Dans son édition de février 2023, le magazine Harper's publie une tribune de Michel Houellebecq, traduite en anglais par Robyn Creswell, Sur l'euthanasie et le suicide assisté, intitulée La façon européenne de mourir, qui met le sujet d'actualité de la fin de vie en perspective.
En 2019 déjà, l'écrivain avait publié une tribune, dans Le Monde daté du 11 juillet, intitulée Vincent Lambert, mort pour l'exemple, qui sonnait comme un avertissement sur le risque qu'il y avait d'être hospitalisé en France et d'être ainsi à la merci de l'État qui décide de votre sort.
Michel Houellebecq montre d'abord dans cette tribune que le niveau ne cesse de baisser puisque Guy Debord s'est suicidé à l'ancienne, que Jean-Luc Godard s'est fait assister et que le prochain provocateur de génie optera sans aucun doute pour l'euthanasie médicalisée.
Un exercice mental consiste d'abord à imaginer que vous avez acquis, sur le dark web, du pentobarbital, un poison mortel, apparemment sans douleur, qu'un ami, pour qui la vie est devenue insupportable, vous demande de lui fournir et qui s'en sert quelques mois plus tard:
Comment vous sentiriez-vous ?
L'exercice continue en faisant l'hypothèse que ce soit un étranger qui vous demande de lui procurer du pentobarbital moyennant de l'argent, beaucoup d'argent. Si vous sautez l'obstacle éthique et que vous envisagez de vous lancer dans ce business, il vous déconseille la Suisse:
C'est un marché très encombré.
Houellebecq est un agnostique: tous les opposants à l'euthanasie qu'il connaît sont des chrétiens fervents, mais il se sent mal compris par eux parce que ses motifs leur échappent. Il rappelle les termes du serment d'Hippocrate, qui vivait avant l'avènement du christianisme:
Je ne remettrai à personne une drogue mortelle si on me la demande, ni ne prendrai l'initiative d'une telle suggestion. De même, je ne remettrai pas non plus à une femme un pessaire abortif. C'est dans la pureté et la piété que je passerai ma vie et exercerai mon art.
[...]
Si j'exécute ce serment et ne l'enfreins pas, qu'il me soit donné de jouir de ma vie et de mon art, honoré de tous les hommes pour l'éternité. En revanche, si je le viole et que je me parjure, que ce soit le contraire.1
Emmanuel Kant a fait l'énorme effort intellectuel de dissocier la dignité humaine et la loi morale de la métaphysique, donc du christianisme. Pour lui, la dignité humaine prohibe le suicide. De nos jours, la dignité est devenu un mot sans signification, une blague de mauvais goût.
Houellebecq ajoute qu'il a l'impression que l'idée d'une loi morale est devenue plutôt obscure:
Petit à petit, et sans que personne ne fasse d'objection, ou même le remarque, notre loi civile s'est éloignée de la loi morale dont l'accomplissement devrait être le seul but. C'est difficile de vivre dans un pays où les lois sont permises si elles approuvent les actes qui n'ont rien à faire avec la moralité ou ferment les yeux sur les actes qui sont moralement abjects.
Il considère que le suicide assisté reste un suicide. Quand il apprend que quelqu'un s'est suicidé, il n'éprouve ni respect - il ne veut pas exagérer -, ni désapprobation, ni dérision. Il n'en va pas de même de l'euthanasie administrée par un médecin qui est près d'être approuvée 2:
C'est en train de devenir la façon européenne de mourir.
Cette façon européenne de mourir révèle notre faible respect pour la liberté individuelle et un appétit malsain pour le contrôle des gens, un état de choses que nous appelons trompeusement bien-être mais qui devrait plus précisément s'appeler servitude:
Ce mélange d'extrême infantilisation, par lequel on accorde à un médecin le droit d'ôter sa vie, et d'un désir impatient pour "ultime liberté" est une combinaison qui, très franchement, me dégoûte.
Dire que c'est la seule alternative humaine pour que les derniers jours, mois ou années, d'une vie ne soient pas remplis de souffrance insupportable, repose sur deux mensonges. En effet, contrairement à ce qu'on affirme:
- la souffrance physique peut être vaincue par des opioïdes;
- le temps qui reste à vivre est imprévisible et conforme, comme beaucoup de choses en ce monde, à une courbe en cloche.
Couper court aux adieux 3 est impie pour ceux qui croient et immoral pour n'importe qui: c'est le consensus des civilisations, des religions, des cultures qui nous ont précédés:
Ce n'est pas le rôle des médecins d'ôter la vie. C'est même tout le contraire. Et en France, nombreux sont les médecins qui s'opposent fortement à la légalisation de l'euthanasie. Ce n'est pas une responsabilité qu'ils sont désireux de prendre.
Ce qu'avaient imaginé des auteurs de science-fiction - internet, transhumanisme, quête d'immortalité, création de robots intelligents - est en passe d'être réalité. D'autres ont eu l'idée de l'euthanasie comme moyen de résoudre les problèmes économiques posés par le vieillissement de la population.
Dans le genre, le livre qui convainc le mieux de lutter contre l'euthanasie n'est pas Make Room! Make Room! de Harry Harrison, porté à l'écran sous le titre de Soleil Vert, mais The Test de Richard Matheson où les personnes âgées doivent réussir des tests de compétence pour éviter d'être libérées du poids de leur âge...
Francis Richard
1 - Ce n'est évidemment pas la version, revue et corrigée en 2012, figurant sur le site de l'Ordre des Médecins ...
2 - En France, après la Belgique, le Luxembourg, les Pays-Bas et l'Espagne.
3 - Le moment de dire adieu est possible avec le suicide assisté.
Publication commune LesObservateurs.ch et Le blog de Francis Richard
Qu’on laisse chacun choisir (en lui donnant les moyens) entre :
– crever selon le bon vouloir du corps médical soumis aux BigPharmas
ou
– mourir dans la dignité suite à une libre décision.