On le sait depuis hier : le tribunal administratif de St-Gall a confirmé une décision du Département de l’intérieur du même canton de mentionner à l’état civil qu’un enfant était né de deux pères. Cette violation flagrante du droit suisse sur laquelle nous allons revenir devrait être justifiée par « le bien-être de l’enfant ». L‘affaire étant assez singulière et les confusions, totales, nous nous proposons d’essayer de démêler l’écheveau.
Les faits, tels qu’ils sont rapportés par le Matin du 26 août
Première étape :
Deux hommes, partenaires enregistrés en Suisse, désireux d’avoir un enfant, s’adressent à un centre de procréation médicale assistée en Californie qui, moyennant sans doute un coût dont personne ne parle, fournit des ovules d’une femme anonyme, les imprègne du sperme d’un de ces messieurs, implante l’oeuf ou l’embryon, on ne sait pas, dans l’utérus d’une mère porteuse. A la naissance de l’enfant, la porteuse et son mari refusent – comme convenu – de se charger de l’enfant. L’Etat de Californie délivre un certificat de naissance précisant que l’enfant a pour pères les deux partenaires enregistrés. Pas de mère, évidemment.
Commentaire personnel et juridique: à ce stade du processus, les partenaires domiciliés en Suisse ont violé le droit suisse à trois reprises : le droit suisse interdit la procréation médicalement assistée aux partenaires enregistrés (art. 28 de la loi sur le partenariat enregistré), il interdit le don d’ovule et tout commerce de matériel germinal humain ainsi que le recours aux mères porteuses (art. 119 de la constitution fédérale).
Ajoutons, pour être bien claire, que, en Suisse, « La procréation médicalement assistée est subordonnée au bien de l’enfant » (art. 3 de la loi sur la procréation médicalement assistée). Sachant l’importance que peut avoir le bien de l’enfant, on doit se demander si, à ce stade du processus, les « pères » enregistrés en ont au moins tenu compte.
On notera qu’ils ont, en recourant à un don d’ovules anonymes, privé l’enfant à naître de toute possibilité de connaître jamais sa véritable origine biologique. Cette privation, indépendamment du droit fondamental de tout être humain de connaître son origine, enlève peut-être aussi à l’enfant la possibilité de connaître l’existence d’une maladie ou d’une faiblesse congénitale contre laquelle on devrait pouvoir prendre des mesures. Le « bien de l’enfant » est ainsi gravement bafoué.
A cette violation du bien de l’enfant s’ajoute le fait que les « pères enregistrés » lui imposent de se développer dans un « ventre » dont la propriétaire s’est déjà engagée à ne pas vouloir de lui dès qu’il sera né. Si l’on sait l’importance – reconnue scientifiquement aujourd’hui – de la relation mère-enfant pendant la grossesse déjà, on peut affirmer qu’il y a, dans le recours à une mère porteuse, un risque volontairement admis, de priver l’enfant de la richesse de ce lien affectif durable. Le « bien de l’enfant » est ainsi une nouvelle fois bafoué. En outre, l’enfant est traité comme un vulgaire cobaye que l’on suivra pendant son développement pour voir s’il semble ou non avoir souffert de ces différents procédés.
1ère conclusion : à ce stade du processus, on peut constater que les deux « pères enregistrés » se sont éperdûment moqués du « bien de l’enfant ». Ils voulaient satisfaire leur phantasme personnel d’enfant. On relèvera qu’une telle attitude est aussi parfois celle de personnes hétérosexuelles.
Deuxième étape :
Revenant en Suisse, les deux partenaires enregistrés veulent faire inscrire la naissance de l’enfant et leur qualité de « pères » à l’état civil.Comme cet acte de naissanceétabli à l’étrangerconstate qu’un enfant est né « sans mère » et a deux pères, ce qui est totalement contraire au droit suisse, l’officier d’état civil ne peut évidemment reconnaître l’acte étranger. Il refuse l’inscription. Recours des pères au Département de l’intérieur du canton de St-Gall, autorité de surveillance, qui, au nom du « bien-être » (ce qui équivaut au « bien ») de l’enfant, accepte l’inscription. Recours de l’Office fédéral de la justice au tribunal administratif de St-Gall, qui confirme la décision du Département, toujours au nom du « bien – être » de l’enfant. Un recours de l’Office fédéral reste possible au Tribunal fédéral. On ne sait encore s’il aura lieu.
