La victoire, de justesse, du parti de centre-gauche D66 aux Pays-Bas et le net recul du parti populiste de Geert Wilders ont accrédité l’idée d’un retour à la normale après une longue « tentation populiste ». Qu’en est-il vraiment si on regarde les résultats de plus près et si on les replace dans la moyenne durée de la vie politique néerlandaise? Laquelle n’est pas sans rappeler, mutatis mutandis, certaines évolutions françaises.
Si les résultats officiels des élections néerlandaises du 29 octobre dernier ne seront proclamés que vendredi 7 novembre, les choses sont désormais claires : au terme d’un scrutin très serré entre le PVV populiste de Geert Wilders et les D66 progressistes de Rob Jetten (26 sièges chacun), c’est ce dernier qui ressort comme vainqueur du scrutin par le nombre de voix.
Ces élections ont suscité un intérêt modéré en France, à la différence de celles de 2017 qui ont eu lieu juste avant les scrutins nationaux français et de celui de 2023 marqué par une soudaine et puissante poussée populiste (37 sièges pour le PVV). La tonalité dominante dans nos médias a été celle du soulagement devant le net recul de ce dernier (-11 sièges) et la victoire de D66 (+17). Il n’en fallait pas plus pour que les commentaires évoquent un « recul de l’extrême droite », un « retour à la modération », un « résultat réconfortant pour l’Europe » (dont D66 est un fervent partisan), avec d’évidentes arrière-pensées dans la perspective de 2027.
Fragmentation du paysage politique
Qu’en est-il vraiment ?
Les enseignements d’ensemble du scrutin amènent à relativiser d’abord la victoire de D66, qui n’a recueilli que 18% des voix dans une extrême fragmentation du paysage politique : 27 partis concourraient au suffrage dont 15 ont eu des élus ; jamais le vainqueur n’avait recueilli moins de 20% des voix. Et c’est cette fragmentation, amplifiée par le scrutin proportionnel intégral, qui est la première caractéristique de l’évolution politique des Pays-Bas depuis une vingtaine d’années, interdisant les scores (au-delà de 40 sièges) auxquels étaient habitués naguère les grands partis.
Force persistante de « la droite de la droite «
La seconde est que « la droite de la droite » n’a de fait connu aucun recul : les trois formations classées comme « radicales » aux Pays-Bas (« d’extrême droite » en France) rassemblent en effet 42 sièges dans la nouvelle chambre, soit 1 de plus que dans la précédente. Le recul de Wilders masque le bon score du Forum voor Democratie, aux positions plus radicales que le PVV sur l’Europe et sur l’immigration et qui refuse tout soutien à l’Ukraine comme à Israël ; et surtout celui de JA21, une scission du Forum, passée de 1 à 9 sièges, et qui se présente comme « libérale et conservatrice » en adoptant une position plus modérée que les deux autres formations sur tous les sujets.
Droitisation continue et déclin historique de la gauche
Autre tendance de fond, la droitisation continue du pays, que montre l’addition des droites libérale, religieuse et populiste : 71 sièges sur 150 et 45% des voix.
Inversement, la gauche poursuit son déclin historique. Avec seulement 20 sièges (-5) pour le parti unifié des écologistes et des travaillistes (GL/PvdA), l’on est bien loin du score de la gauche aux Pays-Bas lors de sa dernière victoire, qui remonte à 1998 : 56 sièges pour les deux formations, alors distinctes. La totalité des formations de gauche pèse aujourd’hui moins de 25% des voix.
Entre les blocs de droite et de gauche, le « bloc central » composé de D66 et des Chrétiens démocrates du CDA pèse 30% de l’électorat et sera en toute hypothèse au cœur de la prochaine coalition.
