L’objet de cet article n’est en aucun cas de prendre la défense d’Éric Zemmour, mais de décrire un phénomène bien connu des communicants du monde entier : le détournement des bonnes idées par des concurrents sans imagination. Il se trouve que l’étude de ce phénomène nous en apprend beaucoup sur le fonctionnement de la droite contemporaine…
Tous les marchés fonctionnent sur le même schéma : un inventeur crée une nouvelle activité, laquelle lui apporte une réussite remarquée, et des imitateurs se lancent aussitôt dans la brèche pour capter une part de son marché. Ainsi va la vie du commerce mondial depuis toujours. Il n’y a là rien de condamnable : sans imitation des bonnes idées, leur diffusion et la civilisation qui en découle seraient impossibles. Cette loi n’est nulle part aussi vraie que sur le marché de la communication, et la communication politique n’y fait pas exception.
Le grand marché des idées
Mais encore faut-il que l’imitation se voie : qu’elle soit assumée. Il n’y a aucun mal à s’inspirer d’un concurrent, du moment que l’on ne tente pas de se faire passer pour lui. À l’inverse, si l’imitation est cachée, il y a contrefaçon, donc vol. Or, la droite française est devenue un souk où pullule le toc. Le produit copié par tous, sans exception et sans vergogne, c’est Éric Zemmour.
Quand il surgit sur le marché du discours politique, au milieu des années 90, il passe pour le trublion. Dans les partis de droite, on l’écoute avec intérêt, on s’en moque aussi, mais l’on ne songe pas encore à le mimer. Puis, plus le temps passe, plus il impose sa présence à l’échiquier politique. On commence à se méfier de lui : il prend un petit peu trop de place. Les chiffres de vente de ses livres, son phénoménal succès d’estime chaque soir sur CNews, la foule toujours plus imposante de ses fans, relèguent les leaders de la droite au rang de personnages ennuyeux. Et, coup de théâtre, voilà qu’il se présente à l’élection présidentielle ! Il devient alors un adversaire. Dans la première partie de la campagne, sa popularité record en fait même un ennemi juré.
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Jusque-là, tout va bien. Mais il y a un mais : l’extraordinaire manque d’imagination des partis de droite français, ronronnant éternellement dans leur « certaine idée de la France », tirée du gaullisme comme on trait une vache jusqu’à l’épuiser. Ni franchement libérale, ni clairement patriote, attirée par le centrisme, lui-même englué dans le socialisme, notre droite ne sait pas être de droite. Depuis Chirac, elle se perd dans des débats sans fin sur une identité nationale affreusement abstraite. Le contraste avec la productivité de Zemmour dérange. Plus est neuf le discours du « polémiste d’extrême-droite », comme l’appellent les esprits chagrins qui voient du nazisme partout, plus la droite paraît vieille. Zemmour risque fort de la doubler dans le virage du premier tour. Il faut réagir, et vite.
Le grand remplacement… des slogans
Un cap est franchi lors de l’inoubliable meeting de Valérie Pécresse au Zénith de Paris, où, devant la France médusée, elle livre le grand discours le plus médiocre de l’histoire de la cinquième République. « Pas de grand remplacement, ni de grand déclassement ! », s’écrie-t-elle. Mauvaise pioche : en reprenant mot pour mot le pilier central de la campagne de « Reconquête! », la pauvre candidate vient de se faire hara-kiri en public : elle a démontré qu’elle n’avait rien à dire. Elle ne s’en remettra jamais. Toutefois, Pécresse n’est que la partie émergée de l’iceberg mimétique. Toute la droite se met à faire du Zemmour comme Monsieur Jourdain de la prose.
