais ils font exactement la même chose: ils se mettent au service de l’Etat – le fisc en l’occurrence -, font le travail de l’administration, et disent ce qu’on leur demande de dire; ils se chargent de la propagande officielle, sans même se demander si elle n’est pas critiquable quelque part; et ils proclament une vérité, qui n’est pas LA vérité.
Cette opération rapportera sans doute quelques milliards supplémentaires au fiscs français et américain, soit par une série de condamnations, soit par des “régularisations” spontanées. Mais au-delà ? Comme ces pays sont dramatiquement mal gérés sur le plan financier, ces ressources ne seront qu’une goutte d’eau dans un océan de déficits et de dettes; et comme la mauvaise gestion va continuer, il faudra alors trouver autre chose. Tout comme les candidats à l’évasion fiscale trouveront autre chose, faut-il le dire!
En attendant, on aura sérieusement renforcé le populisme ambiant, et plus que jamais la haine des riches, et donné des lettres de noblesse à une pratique qui ne les mérite aucunement: la délation.1) Harig, Ludwig: Malheur à qui dans hors de la ronde. Belfond, 1993.
Extrait de: Source et auteur
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1. HSBC est un banque anglaise comme ubs est un banque Suisse.
2. le monde est un journal de doctrine socialiste, comparable à la pravda a l’époque de l’ URSS.
3. Le voleur des fichiers est un criminel.
4. les fichiers ont passé entre toute les mains des divers administrations et Services des administrations Française et certains Milieux proche des politiques aux pouvoir qui ont eu tout loisirs en 6 ans d’effacer,
modifier, ajouter, duplifier, distribuer à leur guise les informations. Et maintenant des rambos journaleux, plus clean que Monsieur propre, Robin Hoods, Batman et aussi honnête que soeur Theresa viennent comme des juges suprêmes nous dire la seul VRAI vérité, certifiée par les scellés des syndicats et du parti socialiste.