On le sait, Vladimir Poutine a tenté de justifier l’invasion de l’Ukraine en février 2022 en disant vouloir « dénazifier » le pays.
Le New York Times vient à cet égard de faire paraître un article sur l’existence, gênante pour l’OTAN et les responsables politiques occidentaux ayant apporté leur soutien à Kiev, de symboles nazis visibles au sein d’une partie de l’armée ukrainienne depuis le début du conflit. Certaines photos montrant des soldats ukrainiens s’affichant ainsi ont même été postées sur le compte Twitter du ministère ukrainien de la Défense (où l’on pouvait voir le Totenkopf ou « tête de mort », insigne porté par les gardes des camps de concentration) ou encore celui de l’OTAN. (des images retirées par la suite)
Les origines historiques du nationalisme ukrainien
Comme nous l’apprend un épisode de la série « Factu » du Figaro Live, le recours à cette symbolique nazie à l’intérieur d’une partie de l’armée ukrainienne remonte au moins à l’année 2014. Le régiment Azov (qui comprend un certain nombre de sympathisants nazis à partir desquels se serait ravivé un mouvement nationaliste) avait alors repris la ville séparatiste prorusse de Marioupol (le 13 juin), à la suite de la révolution de Maïdan, en février de la même année, et s’était ensuite retrouvé dans la Garde nationale ukrainienne.
Mais l’on peut même remonter plus loin dans l’histoire, à la Deuxième Guerre mondiale.
L’Ukraine, qui avait subi la dékoulakisation et connu la grande famine de 1932-1933, provoquée par Staline qui causa ainsi la mort d’au moins 4 millions d’habitants, a initialement vu les nazis – qui avaient envahi le pays dans le cadre de l’opération Barbarossa – comme des « libérateurs » du stalinisme. De plus, Stepan Bandera (1909-1959), nationaliste militant, qui deviendra l’un des dirigeants de l’Armée insurrectionnelle ukrainienne (UPA) créée en 1942, prit la décision (évidemment controversée) de collaborer avec l’Allemagne nazie afin de repousser les Soviétiques, non seulement hostiles à l’indépendance de l’Ukraine, mais qui avaient même décimé son peuple quelques années plus tôt.
En fait, ni l’Allemagne nazie ni l’Union soviétique ne voulaient d’une Ukraine indépendante.
Stepan Bandera, qui avait proclamé la déclaration d’indépendance de l’Ukraine le 30 juin 1941, fut arrêté cinq jours plus tard et envoyé en 1942 dans un camp de concentration, à Sachsenhausen, non loin de Berlin. Ses deux frères, eux aussi fervents partisans de l’indépendance ukrainienne, mourront à Auschwitz en 1942. Des faits évidemment passés sous silence par la propagande russe, laquelle entend ne donner de Bandera que l’image d’un dirigeant qui personnifierait à lui seul une Ukraine prétendument nazie. (soulignons toutefois que Bandera fut antisémite : « Il a été influencé par la propagande allemande et le mythe du judéo-bolchévisme selon lequel les Juifs sont les suppôts du communisme », rappelait ainsi l’historienne Galia Ackermann.)
Ne pas donner de l’eau au moulin de la propagande
Si intolérable que soit le fait de porter ostensiblement de tels symboles aux indéniables relents nazis, il ne faut pas faire pour autant des Ukrainiens dans leur ensemble des apologistes de l’extrême droite fascisante, qu’il faudrait « dénazifier », comme dit Poutine.
Rappelons ici quelques chiffres : le parti nationaliste (Zvoboda) était certes passé de 1,43 % des suffrages aux présidentielles de 2010 à 10 % lors des législatives de 2012, mais son score n’a été que de 1,16 % et 1,62 % aux présidentielles de 2014 et de 2019. Et aujourd’hui, Zvoboda ne dispose que d’un seul siège au Parlement européen, la Rada. Le « danger fasciste » ne s’est donc manifestement guère traduit dans les urnes depuis une dizaine d’années…
Certains ont dit à propos de ces symboles qu’il fallait moins y voir le signe d’une adhésion d’une partie des Ukrainiens au néonazisme qu’une manifestation de leur fierté nationale et de leur aspiration à défendre l’indépendance du pays.
Mais si tel est bien le cas, comment les Ukrainiens qui portent fièrement de tels symboles ne s’aperçoivent-ils pas qu’ils ne font ainsi qu’alimenter la propagande anti-ukrainienne de la Russie ? – en même temps qu’ils donnent une mauvaise image de l’OTAN et des dirigeants occidentaux qui les soutiennent. Comment ne voient-ils pas qu’ils scient la branche sur laquelle ils sont assis ? Il vaudrait mieux qu’ils cessent de porter tout insigne pouvant évoquer de près ou de loin le nazisme, ainsi que l’a d’ailleurs fait le parti nationaliste Zvoboda, qui a renoncé en 2003 à son logo inspiré par le Wolfsangel, un symbole utilisé par la deuxième division SS dans les années 1930.
Insistons enfin sur le fait qu’il n’est jamais bon de fonder l’indépendance (ou l’aspiration à l’indépendance) d’un pays sur des valeurs collectivistes, quelles qu’elles soient.
L’indépendance des États-Unis et sa reconnaissance, aboutissement de la Révolution américaine – la seule révolution qui ait jamais réussi – a ceci de particulier qu’elle fut assise sur les valeurs de l’individualisme libéral (universalisme des droits de l’Homme, protection de la liberté individuelle contre les intrusions illicites d’un État omnipotent, droit à la vie, droit à la poursuite du bonheur individuel, etc.). Condorcet recommandait en son temps de méditer les leçons de la Révolution américaine, modèle philosophico-politique dont l’Europe serait bien avisée de s’inspirer. Et si les Ukrainiens redécouvraient pour eux-mêmes les vertus de ce modèle ?
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