Commentaire personnel et juridique : La notion de « bien de l’enfant » est une notion fondamentale en droit suisse comme en droit international. C’est évidemment une notion imprécise qui nécessite une interprétation. Il importe donc à ce stade de se demander si la décision prise par le Tribunal est conforme au bien de l’enfant et si une décision différente, respectueuse du droit suisse, le serait aussi.
Le bien de l’enfant par rapport à la décision prise :
En reconnaissant à l’enfant une filiation avec deux pères à l’état civil, l’autorité cantonale prétend lui assurer une bonne protection en lui accordant deux parents responsables tant économiquement que sur le plan de l’éducation etc….Elle permet en outre aux « deux pères » de continuer à s’occuper de l’enfant. Mais ce faisant, elle protège toutes les violations susmentionnées du droit suisse, incite à de telles violations, se moque donc totalement du respect du droit de l’enfant, tel que nous l’avons décrit plus haut, et tel que le peuple suisse veut encore à ce jour le protéger de manière très étendue. Il y a là un premier abus de l’autorité qui considère qu’une petite poignée de juges (3 ? 5 ?), sait mieux ce qu’est le bien de l’enfant que 246 parlementaires qui ont planché sur le sujet pour élaborer la loi, voire que le peuple et les cantons qui ont voté la constitution. Ce phénomène totalitaire est hautement inquiétant et le bien de l’enfant ne peut qu’en souffrir comme le bien de la population en général.
Ajoutons qu’en inscrivant à l’état civil que l’enfant a deux pères, l’autorité fait de cet enfant, pour tous ceux qui connaîtront cet acte, une sorte d’ « être anormal », puisque personne ne peut naître de deux pères. On ne se préoccupe pas un seul instant de l’intérêt de l’enfant à ne pas avoir un état civil totalement bizarre.
Mais il y a pire encore. La décision concernant cet état civil « anormal » a été prise sans que les intérêts de l’enfant aient été le moins du monde représentés. C’est en effet une règle fondamentale du droit suisse que de prévoir qu’aucun parent ne peut représenter son enfant dans une affaire où il peut y avoir conflit d’intérêt. Or il est évident que le « père biologique » qui se prétend reconnu père juridique par une inscription illégale à l’état civil a un intérêt qui peut être différent de celui de l’enfant à avoir un état civil « légal ». Si l’autorité saint-galloise avait été le moins du monde respectueuse du bien de l’enfant, elle aurait dû lui désigner un curateur pour le représenter face à son « père ». Cette violation du droit de l’enfant par l’autorité n’est évidemment pas conforme à son « bien-être ».
Ce qui est important à ce stade, c’est surtout de constater que si l’autorité avait respecté le droit, elle aurait pu prendre une décision parfaitement conforme au bien de l’enfant, quoique différente. En effet, le respect du droit par l’autorité aurait pu conduire à une solution pleinement harmonieuse, comme on va le voir.
La solution légale et le bien de l’enfant : Celui qui veut faire reconnaître un certificat de naissance établi à l’étranger et contraire au droit suisse peut aussi bien être un « voleur » d’enfant – et cela existe – qu’un père « honnête » qui a vraiment fourni le sperme et veut donner à cet enfant tout l’amour et tous les soins dont il a besoin. Une autorité responsable doit opérer un certain nombre de vérifications pour s’assurer que l’enfant n’est pas « volé » et que le père est réellement tel. Puisque l’enfant ne peut pas être inscrit à l’état civil, il a le statut d’un enfant « trouvé » ; l’autorité doit lui désigner un curateur/tuteur capable de faire valoir ses droits et le « placer ». Il peut parfaitement être placé dans une famille soumise à une surveillance. Dans la mesure où l’homme qui se prétend le père a l’air crédible, l’enfant peut être placé auprès de lui, ce qui lui permettra de lui prodiguer les soins nécessaires et ce, avec l’aide de la personne avec laquelle il vit (ici, son partenaire enregistré). Le curateur devra établir la filiation de l’enfant, donc vérifier sa paternité biologique qui, ici, sera facilement prouvée par une analyse ADN. Le père étant alors constaté, il pourra être inscrit à l’état civil et l’enfant pourra rester avec lui en toute légalité. On ne voit pas en quoi son « bien-être » aurait souffert de ces vérifications nécessaires à sa protection et à la clarté de son état civil.
Quant au partenaire enregistré du père, il a, en tant que tel, les droits et les devoir que la loi sur le partenariat lui octroie (il peut notamment représenter le père dans l’exercice de son autorité lorsque les circonstances l’exigent : art. 27 de la loi). S’il veut assurer une meilleure protection financière à l’enfant, il peut aisément conclure avec son père un contrat d’entretien en sa faveur, lui octroyer des droits dans un testament, prendre une police d’assurance décès sur deux têtes pour que l’enfant soit soutenu financièrement en cas de décès, bref, le « bien –être » de l’enfant peut être parfaitement assuré par une application fidèle du droit suisse par les autorités responsables.
