Gregor Puppinck, Résister à la dissolution culturelle de l’Union européenne, Valeurs Actuelles, Extraits du Hors-Série, Carrefour des Droites, 28 .05.2024

Grégor Puppinck : Résister à la dissolution culturelle de l’Union européenne

Le choix qui s'offre aux prochaines élections européennes est crucial : soit laisser l'Union européenne devenir une composante centrale d'une future gouvernance globale post démocratique, soit protéger les peuples de cette ambition pour leur conserver leurs libertés et leurs identités, conditions du bonheur de notre humanité diverse.

Ce texte est issu du Hors-série Grand débats « Carrefour des droites»

Grégor Puppinck : IVG, la France en tête des pays européensL’Union européenne se conçoit comme un processus inexorable de dépassement de la politique et des nations : un rêve de communion des peuples en une seule humanité gouvernée par la force de la raison, sur la base de valeurs universelles et au moyen de normes générales. Tel est l’esprit de l’Union européenne dont la nature est d’étendre toujours plus son pouvoir technocratique sur la diversité du réel pour l’uniformiser et le soumettre ainsi à son empire. C’est sur cette mécanique que les électeurs européens sont une nouvelle fois appelés à se prononcer, mais cette fois-ci avec la conscience nette que le processus à l’œuvre pourrait finir par avoir raison de leurs cultures et de leurs libertés, et les dissoudre dans un vaste projet politique, continental puis mondial.

Est-il seulement encore possible d’y échapper, de sortir de la sidération devant un tel spectacle ? Il faut dire que l’Union européenne fait tout pour rendre impossible tout échappatoire : sa mécanique est incrémentale, elle verrouille chacune de ses avancées.

Ce verrouillage se renforce en permanence. Il fut d’abord institutionnel par le privilège exorbitant conféré à la seule Commission européenne, de proposer des réglementations. Il fut ensuite juridique, en soumettant les juridictions et législations nationales au pouvoir de la Cour européenne et de son interprétation « progressiste » des droits de l’homme. Il fut enfin monétaire, par la création et l’imposition d’une monnaie unique. Il est en outre financier, par la dette abyssale qui soumet la France et d’autres pays européens au pouvoir de Bruxelles et de Berlin, et plus encore des grandes banques mondiales. Et ce verrouillage se veut définitif par l’imposition d’une immigration massive transformant la population occidentale en une préfiguration de l’humanité métissée, déracinée et mondialisée.

Prochaine étape, l’abandon du droit de veto national

Grégor Puppinck : « Juges Soros », la CEDH corrige enfin certains de ses manquements​La prochaine étape de ce verrouillage est déjà annoncée : elle consiste en l’abandon de ce qui reste du droit de veto national, et donc de souveraineté nationale, au sein du Conseil de l’Union par la généralisation du vote à la majorité qualifiée des États. Ce serait l’abandon des souverainetés et la fin des démocraties nationales. Les peuples seraient ainsi dépossédés de la maîtrise de leur destin au profit de puissances supranationales inaccessibles et incompréhensibles au commun des mortels.

Ce verrouillage est réalisé au nom de valeurs abstraites supposées définir l’Europe. Il s’agit de la tolérance, de l’égalité, du pluralisme, de la non-discrimination, bref d’un ensemble de valeurs universalistes ayant pour effet de dissoudre les identités. C’est au nom de ces « valeurs de l’Europe » que les pays européens sont empêchés de décider de leur politique migratoire et sont obligés de se conformer au progressisme moral et à l’idéologie woke. C’est encore au nom de ces valeurs que la Pologne et la Hongrie ont été condamnées et privées de fonds européens pour avoir résisté à leur dissolution dans l’UE et la mondialisation. Mais le choix du Royaume-Uni de quitter l’Union européenne et la capacité de la Hongrie à lui résister prouvent qu’il est possible de retrouver la maîtrise de son destin.

Le choix qui s’offre aux prochaines élections européennes est crucial : soit laisser l’Union européenne poursuivre le rêve de devenir une composante centrale d’une future gouvernance globale post démocratique, soit protéger les peuples de cette ambition pour leur conserver leurs libertés et leurs identités, comme conditions du bonheur de notre humanité diverse.