Marine Le Pen particulièrement. Observez son historique Twitter. Il suffit que l’insolent Éric lance un slogan inédit pour que le RN le reprenne à son compte quarante-huit heures plus tard : il est sa vivante boîte à idées, où elle pioche avec gourmandise tout ce que bon lui semble, effaçant d’un revers de main toute notion d’originalité, d’authenticité ou de copyright. Jordan Bardella, qui fait tout comme maman, lui emboîte évidemment le pas avec une belle énergie. Si vous voulez savoir ce qu’a dit Zemmour avant-hier, lisez leurs messages de ce matin. Ce serait burlesque, si ce n’était pitoyable. Et la viralité des déclarations de Zemmour ne s’arrête pas là. Car toute la droite devient une chambre d’écho du zemmourisme. En somme, dans le rôle de l’homme que l’on cite faute d’avoir des neurones, il a remplacé De Gaulle. À la différence que, lorsqu’on produit du gaullisme de pacotille, on rend respectueusement hommage à sa source. Dans le cas du zemmourisme d’emprunt, on censure l’origine. Il y a vilénie.
Chapardeurs !
N’allez pas croire que j’exagère. Voici une liste absolument pas exhaustive des idées qui circulent sous le manteau, telles des fausses Rolex sur les marchés africains. Dans le désordre : la débureaucratisation (que Zemmour a été le premier à prôner de manière méthodique), la désmiscardisation (nouveau dada d’Attal), la lucidité des Français (que Zemmour a mis en lumière avant le RN), le bouclier migratoire (dont Bardella veut passer pour le géniteur), l’élection européenne comme référendum sur l’immigration (une lubie très zemmourienne du RN), la position fermement pro-nucléaire (dès 2010 pour Zemmour, toute récente pour les lepénistes), « la démographie, c’est le destin » (repris par Sarkozy, généralisé depuis), le collège unique et la blouse obligatoire (qu’Attal a allégrement chapardé), les contrôleurs armés humiliant les agriculteurs (que Zemmour a dénoncé juste avant Bardella), le gel des avoirs des dealers (idem), les TIG pour les parents de délinquants (idem), etc, etc, etc. Mais le plus stupéfiant de tous ces fakes et de ces mee-too est le « pour que la France reste la France » de Macron : véritable pickpocket idéologique, le président de l’antifascisme imaginaire copie-colle, toute honte bue, le slogan présidentiel de celui qu’il dénonce comme l’incarnation du fascisme ! « Miroir, mon beau miroir, dis-moi qui est le plus bel Éric Zemmour », murmure le sorcier de l’Élysée.
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Donc, on l’a compris, très logiquement, quand Gabriel Attal veut se faire passer pour un homme de droite cet après-midi, comment s’y prend-il ? Simple comme bonjour : il imite la droite qui imite Éric Zemmour. C’est le quoi-qu’il-en-coûte de l’imitation, le point d’arrivée du ruissellement des concepts novateurs : le stade où, après que toutes les marques d’un marché ont reproduit une bonne idée, les autres marchés la copient à leur tour. C’est ainsi que l’homme politique que tout le monde se plaisait à trouver « le plus clivant » devient le plus universel. Celui-là même qui passait pour un marginal, et que l’on tentait de satelliser le plus loin possible de la planète politique, en devient, bien malgré lui, le fournisseur en flux tendu.
Certes, c’est tout à l’honneur de Zemmour, à cette différence près que la masse toujours plus grande de contrefaçons l’empêche d’être vu pour ce qu’il est : un esprit d’avant-garde. Et ce n’est certainement pas à l’honneur de la classe politique française, qui joue à Jacques-a-dit en essayant de tuer Jacques. Éric Zemmour, pour échapper à ce siphonnage systématique, a une première solution à sa disposition, celle qui lui est le plus naturelle : conserver l’initiative en offrant constamment au public de nouvelles inventions utiles. Il peut également laisser entendre, de manière cinglante, ou drôle, que ses poursuivants fourguent à la sauvette des produits de contrebande. Enfin, et c’est sans doute ce qu’il a en tête, il peut prendre sa revanche dans les urnes, le 9 juin prochain, afin de démontrer que les Français ne se laissent pas duper si facilement par les faussaires. Y parviendra-t-il ? L’histoire le dira. Zemmour n’est guère du genre à se laisser piller sans réagir, pas plus que de se satisfaire de 7%.
Toujours est-il que ces concurrents seraient bien inspirés de prier pour que leur supercherie ne se voie pas trop. Sans quoi il deviendra évident aux yeux de tous que, dans la grande agence de pub de la communication politique, il n’y a plus que lui au poste de créatif.
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