L’école contre le réel

 

Selon Lisa Kamen-Hirsig, professeur des écoles, l’Éducation nationale est « malade de l’intérieur ». L’institution est tellement gangrénée par un idéologisme hors-sol, de la formation des enseignants aux programmes éducatifs, que Gabriel Attal aura beaucoup de mal à imposer des réformes.


Cet entretien a été réalisé avant la nomination de M. Attal à Matignon NDLR.

Causeur. Les premiers pas de Gabriel Attal à la tête du ministère de l’Éducation nationale ont été salués. Qu’en avez-vous pensé ?

Lisa Kamen-Hirsig. En son temps, l’arrivée de Jean-Michel Blanquer avait suscité beaucoup d’espoir. Il avait été présenté comme celui qui rétablirait l’autorité et les savoirs fondamentaux et remettrait un peu d’ordre au sein des établissements. Résultat : l’école publique est toujours vue comme défaillante, dans sa mission de transmission du savoir comme dans sa fonction de garantie de la sécurité des élèves et des professeurs. Les classements montrent que l’effondrement de l’institution se poursuit et Jean-Michel Blanquer aura quitté ses fonctions en champion du wokisme : sa circulaire sur la transidentité à l’école est un modèle du genre.

Vous ne croyez pas que le jeune ministre pourra changer la donne ?

Il bénéficie d’un état de grâce et aurait tort de ne pas l’utiliser, mais divers éléments me laissent circonspecte. Rappelez-vous, ce ministre qui n’a plus que les mots d’autorité et de respect à la bouche est le même qui avait pour mot d’ordre les cours d’empathie quand il a pris ses fonctions.

Vous ne croyez pas en sa sincérité ?

Je crois surtout que personne ne mesure le degré de sclérose de l’institution. Quand mon livre est sorti, Xavier Darcos, qui fut ministre de l’Éducation nationale, m’a proposé de me rencontrer. À ma question « Alors qu’est-ce que cela fait de devenir le ministre en charge de l’instruction publique », il répondit : « On se rend compte de son absence de pouvoir. » Je ne doute pas de la bonne volonté de Gabriel Attal. Il a déjà levé un tabou en affrontant en face le réel. Reconnaître et dire publiquement que 50 % des professeurs se censurent ou être clair à propos de ce que recouvrait l’offensive liée à l’abaya était bienvenu. Lever le déni n’est pas rien, mais je doute simplement qu’il ait les moyens de réformer une institution malade de l’intérieur.

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C’est-à-dire ?

Jean-Michel Blanquer a par exemple voulu obliger les enseignants de CP à utiliser la méthode syllabique. Il s’est heurté à une forte résistance des professeurs des écoles, alors même que les résultats en lecture des élèves français sont inquiétants. Nombre d’instituteurs faisaient passer leurs convictions avant l’intérêt général des élèves et vivaient le choix par l’institution d’une méthode d’apprentissage qui a fait ses preuves comme une marque de mépris pour leurs libertés et une forme de coercition. Gabriel Attal va très vite se heurter à une administration pléthorique, à des syndicats très puissants et à des enseignants en grande partie très, très à gauche et profondément idéologisés. Une dérive encore renforcée par le fait que les instituts qui forment les enseignants de l’école publique sont eux-mêmes imprégnés d’une idéologie gauchiste.

À quoi le voyez-vous ?

Il suffit d’aller sur les sites des Inspé, ces organismes qui ont remplacé les IUFM. Il est difficile d’y trouver des informations concrètes sur les méthodes d’enseignement, la façon dont on gère une classe, la meilleure manière de transmettre la connaissance. En revanche cela pullule de modules ou d’articles sur l’éducation sexuelle, la lutte contre les discriminations, l’écologie, le genre, le tout bien souvent rédigé en écriture inclusive… Quand je me suis retrouvée la première fois devant une classe, personne ne m’avait appris comment on enseignait. J’étais à court de techniques et de savoir-faire devant des enfants qui ne demandaient pourtant qu’à apprendre. À ce niveau-là, rien n’a changé : les professeurs sont toujours mis devant les élèves sans formation sérieuse. On en est ainsi à la deuxième génération d’enseignants, eux-mêmes « mal enseignés ».

Vous trouvez les enseignants vraiment si mal formés et idéologisés ?

On est souvent surpris de la mauvaise maîtrise de la langue française chez trop d’enseignants. Ils peinent parfois même à identifier un sujet inversé. Si j’écris, « Dans les arbres chantent les oiseaux », un nombre non négligeable d’enseignants désigne le nom « arbres » comme le sujet. Quant à l’imprégnation idéologique, je vous invite à aller faire un tour sur le site du Café pédagogique et surtout sur le groupe Facebook « 800 000 feignasses », ces communautés de professeurs très actives sur les réseaux sociaux. Elles se distinguent par une intolérance très assumée. Être vu comme de droite est rédhibitoire. Les professeurs qui participent à ces médias collectifs se positionnent d’ores et déjà de manière forte sur les annonces du ministre. Leur discours peut se résumer ainsi : « C’est nous qui avons le pouvoir, nous sommes intouchables et nous ne ferons pas ce que le ministre demande. » C’est ainsi que le pacte enseignant, par exemple, est massivement rejeté et ceux qui y adhèrent intimidés. C’est aussi cette réalité-là qui explique l’échec de l’Éducation nationale.

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Vous pensez donc que le Mammouth est aussi impossible à dégraisser qu’à digérer et que Gabriel Attal échouera à cause de la sclérose de l’institution…

Restaurer l’autorité, faire des groupes ou des classes de niveau, permettre l’uniforme et le redoublement sont des mesures de bon sens, plébiscitées par les parents, mais souvent combattues par les professeurs, alors même que les résultats de la France dans les classements chutent. Pour enrayer cette chute, il faudrait donner plus d’autonomie aux chefs d’établissement, notamment celle de recruter et licencier les enseignants. L’erreur de M. Attal est de ne pas décentraliser le système, de ne pas lui donner d’air.

Comment ?

Il faudrait rendre aux parents la liberté de choisir l’école la meilleure pour leurs enfants, qu’elle soit publique ou privée, et supprimer la carte scolaire. Le chèque éducation que je propose a cette vocation. La dotation de l’établissement serait basée sur le nombre d’élèves accueillis. Si on estime à 7 000 euros le coût moyen d’un élève en école primaire, un établissement accueillant 100 élèves recevrait 700 000 euros. On remettrait ainsi l’école face au réel et on obligerait ceux qui la constituent à regarder en face le fait que l’échec de l’école n’est pas seulement celui du politique, mais aussi celui de ceux qui en constituent la communauté humaine : professeurs et personnels administratifs.

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