Le premier terme du choix est présenté comme inéluctable, malgré tous les échecs de l’UE, comme s’il était inscrit dans le sens de l’histoire. Mais il n’en est rien. Il est encore possible de démonter cette mécanique et de déverrouiller le système supranational pour rendre aux peuples qui le souhaitent la maîtrise de leur destin. Encore faut-il être capable de comprendre le fonctionnement de ce système et avoir la ferme volonté de continuer à exister comme peuples libres.

Persévérer dans l’existence comme peuples libres : tel est l’enjeu fondamental. Le voulons-nous vraiment, ou préférons-nous simplement profiter de l’instant présent, puis laisser notre civilisation se dissoudre dans un grand tout mondialisé, consolés par l’idée que de ce sacrifice pourrait naître une nouvelle humanité rachetée de nos fautes passées ? L’immigration massive est d’abord la conséquence de notre perte de vitalité en tant que peuples, de notre refus de transmettre la vie et notre culture aux générations futures. C’est de ce renoncement à nous-mêmes, de cette abdication, que se nourrit la dynamique mondialiste à laquelle participe l’Union européenne.

Faire passer le pays avant la République

Le populisme est la réponse des peuples qui ne veulent pas disparaître, qui ne se croient pas moralement obligés de se fondre dans l’humanité, mais estiment avoir le droit de rester maîtres chez eux. En France, les partis populistes et conservateurs promettent plus de fermeté pour restaurer l’ordre et la sécurité face à l’explosion de l’immigration et de la violence. Certes, telle est la mission première de l’État, mais restaurer les pouvoirs régaliens ne suffi t pas à conserver la société. Encore faut-il savoir ce que l’on veut transmettre, ce qui constitue la société. Le savons-nous ? Saurions-nous dire ce qu’est la France ?

Les conservateurs ne se sont jamais convertis totalement à la religion des valeurs universelles, c’est d’ailleurs ce scepticisme qui les définit. Mais leur drame, surtout en France, est d’avoir tout de même perdu leur propre tradition, abandonné leur religion. La plupart des conservateurs sont identitaires, « christianistes » plutôt que chrétiens suivant le mot de Rémi Brague : ils défendent la culture et la tradition chrétienne de l’Europe, mais sans connaître son histoire, ni même le Christ. Est-ce seulement possible ? Oui, sans aucun doute, car ce sont les déshérités qui ont le plus besoin de recouvrer ce qu’il reste de leur héritage. Ils sont conservateurs par manque d’héritage. Il en va de même, d’ailleurs, de la jeunesse déracinée issue de l’immigration.

Les Polonais, les Slovaques et les Hongrois, depuis leur libération du communisme, n’ont jamais accepté des valeurs, telle la laïcité, qui viendraient nier leur identité, effacer leur héritage. Ainsi s’explique le miracle conservateur de l’Europe centrale. La Pologne durera, comme peuple libre, tant que durera sa fidélité à la foi qui la définit, la protège de la modernité et la distingue de ses voisins russes et prussiens. Quant à la Hongrie, le gouvernement Orban, aussitôt arrivé au pouvoir en 2010, a non seulement desserré l’emprise de Bruxelles, des fondations et groupes financiers étrangers, mais il a aussi et surtout renoué les fils de l’histoire, rendu aux Hongrois des institutions à leur image en proclamant le jour de Pâques 2011 une nouvelle Constitution sous l’égide de Saint-Étienne, le roi saint patron du pays. À cette occasion, il changea le nom du pays de « République de Hongrie » en « Hongrie », faisant passer le pays avant la république, la Hongrie n’étant plus l’adjectif de la république, mais le nom. Viktor Orban n’a qu’un seul projet pour son pays : qu’il continue à exister. Conséquent, il a aussi mené une politique familiale, réduisant les divorces et les avortements, et augmentant les mariages et les naissances.

