Gérard Miller, la chute d’un faux prolo

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Geoffroy Lejeune connaît bien Gérard Miller. Pendant trois ans, sur les plateaux de LCI, ils ont débattu et rompu des lances, tous les lundis à 17 heures, s’écharpant sur l’écologie, les “gilets jaunes”, l’immigration, la taxation des plus riches… Le conservateur contre le progressiste, le réac contre l’humaniste, le rookie qui monte contre l’icône médiatique. LCI le savait : le duel avait tous les atours de l’affiche rêvée. « J’aile souvenir d’une personne assez timide. On s’était envoyé des messages sympas et il avait accepté de débattre avec moi. Mais il est devenu de plus en plus distant à mesure qu’on parlait davantage d’immigration », se rappelle le directeur de la rédaction du JDD.

​Il est comme ça, Gérard Miller, à la fois fuyant et matamore. Il se conforme aux idéaux qu’il prêche à longueur de plateaux par pur opportunisme, dans la hantise d’être pris en photo et en défaut par un paparazzi un brin trop curieux. Lui qui veut mettre fin aux moteurs thermiques troque, en 2018, son scooter contre un vélo, s’astreignant à d’éprouvants trajets de 10 kilomètres entre son vaste logement du XIe arrondissement parisien et la tour TF1, à la limite d’Issy-les-Moulineaux, dans les Hauts-de-Seine.

​Qu’importe « s’il arrivait parfois trempé au studio », se souvient Geoffroy Lejeune, son étiquette d’écolo-insoumis était saine et sauve. « C’était un être ambivalent, à la fois aimable et un peu hautain, taquin et un peu méchant, intelligent et un peu condescendant », confie le journaliste de Radio Classique Guillaume Durand, qui animait l’émission l’Objet du scandale, sur France 2, où Gérard Miller fut chroniqueur pendant six mois. « Il m’a toujours inspiré de l’antipathie, je l’ai toujours trouvé désagréable et imbu de lui-même, renchérit l’avocat Gilles-William Goldnadel, qui connaît l’intéressé depuis trente ans et a ferraillé deux fois contre lui. Intellectuellement, il ne m’a jamais ébloui. J’ai débattu contre des adversaires beaucoup plus redoutables. »

​Le donneur de leçons le plus célèbre du Paf (paysage audiovisuel français), l’homme qui réclamait la démission de Gérald Darmanin lorsque ce dernier était accusé de viol, sermonnait ses amis de La France insoumise pour leur gestion erratique de l’affaire Quatennens, a vu son destin basculer à cause des turpitudes d’un monstre sacré, auquel il consacrait, ironie de l’histoire, un documentaire en janvier 2023.

​En janvier 2024, Gérard Miller truste encore le plateau de C ce soir, sur France 5, pour s’indigner, le verbe généreux, des comportements de Gérard Depardieu, accusé d’agressions sexuelles et de viols par une vingtaine de femmes. Il est surtout sommé de s’expliquer sur le documentaire complaisant qu’il a consacré en 2011 au cinéaste Benoît Jacquot, que l’actrice Judith Godrèche accuse de viols sur mineure, alors qu’elle avait 14 ans et lui 40. « Aujourd’hui, je ne pourrais pas réaliser le même film, car nous ne sommes plus dans le même aveuglement collectif, il faut bien mesurer ce qui a changé, sinon on oublie ce qui a été révolutionnaire dans #MeToo », bredouille Miller en guise de mea-culpa, pris dans l’étau de l’interrogatoire de Karim Rissouli.

“On le chambrait sur sa façon de repérer les jeunes filles dans le public”

​Un balbutiement qui fait office d’électrochoc pour la journaliste Muriel Cousin. Prostrée devant son téléviseur, elle ne peut plus supporter de subir les injonctions moralistes du chevalier blanc disciple de Lacan et contacte une journaliste de l’hebdomadaire Elle pour raconter les agissements que le psychanalyste lui aurait fait subir. En 1990, alors qu’elle travaille pour le magazine Globe, Gérard Miller lui propose une séance d’hypnose dans les locaux de l’Institut du champ freudien. Muriel Cousin, impressionnée par la stature intellectuelle et l’aura de son interlocuteur, ne se méfie pas, se rend au rendez-vous. Rapidement, la séance dégénère. La jeune journaliste parvient à prendre la fuite in extremis.

​Le témoignage de Muriel Cousin constitue le point de départ de l’affaire Miller, de la libération de la parole de cinquante femmes – parfois mineures -qui l’accusent de viols ou d’agressions sexuelles lors de séances d’hypnose et d’une interminable succession de “on ne savait pas”, “on est tombé de l’armoire”, “jamais on n’aurait pu l’imaginer”. « Je n’ai jamais vu de comportement déplacé de la part de Gérard Miller. Il était certes séducteur, mais jamais je n’aurais pu imaginer les faits qui lui sont reprochés. Personnellement, je suis tombée de l’arbre », atteste Christine Bravo, ancienne acolyte de la “bande à Ruquier”. « On le chambrait souvent sur sa façon de repérer les jeunes filles dans le public et d’aller les brancher pendant les pauses », abonde Isabelle Alonso. « Je n’ai jamais entendu le moindre écho de geste ou comportement déplacé », élude François Cocq, ancien collaborateur au Média, la Web-télé pro-Mélenchon fondée par Miller et Sophia Chikirou, resté proche des sphères insoumises.