Conclusion finale
Dans ces circonstances, on ne peut que se demander si la violation systématique et inutile des règles de droit suisse par les autorités sous le pseudo-prétexte du « bien-être » supérieur de l’enfant n’a pas été un moyen choisi, peut-être même de mèche avec les « pères » tricheurs, pour créer un fait accompli et forcer la main au législateur dans le sens de l’acceptation de la double paternité ou de la double maternité de couples de même sexe. On se serait servi de l’enfant pour satisfaire les désirs des adultes. En outre, cette décision concerne deux problèmes différents : d’une part, le commerce d’enfants, à toutes sortes de tarifs, en relation avec les dons d’ovules, d’embryons, de sperme ainsi qu’avec la location des ventres des mères porteuses, problème qui peut concerner aussi bien les personnes homosexuelles que les hétérosexuelles ; d’autre part, la possibilité ou l’impossibilité d’avoir deux parents de même sexe à l’état civil, donc également l’adoption par des couples de même sexe. Il est essentiel que chacun des problèmes soit traité séparément et sous l’angle exclusif du bien de l’enfant. Ce bien est menacé et bafoué dans les deux cas, mais ce n’est pas toujours de la même manière ni par les mêmes personnes. On peut concevoir que quelqu’un soit d’accord avec l’adoption de l’enfant du partenaire et même avec l’adoption conjointe par des partenaires de même sexe et refuse totalement les dons d’ovule et les mères porteuses. Il faudra donc être très attentif à bien distinguer les deux questions. La décision saint-galloise est malheureusement un exemple de la confusion dans laquelle certaines personnes espèrent maintenir la population pour mieux faire passer leurs phantasmes d’enfants.
Suzette Sandoz, 27 août 2014
Remarquez que dans le cas d’une GPA au profit d’un homme et d’une femme qui sont les deux parents biologiques le mensonge vis à vis de l’enfant est plus subtil et plus difficile dénouer pour l’enfant cherchant à savoir d’où il vient.
En effet, étant les parents biologiques et étant les parents qui élèvent l’enfant, ils vont probablement considérer être tout à fait les parents, père et mère.
Or, symboliquement ces parents sont deux pères car la mère symbolique est la femme qui porte l’enfant.
La vraie mère, la mère porteuse, est niée et de plus elle est prostituée au sens étymologique de ce mot.
Je partage entièrement les positions de Mme Sandoz ainsi que le commentaire de M. de Rougemont.
La lecture de l’article du Matin m’avait créé un malaise et une réflexion sur la plupart des mêmes arguments que Mme Sandoz, mais sans la précision de cette dernière.
Par contre, j’y trouvais un argument apparemment simple mais qui me semble des plus basique : des juges sont ainsi capable de décider qu’un enfant est le « produit » de deux pères. Serait-ce le début d’une nouvelle génétique (avec des risques de dérives « à la Lyssenko » qui voulais coller au dogme stalinien) ou alors une nouvelle branche de créationniste à la nouvelle mode ?
Mais cela est grave et fait craindre le pire si la justice (qui ne mérite plus la majuscule) devient supérieure à toutes les sciences alors autant fermer les écoles et les cours qui les portent. Et c’est le début d’un nouveau totalitarisme qui vit « hors sol » et en dehors des droits politiques des citoyens suisses.
A quand un nouveau Molière pour s’en moquer des juges qui veulent nous faire marcher sur la tête …
… et une personnalité politique pour leur barrer la route car il ne faut pas oublier que beaucoup de politiciens (de gauche mais pas que) veulent limiter ces droits fondamentaux et créer un filtrage des initiatives ; et ils rêvent aussi d’une prochaine cour constitutionnelle.
Ce jour-là, la Suisse sera définitivement alignée sur l’EU et pourra ensuite être dissoute dedans.
Brillante analyse!
Le tout procède de ce sentiment rampant de “droit à avoir donc à posséder un enfant” comme s’il s’agissait d’un droit à la propriété.
Les parents “naturels” ont aussi de telles tendance, les parents “biologiquement impossibles” l’ont presque toujours.
Le “bien de l’enfant” peut servir toutes les absurdités après qu’on les a commises (ce que ces homos St. Gallois ont vraisemblablement fait sciemment). C’est quasiment imparable.