Le français, parlons-en !, de Boualem Sansal

Francis Richard
Resp. Ressources humaines

Ce petit manuel est destiné aux personnes qui ont le tort de ne pas s'interroger sur l'étrange inclination des hommes à se satisfaire de ce qu'on leur apprend dans le but premier d'aggraver leur ignorance et de les maintenir dans la servitude heureuse.

 

Boualem Sansal exprime cette intention dans ce qu'il appelle Note de cadrage, puis, En guise de préambule, à la fin d'une interview qui n'a pas eu lieu, il la résume par cette pensée télescopique:

Il n'y a de peuple que dans une culture et une langue, de culture et de langue que dans la liberté, de liberté que dans le courage et l'honneur, de courage et d'honneur que dans l'amour de son pays et des siens. La rupture de la chaîne signe la mort du peuple et la dislocation du pays.

 

Que constate-t-il?

  • Que les démocraties ne sont plus ce qu'elles étaient: la liberté y est désormais rationnée, confinée, contingentée, masquée, coupable.
  • Que nos lointains ancêtres communiquaient avec les dieux par le langage de la pierre et que nous sommes plus modestes: notre histoire est purement terrestre, douloureuse et éphémère, celle de l'écriture sur papier et de la parole portée par le vent et les ondes hertziennes.
  • Que la moitié de ce qui se dit dans les rues de France et le quart de ce qui se lit dans les journaux, papier et électronique n'est pas du français certifié. Il s'entend et se comprend, mais de moins en moins.
  • Que la surdité qui en résulte ne vient pas que des oreilles, elle vient des maladies de la langue et des yeux, elle vient aussi des dérives sociétales et des méfaits du gouvernement dont la maladie est l'incompétence chronique.

 

Comment en est-on arrivé là?

L'accoutumance à l'insignifiance fait que l'on ne se voit pas glisser dans la trappe de l'ignorance. À l'inverse de la colonisation culturelle par le haut, imposée par les armes, qui est une agression à laquelle naturellement on résiste, la colonisation par le bas est une pénétration en douceur.

 

La conséquence pour l'auteur, Algérien vivant en Algérie, quand il se rend en France?

Ce qui me reste de mon bon français m'handicape, je commence à me sentir étranger en France, ce que je suis officiellement. C'est désagréable.

 

Il n'y a pas si longtemps, la France et l'Algérie révolutionnaire acharnée mais francophone, pratiquaient le même français, à l'accent près... Mais l'Algérie s'est arabisée et la France américanisée. Et l'esprit de Babel souffle à nouveau sur le monde...

 

Pourtant, en matière de grandeur, la langue est la clé, elle est magique, elle ouvre toutes les portes, de la terre et du ciel, elle est la pierre philosophale qui révèle, nomme, exalte, enclenche les processus de libération qui mènent à la sapience et à l'éternelle jouvence.

 

D'où vient le français? L'auteur évoque les différentes origines possibles: latine, grecque, gauloise, franque, etc. Mais il reconnaît humblement qu'on ne sait pas d'où vient le français. Il émet encore les hypothèses royale ou céleste, mais avoue que le français comme le Sphinx garde son secret.

 

Pourquoi le français recule-t-il dans le monde? Par peur de la sanction et de la moquerie:

Son art du contournement disruptif et du dysfonctionnement impromptu fait de lui le langage/la langue le/la plus difficile au monde.

 

En France même, le français cède devant des parlers hautement débilitants:

  • le globish de quincailler,
  • le wesh-wesh des quartiers,
  • la langue inclusive qui exclut tout, n'inclut rien,
  • le langage binaire de l'informatique,
  • le bilinguisme élyséen à somme nulle,
  • la langue européenne.

 

Qui sauvera le français?

Notre langue sera grande quand nous-mêmes, ses enfants, serons grands. Mais n'exagérons pas notre influence sur elle, elle est grande sans nous. elle ne parle pas qu'aux hommes, nouveaux venus dans le vaste univers, elle parle aux anges, aux esprits et aux oiseaux du ciel 1.

 

Et la France?

Plus un pays maîtrise sa langue et l'entretient avec la passion du jardinier amoureux de ses plantes, mieux il respire la force, nourrit ses neurones, aiguise son regard et son intelligence, son imaginaire et son flair, et au bout fortifie sa personnalité et la télépathie qui interconnecte les individus.

 

Francis Richard

 

1 - L'auteur se dit athée, mais non apostat car il est né libre de religion et l'est resté contre vents et marées...

 

Le français, parlons-en !, Boualem Sansal, 192 pages, Les éditions du Cerf

 

Publication commune LesObservateurs.ch et Le blog de Francis Richard

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