​Dans les studios du Moulin Rouge, écrin de l’enregistrement de l’émission On a tout essayé au début des années 2000, on se souvient pourtant du cérémonial, méthodique et glaçant, institué par Gérard Miller. Une fois maquillé, le psychanalyste s’extirpait de sa loge pour débarquer le premier en plateau. Là, le “marché” pouvait commencer – c’est le terme qui revient 28 fois dans la bouche d’anciens collaborateurs de l’émission, interrogés par les journalistes d’ Envoyé spécial dans le cadre d’une enquête diffusée le 2 mars. Conscient de l’image qu’il renvoyait, il abordait les jeunes filles avec facilité, badinait, distribuait son numéro de téléphone, abrégeait la parade nuptiale lorsqu’il apprenait que la proie était accompagnée par sa mère. « Celui qui tient le discours le plus sévère est souvent le plus pervers, griffe Gilles-William Goldnadel. Donneur de leçons de morale et extrême gauche sont des termes synonymiques, et par principe, je me méfie des donneurs de leçons. »

​En janvier 2001, sur le plateau de Tout le monde en parle, Gérard Miller confie : « Il n’y a rien de plus passionnant que de voir des expériences d’hypnose, la facilité avec laquelle on peut paralyser un bras, donner le sentiment de voler, ou d’autres choses beaucoup plus étonnantes… » Miller avoue même avoir hypnotisé la chanteuse Sophie Forte pendant les dernières vacances d’été, devant Laurent Ruquier et sa bande de copains, hilares.

​Face aux murmures suspicieux de l’assistance, le psychanalyste se sent obligé d’ajouter : « En tout bien tout honneur, ne craignez rien… » Et Guillaume Durand de s’interroger : « À y réfléchir, on peut se demander : pourquoi a-t-il fait de la télé ? Cette trajectoire ne répond à aucune logique, il ne vient pas du journalisme. Était-ce pour draguer ? améliorer son image ? pour répondre à une double nécessité d’argent et de femmes ? »

Un bobo qui surjoue le prolo

Beaucoup de ceux qui l’ont côtoyé décrivent un homme rempli d’incohérences idéologiques. Le bobo qui surjoue le prolo et trouve « infiniment plus vulgaire le patron du Medef que n’importe quel ouvrier » vit dans un confortable hôtel particulier du XIe arrondissement où, régulièrement, le Tout-Paris se retrouve pour deviser de Freud et de la prochaine échéance présidentielle, autour de coupes de Moët & Chandon. Un habitus de CSP+ aux antipodes de l’image télévisuelle proche du lumpenprolétariat qu’il s’est échiné à façonner à longueur de plateaux, lui qui voulait, dans un élan chevaleresque, « dérouler un tapis rouge pour les smicards » chez Ardisson, en janvier 2018.

« Il est l’illustration même de la gauche caviar, cingle Gilles-William Goldnadel. Il a touché 400 000 euros en tant que producteur d’un film à la gloire de Jean-Luc Mélenchon, quelques jours avant le premier tour de l’élection présidentielle de 2017… » « C’est un grand bourgeois qui parle des classes populaires dont il a découvert l’existence dans les livres de Zola, mais qu’il n’a jamais croisées en vrai, moque Geoffroy Lejeune. Il n’a aucune raison de croiser un pauvre dans sa vie. Il défendait les “gilets jaunes” parce qu’il avait l’impression que c’était le grand soir, sans réaliser que c’étaient juste des prolos qui votent Marine Le Pen. Il avait les yeux grands fermés sur tout. »

​Hypocrite, faux cul, malhonnête…Ses détracteurs ne manquent pas d’épithètes pour décrire celui qui s’était fait une spécialité des indignations théâtrales empreintes d’envolées lyriques, comme lorsqu’il saluait, l’œil embué, l’exemplarité de LFI quant au traitement de l’affaire Taha Bouhafs – ex-candidat aux législatives écarté après des accusations d’agressions sexuelles – en réponse aux récriminations unanimes du plateau de France 5, en juin 2022. « Quand je me suis fait virer de LCI [après l’affaire Danièle Obono, NDLR], il m’a tapé dessus ouvertement dans la presse et sur Twitter, poursuit Geoffroy Lejeune. Je lui ai rappelé qu’il avait demandé à être abonné gratuitement à Valeurs pour pouvoir préparer ses arguments en lisant le journal, pour comprendre ce qu’il y avait dans la tête d’un mec comme moi. »

Les alliés de son propre camp se sont évaporés

​Preuve d’une relative ouverture d’esprit du militant insoumis, qui confiait, en privé, trouver l’hebdomadaire tant honni « bienfait et cohérent idéologiquement ». « Ce qui me terrifie, c’est que vous êtes bons », admettait-il auprès de l’ex-directeur de la rédaction de Valeurs actuelles. « Çarésume Miller en un exemple. En public, pour parler de moi, il sortait le bazooka. Dès que j’ai riposté, il l’a fermée. Je l’ai croisé dans l’émission Restons zen , il a été adorable alors qu’on était censésse faire la gueule. Je n’ai pas gardé le souvenir d’une personne franche et immensément combative. »

​Le sectarisme d’un militant d’extrême gauche se mesure à l’étroitesse idéologique de son carnet d’adresses. L’axiome se vérifie avec celui de Gérard Miller, étriqué, rabougri, uniquement constitué de personnalités de gauche, ou presque. « Il fait preuve d’une cohérence absolue sur le plan de sa détestation des gens de droite, ironise Geoffroy Lejeune. Une chose est sûre : il n’entretient pas d’amitié inavouable avec une personnalité sulfureuse ou d’extrême droite. » Des amis de droite, Gérard Miller n’en a pas. Pire, dans la tempête, les alliés de son propre camp se sont tous évaporés, un à un. « Je ne souhaite plus m’exprimer sur LFI », répond laconiquement à nos sollicitations Thomas Guénolé, ancien membre du parti mélenchoniste. Contactés par Valeurs actuelles , ses anciens amis Philippe Geluck, Serge Moati et Laurent Ruquier sont restés muets. La révolution est comme Saturne, elle dévore ses propres enfants.

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