Les indices ne trompent pas : depuis deux ans, il y a un incontestable regain d’intérêt pour le nucléaire et le retrait du secteur énergétique de dessous la coupe de l’écologie en est une preuve flagrante. En France, l’idée d’arrêter 14 réacteurs supplémentaires après ceux de Fessenheim a été définitivement abandonnée. Les réacteurs existants seront carénés pour prolonger leur durée de vie à soixante ans tandis que 14 nouveaux EPR seront construits d’ici 2050.
Côté européen, après de nombreuses tergiversations, l’atome a d’abord été intégré du bout des lèvres dans la taxonomie puis finalement reconnu comme énergie verte. Parallèlement, en marge de la Cop28, une vingtaine de pays (dont la France, les États-Unis, le Royaume-Uni, le Japon et la plupart des pays est-européens) se sont engagés à tripler le nucléaire d’ici 2050.
Un objectif insuffisant pour pallier les intermittences des renouvelables
S’il faut se réjouir de cette nouvelle stratégie mondiale, elle arrive malheureusement beaucoup trop tard. Dans la mesure où la consommation d’électricité doublera d’ici 2050, tripler la puissance nucléaire aujourd’hui installée (un objectif réclamant la construction de 500 EPR) ferait passer la part de génération électronucléaire de 9 % à seulement 13 %, ce qui est évidemment significatif mais tout à fait insuffisant pour pallier les intermittences des renouvelables.
Le cas de la France est exemplaire. Selon les estimations de l’Institut Sapiens, pour satisfaire une croissance de 1 % par an et réindustrialiser partiellement le pays, la France aura besoin à l’horizon 2050 de 800 térawattheures d’électricité (contre 450 aujourd’hui). Le mix serait alors composé de 40 % d’ENR (incluant l’hydroélectricité), de 35 % de nucléaire et de 25 % de gaz. Une situation pour le moins paradoxale : le mix électrique français 2050 sera davantage carboné que le mix actuel. Au rythme d’un EPR par an à partir de 2037, la décarbonation totale du mix électrique (qui réclame 32 EPR, soit 18 de plus que le plan actuel) ne pourrait être atteinte avant 2065. Pour y accéder, il faudrait plus que passer à 2 EPR par an, ce qui paraît aujourd’hui hors d’atteinte.
Des attaques incessantes portées par la gauche
S’il n’y a jamais eu, en France comme en Belgique ou en Allemagne, de réelle volonté politique de sortir du nucléaire, depuis la fin du siècle dernier la filière a souffert d’attaques incessantes portées par la gauche en général, les Verts en particulier. La croisade antinucléaire débuta en 1977 et se cristallisa dans un premier temps autour de la construction du surgénérateur Superphénix. Déjà à l’époque, les “comités Malville” étaient constitués de milices d’extrême gauche issues de l’Organisation communiste des travailleurs, de la LCR et d’ONG fondamentalistes comme Greenpeace ou Les Amis de la Terre. Lors de leur participation à la “gauche plurielle” de Lionel Jospin, les Verts, représentés à l’époque par Dominique Voynet, auront la peau de Superphénix. Quinze ans plus tard, l’accord électoral entre François Hollande et les Verts scellera la mort de Fessenheim et du projet Astrid.
Pertes de compétences d’une filière laissée en jachère
La vingtaine de réacteurs nécessaires pour totalement décarboner le mix français 2050 est enterrée dans ces vingt années perdues et se lit en filigrane des pertes de compétences d’une filière laissée en jachère depuis le raccordement en 2002 de la centrale de Civaux : maîtrise d’œuvre, aptitude à gérer de très gros chantiers, compétence des bureaux d’études, disparition des fabricants de composants, la liste est longue quant à la dégradation du savoir-faire, avec une mention particulièrement critique pour le soudage et le tuyautage. Les très nombreux incidents et malfaçons observés sur Flamanville illustrent ce déficit de compétences. Malgré un recrutement de 8 000 personnes par an tous métiers techniques confondus, malgré les sites de formation d’EDF, la filière peine à reconstituer ce trésor humain qui avait transformé, au cours des années 1970 et 1980, le nucléaire français en filière d’exception.
Et ce qui est vrai au niveau français est vrai aux niveaux européen et mondial. Si les décisions prises aujourd’hui l’avaient été il y a vingt ans et qu’une partie significative des 6 000 milliards de dollars investis dans les renouvelables avait été injectée dans le nucléaire, la moitié de l’électricité mondiale serait décarbonée.
Le poids du temps long
Comparé aux renouvelables et même aux fossiles, le nucléaire porte le poids du temps long : entre la décision et le premier mégawattheure produit s’écoule un minimum de dix ans. Une bien mauvaise nouvelle pour le climat : au cours des vingt prochaines années, c’est le gaz naturel (beaucoup plus rapide et beaucoup moins coûteux à mettre en œuvre) et non le nucléaire qui accompagnera les renouvelables.
Sans les citer, la résolution 29 de la Cop28 reconnaît implicitement que « les combustibles de transition joueront un rôle facilitateur dans la transition énergétique tout en assurant la sécurité énergétique » et donc un avenir radieux au gaz naturel comme « meilleur ami des renouvelables ». C’est sur ce couple inédit que la plupart des grandes compagnies ont aujourd’hui bâti leur stratégie énergétique.
Vingt ans perdus au nom de positions idéologiques rigides et stupides : c’est à l’écologie politique et non aux grandes compagnies de rendre aujourd’hui des comptes face au tribunal climatique.
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