Face aux valeurs dissolvantes de l’Union européenne, de tels pays peuvent se référer à leur identité propre, historique, pour persévérer dans l’existence. Il en va différemment de la France, ou plutôt de la République française, car son identité se situe au-delà de la France. La République n’est pas une patrie, mais un idéal et un projet politique qui a rompu, dès sa fondation, avec l’histoire de France et sa religion. C’est un idéal rationnel, fait de valeurs et de principes universels, et donc apatrides. Entre cet idéal républicain et celui de l’Union européenne, il n’y a pas contradiction mais continuité : l’Union européenne étant comme le développement de la République française et une étape vers la république universelle, autrement dit, la gouvernance globale.

C’est parce que la République définit la France par des valeurs universelles qu’elle accueille tant d’immigrés et a cru pouvoir les intégrer. Mais ces valeurs se révèlent incapables de transformer nombre d’entre eux en « citoyens », même à la troisième génération. On ne se convertit pas à des valeurs abstraites, surtout lorsque l’on est immigré, et donc déraciné. Au contraire, un homme déraciné a besoin d’identité. La radicalisation est une réponse au déracinement. L’erreur fut de croire que ces valeurs sont accessibles à tout homme et qu’elles peuvent suffi re à son bonheur, alors qu’elles sont une dénaturation du christianisme. Ce sont des valeurs de substitution pour ceux qui ont perdu la foi sans cesser d’être culturellement chrétiens. Elles ont conservé l’universalisme du catholicisme, mais rejeté son incarnation. Elles ne peuvent pas répondre aux besoins de l’âme.

Refuser l’intégration par le vide, l’asservissement à la vacuité

Pour les conservateurs français, se référer aux valeurs de la République ne suffi t pas à conserver la société. Elles n’empêchent pas sa dissolution. Au contraire, elles y participent par leur universalisme et renforcent l’islamisme en lui servant d’adversaire inoffensif, incapables de convertir à la France les enfants d’immigrés. Plus encore, la dégénérescence de ces valeurs en idéologie progressiste, comme en témoigne l’inscription de l’IVG dans la Constitution, sert de parfait repoussoir à toute intégration. Il est vain de renforcer sans cesse la laïcité sans avoir d’abord une belle culture à offrir en partage aux enfants d’immigrés.

Dès lors, il ne reste, semble-t-il, que deux façons de résoudre le problème de l’immigration et de l’insécurité. La première consiste à aller encore plus loin dans la dissolution, en comptant d’une part sur le développement de la surveillance généralisée grâce aux nouvelles technologies, assurant la sécurité, et d’autre part sur l’abrutissement de la jeunesse par l’usage abusif du smartphone et d’internet, assurant leur intégration ; les deux allant d’ailleurs de pair. Ce serait une forme d’intégration par le vide, d’asservissement à la vacuité réduisant les personnes en des consommateurs compulsifs parfaitement mondialisés.

La seconde voie est encore largement inexplorée. Elle consiste à renouer avec la France, avec ses racines et son identité, en particulier chrétiennes. Cela implique de les connaître, de communier dans le réel plutôt que de nous dissoudre dans l’universel. Cela implique de préférer la France à la République et aux rêves de gouvernance globale. C’est cette voie de la France millénaire, réconciliée avec sa propre histoire, qui peut seule parvenir à intégrer tant d’étrangers, et assurer la continuité de notre pays. Pour cela, il ne faut pas idolâtrer notre propre identité, ni désespérer du déclin de notre civilisation, mais garder l’espérance qui est source de toute civilisation.

Il est ainsi essentiel que les conservateurs français renouent avec la France, et ne se limitent pas à prôner un renforcement de l’ordre républicain. S’ils choisissent cette voie et parviennent à constituer une majorité à Bruxelles, c’est le centre de gravité de l’Union Européenne qui pourra basculer grâce à la France. Il faudra alors avoir la volonté ferme et l’intelligence pour transformer ce projet politique en faveur de l’Europe des peuples, et refuser de se dissoudre dans la mondialisation.
*Juriste et essayiste, Grégor Puppinck dirige le Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ). Il a notamment publié « Les droits de l’homme dénaturé », (Cerf, 2018).

 


Hors série : « Carrefour des droites »

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