Label affaire

 

En soutenant une initiative visant à distinguer les médias qui respecteraient les règles du journalisme des autres, le président Macron s’attire les foudres de la presse conservatrice. Labelliser les informations ou les opinions est toujours une mauvaise idée.


Fidèle à lui-même, le président Macron vient donc de nous concocter une toute nouvelle usine à gaz. Toxique le gaz, en l’occurrence en raison du fort remugle de censure qui accompagne la géniale trouvaille.

La formidable idée qu’il vient de nous sortir de son chapeau de clown consisterait ni plus ni moins à attribuer un label de qualité aux organes d’information, à leurs équipes éditoriales et à leurs productions. Un peu comme pour le calendos des verts pâturages et le plat-de-côtes made in Limousin.

Médiatiquement correct

Subtil, le fin penseur tient cependant à rassurer les foules : ce n’est pas l’État qui estampillerait mais « les professionnels de la profession » eux-mêmes. Donc une sorte de comité de la bien-pensance, du médiatiquement correct. Recrutés sur la base de quels critères, ces beaux esprits, et œuvrant en fonction de quelle grille de lectures ? Voilà ce qu’on ne sait pas encore.

Ce que nous savons pertinemment en revanche, c’est l’aveu de faiblesse, l’aveu de détresse qui se cache derrière ce genre de diablerie, dernier refuge, dernière marotte des pouvoirs en perdition. Ces pouvoirs en faillite n’ont en effet plus guère qu’un seul ennemi à redouter : la vérité. La vérité de ce qu’ils sont, de ce qu’ils font, de leurs échecs, de leurs médiocrités, de leurs compromissions. Alors, on flingue. On flingue la vérité et ceux qui osent prétendre la porter.

Un mot sorti de la bouche du président sonne comme un aveu en la matière. Aveu terrifiant. Il qualifie les médias et les confrères qui le défrisent de « dissidents ». Le mot même qu’employaient les dirigeants communistes de l’URSS et leur valetaille du PCF pour désigner les Soljenitsyne, les Kasparov, les Amalrik, les Lioudmila Alexeïeva et tant d’autres…Oui, quel aveu ! Quel pitoyable aveu !

La patrouille bien-pensante à la rescousse

Volant au secours de cette nouvelle avancée présidentielle, d’aucuns se réfèrent à un label déjà existant, la certification ICJ, en française Initiative pour la confiance dans le journalisme, dont l’ONG Reporters Sans Frontières (RSF) serait à l’origine. L’idée remonterait à 2018. Ce sont des cabinets d’audit tels que Veritas ou Deloitte qui feraient office d’arbitre, et non l’État, tient-on à préciser. En France, 17 médias sont à ce jour certifiés, cela va, nous révèle Patrick Cohen dans une récente chronique de France Inter, de TF1 au Réveil du Vivarais. On s’en doute, sa propre antenne est du lot.

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La démarche en soi ne manque certes pas d’intérêt, sauf que la question de fond reste entière : selon quels critères précis l’accréditation est accordée ou non, et par qui sont désignés ceux qui les édictent, jugent de leur application, qui est garant de l’indépendance des arbitres ? Questions qui évidemment se posent avec une certaine acuité puisqu’on nous apprend que, à ce jour des médias de cent vingt-sept pays de par le monde ambitionneraient d’obtenir ce label, cent vingt-sept pays dont on ignore bien évidemment si la conception et la législation d’État en matière de liberté de la presse, liberté d’expression, liberté tout court, sont équivalentes aux nôtres. Une ironie facile serait de laisser entendre que le fait que les ondes de M. Cohen brillent particulièrement dans ce classement ne serait pas forcément de nature à rassurer sur la fiabilité « déontologique » de l’entreprise. Passons. 

J’évoquais l’écœurant remugle de censure que le président se plaît à agiter avec ce projet qui ne serait donc pas le sien, mais celui de cette fameuse ONG, RSF, dont, cela soit dit en passant, souligner l’engagement idéologique ne saurait lui faire injure.

Cependant, que le président soit remercié pour une chose au moins, car, car tenant ces propos, il nous permet de nous replonger dans ce que la tradition intellectuelle française a pensé et dit par le passé de cette saloperie politique et mentale qu’est la censure.

Voici deux citations, juste pour la route.

Celle-ci, de mon référent de prédilection, Beaumarchais, dans Le Mariage de Figaro : « Pourvu que je ne parle en mes écrits ni de l’autorité, ni du culte, ni de la politique, ni de la morale, ni des gens en place, ni des corps en crédit, ni de l’Opéra, ni des autres spectacles, ni de personne qui tienne à quelque chose, je puis tout imprimer librement, sous l’inspection de deux ou trois censeurs. »

Et cette autre, de Gustave Flaubert, tirée de sa correspondance avec Louise Colet : « La censure quelle qu’elle soit me paraît une monstruosité, une chose pire que l’homicide. L’attentat contre la pensée est un crime de lèse-âme. La mort de Socrate pèse encore sur le genre humain. »

Une confidence pour finir. J’aurais beaucoup aimé livrer sur ce sujet une réflexion de Mme Aya Nakamura, si bien en Cour ces temps-ci (Un long sujet lui était notamment consacré au 20 h de France 2 ce dernier dimanche), mais n’en ayant trouvé aucune, j’ai dû renoncer. J’en suis fort chagrin. Je tiens à préciser les choses afin qu’on n’aille pas m’accuser d’avoir éventuellement, si peu que ce soit, censuré cette grande dame.


Elisabeth Lévy, ce matin au micro de Sud radio : « C’est inutile et dangereux ! »

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