Affaire Médine : EELV s’engouffre dans les affres de la gauche identitaire

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Alors que la période estivale bat son plein et que l’actualité politique est morne, les journalistes à la recherche de sujets d’éditos n’ont pas grand-chose à se mettre sous la dent. C’était sans compter la capacité de certains partis et politiques à faire preuve d’une imagination débordante pour faire parler d’eux-mêmes.

Europe Écologie Les Verts et sa patronne, Marine Tondelier, sont les derniers à s’être (brillamment) illustrés dans cet exercice de haute voltige. Cette dernière a annoncé, ce lundi, la venue du rappeur Médine à leur université d’été au Havre, du 24 au 26 août 2023, pour un débat autour du thème « La force de la culture face à la culture de la force ».

 

Médine : simple rappeur conscient ?

Le rappeur est connu pour son engagement à gauche et son combat « contre l’extrême droite ». Récemment, il s’est opposé à la réforme des retraites et a réclamé, dans un tweet, la Justice pour Nahel.

Jusque-là, rien d’étonnant à ce qu’une personnalité du monde de la culture, assumant son engagement à gauche, soit invitée à échanger avec un parti de cette obédience. C’est d’ailleurs ainsi que le présente, dans un article étonnamment complaisant, le journal Libération.

Mais c’est oublier bien vite que derrière l’image consensuelle d’un « rappeur conscient », Médine porte des messages bien plus polémiques et problématiques… Un article de Marianne datant de 2018, signé des journalistes Hadrien Mathoux et Thomas Vampouille et bien plus fouillé et objectif que celui de leurs confrères de Libé, brosse un portrait bien plus ambivalent du Havrais.

 

La pensée de Médine : de la critique de l’universalisme républicain au communautarisme religieux…

Médine, c’est d’abord une dénonciation de la République, de son passé colonial et du traitement de ses minorités. Les institutions participeraient à maltraiter ses banlieues et sa jeunesse issue de l’immigration : du racisme systémique aux violences policières en passant par l’omniprésence de l’islamophobie dans le discours médiatique, tout cela mènerait à l’exclusion et à la ghettoïsation des minorités.

Cette bataille contre la République s’accompagne bien sûr d’une condamnation de la laïcité. Dans son titre Don’t Laïk, Médine chante « je me suffis d’Allah, pas besoin qu’on me laïcise », ou encore « crucifier les laïcards comme à Golgotha ». Il se défend de remettre en question la laïcité dans son ensemble, et assure dénoncer plutôt une « laïcité dévoyée », simple prétexte servant en réalité un discours islamophobe décomplexé.

Si l’opposition à la laïcité et à l’universalisme républicain constituent le penchant « négatif » de sa pensée, son penchant « positif » s’édifie autour de son adhésion au communautarisme comme contre-modèle.

C’est sur ce point que l’ambivalence et le flou entretenus par le rappeur sont sujets à polémique. Il a par exemple participé à une conférence, en 2009, du Parti des Indigènes de la République, dont la patronne Houria Bouteldja n’est pas connue pour sa grande modération, elle qui souhaite envoyer « les sionistes au goulag ». Cette fréquentation donne tout de suite une autre teinte à son engagement propalestinien…

De même, si d’un côté il invite les musulmans à ne pas entreprendre un jihad guerrier, l’auteur de l’album « Jihad » s’est affiché pendant des années comme ambassadeur de l’association « Havre de paix », qui s’inscrit dans le courant de la pensée des Frères musulmans et partage sur sa page facebook des fatwas de Youssef al Qaradawi, un théologien connu pour son antisémitisme et son soutien d’attentats terroristes…

On pourrait enfin signaler ses liens avec Kémi Séba, qu’il cite souvent, fondateur de la « Tribu Ka » (dissoute par décret pour incitation à la haine raciale) et du Mouvement des damnés de l’impérialisme (proche de mouvements islamistes et néonazis), militant bien connu de la mouvance raciste antiblanc et antisémite.

Bref, des compagnonnages, mais aussi des paroles comme « le pire de de mes frères, je l’aime ongles et bec, qu’il soit de Saint-Denis ou de Molenbeek » (Allumettes) qui devraient laisser tout observateur averti au moins perplexe et hésitant…

 

La gauche identitaire à l’assaut d’EELV ?

Manifestement, ce n’est pas le cas de Marine Tondelier et d’Europe Écologie les Verts. Mais alors, doit-on en conclure que cette invitation signifie adhésion aux thématiques développées plus haut ? Assurément, non. Mais elle est au moins révélatrice de la reconstruction idéologique en cours à gauche, et des errements qui l’accompagne.

