Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement,
Et les mots pour le dire viennent aisément.
Étienne Boileau
Dans le cas présent, Comprendre la révolution woke est tâche redoutable parce qu'elle échappe à la conception des choses du commun des mortels.
Donner une définition de cette idéologie relève de la gageure et on peut dire que Pierre Valentin s'en sort bien compte tenu des contradictions de celle-ci:
Premièrement le mouvement woke n'existe pas; deuxièmement il a toujours existé, c'est ce qu'on appelle le progressisme; troisièmement, c'est une révolution formidable.
Eugénie Bastié (Dénoncer le wokisme: une panique morale?, Le Figaro, 26 novembre 2021)
Ce qui caractérise donc cette idéologie de l'éveil, c'est:
- Le refus de l'étiquetage, pour qu'il soit impossible de la combattre;
- La pure négation de tout, pour détruire tout (ou tout déconstruire): le relativisme est vrai;
- Le désir d'unité alors qu'elle recouvre des mouvements disparates, voire opposés (par exemple: racialisme et antiracisme): dans LGBTQI, LG et B (lesbiennes, gays, bisexuels) supposent encore deux sexes, ce qui n'est pas le cas de T (trans) ni de Q (queer), quant à I (l'intersectionnalité), il représente l'opposition à la norme dominante.
En fait la révolution woke repose sur trois valeurs:
- La diversité qui n'est pas pluralisme mais volonté d'affaiblissement des occidentaux, blancs, valides, mâles, et défense1 des bonnes minorités, les noirs par exemple, contre les mauvaises, les juifs ou les asiatiques, accusées aux USA d'être proches de la blanchité: une discrimination présente serait un remède contre les discriminations passées;
- L'inclusion qui revient à tout inclure, c'est-à-dire à ne rien inclure;
- L'équité qui est négation de toute notion de mérite, d'excellence, de compétence.
Cette révolution a en fait pour but de renverser le système en le reproduisant à l'envers, à faire de l'idéologie des dominés l'idéologie dominante, à devenir de plus en plus radicale, et, pour gagner, de se prétendre [perdante], c'est-à-dire avancer masquée, tout en punissant l'Occident de ne pas se montrer vertueux comme elle le souhaite:
La pureté, étant par nature insatiable, requiert des sacrifices toujours plus importants.
Quel est le profil d'un jeune dominant intoxiqué par la révolution woke?
- Il croit en un monde nocif;
- Il est guidé par le subjectivisme et l'émotion;
- Il a une vue binaire de l'humanité: il y a des dominants et des dominés;
- Il a été surprotégé dans son enfance;
- Il demande à être toujours plus protégé;
- Il a recours à la délation quand il se sent en danger et concourt ainsi à la société de surveillance;
- Il se vante d'être conformément vertueux, ce que l'auteur appelle le signalement de vertu;
- Il s'excuse de façon ostentatoire s'il est blanc;
- Il ne s'émerveille jamais;
- Il n'éprouve pas de gratitude.
Quelle est la généalogie de cette idéologie mortifère et sectaire2? L'auteur montre les rôles joués, entre autres, par Michel Foucault, Judith Butler ou Herbert Marcuse, qui ont réussi à créer du ressentiment chez les dominés et de la culpabilité chez les dominants. Mais, aujourd'hui, leurs héritiers sont remis en cause par d'autres gens de gauche:
On assiste au spectacle étrange de gauches qui se traitent de droites, trahissant par là le fait que pour elles la pire injure qu'elles possèdent dans leur arsenal sémantique, et qu'elles sont prêtes à en user coûte que coûte, quitte à céder aux falsifications intellectuelles les plus évidentes.
Comment l'auteur voit-il l'avenir?
Optimiste, il dit: il ne s'agit pas de savoir si l'idéologie woke s'autodétruira, mais quand.
Pessimiste, il se dit que les jeunes dominants nourris au sécuritarisme woke pourraient, une fois pleinement aux manettes, faire de la France un campus géant; un parti de gauche mais en plus grand; un microcosme à l'échelle d'une nation; un immense "safe space", c'est-à-dire en pratique un espace où personne n'est à l'abri.
Comment en sortir?
Pour éteindre préventivement la tentation de ce ressentiment minoritaire, ainsi que de la culpabilité majoritaire, il n'existe guère de meilleurs chemins que d'apprendre à ressentir de l'amour pour son pays de diverses façons.
[...]
Si l'émerveillement et la gratitude [...] tapissaient nos âmes plutôt que le ressentiment et la culpabilité, nous aurions bien d'autres débats, et des jeux bornés par bien d'autres règles.
C'est uniquement en suivant ce chemin que nous pourrons mettre fin à cette révolution qui possède pour négation son accomplissement, pour anéantissement son but, pour fin sa fin.
Francis Richard
1 - Cette idéologie cherche plus à accabler un certain type de coupable qu'à défendre un certain type de victime.
2 - La hantise de l'homme est de ne "plus être dans le coup".
Comprendre la révolution woke, Pierre Valentin, 224 pages, Gallimard
Publication commune LesObservateurs.ch et Le blog de Francis Richard.
Et vous, qu'en pensez vous ?