Les échecs personnels de Timmermans et Wilders
Dès lors, ces résultats expriment d’abord un double échec : celui de Frans Timmermans, le leader de la gauche qui a enregistré deux défaites électorales de suite et qui suscite un rejet majoritaire dans l’opinion, notamment pour son passé de vice-président de la Commission européenne qui en a fait le symbole de la bureaucratie bruxelloise et de l’écologie punitive. Il a tiré la conclusion de sa déroute en se retirant da la scène politique au soir du scrutin. L’autre échec personnel est bien sûr celui de Wilders, considéré comme le responsable de l’effondrement de la coalition sortante au bout d’un an d’existence. Il a mené une campagne intermittente et en demi-teinte où il n’a pas su désamorcer l’alliance tactique de ses concurrents contre lui. Son isolement clair, à la suite du refus de tous les grands partis d’entrer en coalition avec le PVV, a conduit nombre de ses électeurs vers un « vote utile » en faveur de JA 21, tandis que les plus radicaux optaient pour le Forum.
Rob Jetten : de « Robot Rob » au nouveau Mark Rutte ?
Inversement, Rob Jetten, le patron de D66 et vainqueur du scrutin, a su gagner la sympathie autour de sa jeunesse (38 ans) et d’une campagne menée tambour battant. L’homme, longtemps discret et prisonnier de la langue de bois partisane (d’où son surnom de « Robot Rob »), affiche désormais un sourire indestructible et une aisance rhétorique rares aux Pays-Bas. Il a su aussi trouver son message, fondé sur la bonne volonté, le refus « de la négativité et de la haine » et le sens du compromis. Son programme a su parler tant à la gauche qu’au centre droit – au risque du grand écart – qui n’est pas sans rappeler un certain « en même temps » français ; tout comme sa personnalité, jusque dans sa vie privée, évoque celle de Gabriel Attal. Au vu de son habileté tactique et de son talent de débatteur, les Néerlandais le comparent à Mark Rutte, l’indéracinable Premier ministre libéral des années 2010-2023, aujourd’hui secrétaire général de l’OTAN.
Jetten a en tout cas fait passer un message audible, avec le projet de construction de 10 villes nouvelles, sur le thème du logement, premier enjeu de ces élections dans le pays le plus dense d’Europe où la crise immobilière est à son paroxysme. Il a su aussi mettre de l’eau dans le vin du maximalisme écologique et du laisser-aller migratoire de sa campagne de 2023 qui avait abouti à une véritable déroute de son parti. Refusant de laisser la symbolique nationale à l’extrême droite, il a aussi remis à l’honneur le drapeau néerlandais omniprésent dans tous ses meetings.
La question de Gaza
Inversement, il s’est montré d’une grande radicalité sur la crise du Proche-Orient, n’hésitant pas à reprendre les chiffres et le vocabulaire du Hamas et à manifester contre le « génocide » que commettrait Israël à Gaza. Langage et position peu « centristes » en vérité, qui traduit une forte et paradoxale poussée anti-israélienne dans le pays d’Anne Frank, longtemps très sensible au traumatisme de la Shoah, mais dont le souvenir semble s’éteindre dans la jeune génération.
Le grand clivage : Anywhere et Somewhere
Phénomène que l’on constate ailleurs en Occident, tout comme le fossé sociologique et idéologique grandissant entre les Anywhere des élites mondialisées de métropoles dont D66 est clairement devenu le porte-voix et les Somewhere de la périphérie, peu entendus dans le débat public et enclins au vote protestataire et populiste, pour reprendre la distinction éclairante de David Goodhart. Celle-ci est l’une des clefs majeures de compréhension des enjeux électoraux actuels[1].
Elle n’est pas pour faciliter la tâche de Rob Jetten, probable Premier ministre, de former une coalition durable, malgré son appel au consensus national. D’autant que son inclination le porte à chercher une alliance avec la gauche, alors même que le centre de gravité de la politique néerlandaise est clairement plus à droite. Voilà qui augure d’un long processus de formation du prochain gouvernement, fait il est vrai habituel dans les mœurs politiques néerlandaises.
[1] D. Goodheart, Les Deux Clans. La Nouvelle Fracture mondiale (Les Arènes),
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