C8, abréviation de Canal 8, est une chaîne de télévision généraliste nationale privée française créée le 31 mars 2005 sur la TNT par le groupe Bolloré. Elle fait partie du groupe Canal+. Le 19 février, le Conseil d’État a confirmé la décision de l’Arcom portant sur la clôture de C8 et NRJ 12. Cette fermeture, qui intervient au lendemain du discours de J.D. Vance, justifie ses attaques sur le déclin de la liberté d’expression en Europe, alerte l’essayiste Nicolas Bouzou dans l'article ci-dessous paru dans Le Figaro jeudi 20 février. C.est un centriste européiste bon teint qui critique, comme on le verra, les « influenceurs trumpo-poutinistes ». Sa dénonciation de cette fermeture d'autorité de C8 est d'autant plus intéressante qu'elle ne vient pas de la droite identitaire.
Nicolas Bouzou est économiste et essayiste. Il a fondé le cabinet d’études économiques Asterès. Dernier livre paru:La Civilisation de la peur (XO Éditions, 2024).
Il y a de nombreux arguments pour critiquer le retrait de C8 de la TNT . D’ailleurs, il suffit de regarder sur les réseaux sociaux la mine moqueuse et réjouie de nos petits révolutionnaires insoumis [LFI, l'extrême gauche française] pour être certains que la décision de l’Arcom n’était pas la bonne. Ces députés font honte au pays et on s’en passerait volontiers, mais leur présence a au moins un avantage : quand on a la chance de disposer de deux boussoles (intellectuelle et morale) qui indiquent le sud avec un tel degré de fiabilité, on aurait tort de ne pas s’en servir.
Mais il y a évidemment plus grave dans cette affaire que de donner des points aux Insoumis. Dans son adresse à la conférence de Munich la semaine dernière, le vice-président américain J.D. Vance a affirmé que la liberté d’expression déclinait en Europe relativement aux États-Unis. Vance semblait en faire un argument justifiant un éloignement idéologique entre les États-Unis et l’Europe et un rapprochement entre les États-Unis et la Russie. Cette assertion est absurde comme peut en témoigner quiconque participe au débat public dans notre continent et en Amérique du Nord. Certes, la liberté d’expression est légalement garantie aux États-Unis, mais, dans les faits, bon courage si vous voulez vous moquer de la religion, souligner la menace islamiste ou parler de sexe. La vérité, c’est que ces sujets restent tabous alors qu’en France, on les évoque à longueur de journée, et fort heureusement ! Il est donc particulièrement regrettable que la France, en fermant une chaîne comme C8, donne un argument au pouvoir trumpiste qui, désormais énamouré de Poutine, cherche à déstabiliser l’Europe par tous les moyens de communication possibles.
Ainsi, sur les réseaux sociaux, les influenceurs poutino-trumpistes s’en donnent à cœur joie, et instrumentalisent la fermeture de C8 pour faire croire qu’une dictature à la russe protège davantage la liberté d’expression qu’un pays libéral comme la France. C’est absurde mais les régulateurs de tous poils seraient bien inspirés de faire très attention à leurs décisions dans ce contexte particulier et de brider leurs instincts policiers. La présidence Trump nous fait entrer dans une ère de compétition géostratégique inédite depuis 1945. Le couple Trump/Musk s’assoit sur l’État de droit, ayant bien pris soin de neutraliser (au moins en partie) les contre-pouvoirs comme la Cour suprême et de terroriser les médias par l’insulte et la diffamation. Quant à la Russie, elle reste une dictature classique où la liberté d’expression peut s’exercer tant qu’elle ne contrarie pas le pouvoir. La France, par comparaison, est un pays où personne ne se prive de dénigrer à longueur de journée le gouvernement et le président, l’insulte outrancière dans les médias étant un sport national. C’est souvent exaspérant mais il s’agit d’un acquis à protéger contre toutes les tentatives de censure.
Dans un contexte où l’islamisme nous attaque, où la Russie nous menace et où les États-Unis nous lâchent , l’Union européenne doit jouer son rôle historique : être, aux yeux du monde, le continent de la liberté et du droit tout en se protégeant. Il y a beaucoup à faire en ce sens. Nous devons limiter nos dépenses sociales pour les réinjecter dans notre défense, nous devons investir massivement dans le nucléaire pour disposer de l’énergie décarbonée dont nous avons besoin, nous devons libérer l’innovation pour laisser grandir nos entreprises, nous devons alléger toutes les contraintes qui pèsent sur les entreprises pour les amener à produire davantage… Cet objectif de puissance doit se réaliser en sanctuarisant la liberté d’expression et jamais en la limitant car une démocratie n’est jamais forte des armes de ses adversaires. Prouvons à Trump et à Poutine que la liberté n’est pas l’instrument des faibles mais un attribut de la puissance.
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