EELV tendance Tondelier (c’était moins le cas avec Yannick Jadot, plus « old school ») fait partie de cette nouvelle gauche héritière des théories post-structuralistes issues d’une réinterprétation mal digérée (et d’une politisation) de la « French Theory » par les campus américains, que j’appelle gauche identitaire. Cette dernière, confrontée depuis la chute du mur au désenchantement des théories marxistes, a cherché à se renouveler en passant de la lutte des classes à la lutte des races.

On est certainement ici dans la manifestation la plus évidente d’islamo-gauchisme, terme polémique car trop souvent mal employé, tel que l’avait défini Pierre-André Taguieff au début des années 2000 afin de « désigner une alliance militante de fait entre des milieux islamistes et des milieux d’extrême gauche ». Ce choix, de la part de Marine Tondelier, n’a rien d’anodin, et s’inscrit dans une stratégie électorale plus large de séduction des quartiers populaires.

On ne manquera pas, avec un brin d’ironie, de constater que le choix de Médine comme représentant de cette jeunesse des quartiers colle en tout point aux stéréotypes et à l’imaginaire convoqués par l’extrême-droite lorsqu’ils parlent d’insécurité ou d’immigration.

Sur le plan des idées, cette invitation marque également un rapprochement avec la mouvance décoloniale. En effet, la gauche identitaire adhère en grande partie à la version modérée du discours de Médine, celui de la dénonciation du néocolonialisme, de l’universalisme républicain aveugle à la couleur de peau et de la laïcité dévoyée permettant l’expression d’une islamophobie systémique.

Mais il faut toujours supposer de ses adversaires politiques les meilleurs sentiments afin de critiquer la version la plus solide de leur argumentation. Je ne tomberai donc pas dans le piège qui consiste à taper sur un homme de paille : EELV n’est pas un parti islamique, anti-républicain et racialiste.

C’est précisément pour cette raison que l’invitation d’un personnage aussi controversé que Médine pose un problème. En décidant de mettre sous le tapis tous les éléments problématiques cités ci-dessus, la gauche identitaire ne condamne pas, voire accepte qu’en son sein puissent prospérer des idées auxquelles elle prétend ne pas adhérer.

 

La gauche et l’antisémitisme

La relation ambigüe qu’entretient une partie de la gauche avec l’antisémitisme est en ce sens exemplaire. Tous les élus de la gauche Nupes se présentent comme de grands combattants de l’antisémitisme, et s’insurgent qu’on puisse remettre en question leur engagement sur cette cause.

Or, comme le montre Rafael Amselem dans un article pour Le Point, « les juifs apparaissent comme les dommages collatéraux » du nouveau combat antiraciste, qui a substitué la lutte des races à la lutte des classes. En effet, la gauche identitaire adhère à la théorie critique de la race, qui repose sur une opposition binaire entre dominants et dominés. Dans ce schéma interprétatif, les juifs, parce que blancs et invisibles dans l’espace public, appartiennent nécessairement au camp de la « blanchité », donc des dominants. Et quand on est de gauche, les dominants, on les combat. Ajoutez par-dessus l’arrière-plan du conflit israélo-palestinien ainsi qu’un zeste d’intentions électoralistes à destination des quartiers populaires, et vous obtenez un mélange décapant.

Il n’y a ainsi rien d’étonnant, pour ne citer que cet exemple (et ils ne manquent pas…) à ce que Danielle Obono, députée de la France insoumise, ait déclaré qu’elle ne savait pas si la phrase prononcée par Houria Bouteldja était antisémite. Je vous laisse juge : « Les juifs sont les boucliers, les tirailleurs de la politique impérialiste française et de sa politique islamophobe ». Ambiance.

La répétition de ces compromissions de la gauche identitaire ne relève pas simplement d’erreurs individuels, de dérapages, mais est le symptôme d’un mal plus profond : son adhésion aux théories racialistes et identitaires. Une telle conceptualisation du monde social, centrée sur le couple dominant-dominé, ne peut qu’aboutir à la mise en accusation d’un groupe de la population contre lequel, au nom de la justice et de l’égalité, tout est permis.

Si La France Insoumise semble, sur ce point, s’être engluée un nombre incalculable de fois dans des prises de positionnement franchement douteuses, EELV avait jusqu’ici limité la casse. Mais il semble bien que Marine Tondelier ait rejoint certains de ses collègues de la NUPES dans le grand concours de « qui dira / fera la plus grosse énormité ». Qu’elle s’accroche, la compétition est rude…

 

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